SIGNAL~BRUIT : Une odyssée électronique vers une Terre antique

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SIGNAL~BRUIT

Une odyssée électronique vers une Terre antique

Un proverbe mystique dit que derrière un mystère se cache toujours un autre mystère.. Aussi, SIGNAL~BRUIT dissimule-t-il Member U-0176. Et si le prénom et le nom restent secrets, tout connaisseur aura ici reconnu l’excellentissime leader du non moins brillantissime groupe d’électro-pop CELLULOIDE. Mieux encore, il est également le patron de l’extraordinaire label BOREDOMproduct. C’est assez décrire le niveau stratosphérique du bonhomme. Et c’est donc la seconde fois que notre bonhomme aussi énigmatique qu’hyper-doué s’abrite derrière le pseudo SIGNAL~BRUIT pour nous sortir un album aussi audacieux et original sur le plan musical qu’intensément réfléchi sur le plan conceptuel.

Le premier de ces opus, datant de 2016, était Planisphère(s). Il s’était ici intéressé, pour le mettre en musiques et en vidéos, au livre Flatland, écrit en 1884 par Edwin A. ABBOTT, et qui raconte l’organisation hiérarchique d’un peuple composé de figures géométriques planes dans un monde entièrement pensé en 2D. Le bouquin étant plutôt célèbre et vénéré, il a sûrement fallu un beau courage à Member U-0176 pour s’attaquer à cet opus et encore plus de réflexions et de travail pour ne pas en trahir l’esprit, si particulier.

À quoi l’album ressemblait-t-il donc ? Planisphère(s) s’étalait sur un peu plus d’une heure et se composait de cinq longs titres, chacun un tantinet plus complexe que le précédent et eux-mêmes subdivisés en sections souvent bien différentiables. Les premières minutes de l’album pouvaient faire penser à du TANGERINE DREAM ou à du Peter BAUMANN. Mais cette fausse impression se dissipait bien vite avec la montée en complication des rythmes et des séquences. Du très grand art que ce pentagone de titres en constante progression. Et aussi d’une incroyable maîtrise compositionnelle.

Voici maintenant que sort Hyperborée, le deuxième opus signé SIGNAL~BRUIT. Si mettre en musique Flatland était déjà pour le moins téméraire, coucher sur un album le De l’océan de PYTHEAS relève tout simplement de l’exploit. Car on ne parle pas là de n’importe qui ! On parle ici, 400 ans avant Jesus-Christ quand même, d’un navigateur grec habitant Massalia, la future Marseille, assez intrépide pour se lancer sur les eaux de l’Atlantique-Nord à l’assaut du Pôle. Et il va le faire !

C’est ainsi que PYTHEAS sera le premier navigateur connu à aborder les côtes de ce qui deviendra bien longtemps après l’Angleterre, et qui continuera ensuite en mettant le cap sur l’Islande – la fabuleuse Thulé de l’époque ? – puis sur les fjords norvégiens et suédois avant de voguer sur la Mer Baltique. Ce périple fut si extraordinaire qu’à son retour, quand PYTHEAS en fera le récit, il sera traité de menteur ! Nous savons désormais que cette Odyssée était véridique. Et dans quel but ? Prouver que la Terre est une sphère et qu’à son sommet le soleil ne se couche jamais. Sur ce dernier point, PYTHEAS avait tort, car au Pôle, la Terre étant inclinée, il y a 6 mois de jour et 6 mois de nuit. Mais rendez-vous compte, il fut néanmoins le premier à décrire dans un livre le soleil de minuit, ce soleil qui ne se couche pas en été dès qu’on dépasse le cercle polaire !

C’est donc cette étourdissante aventure que SIGNAL~BRUIT nous narre dans tout au long de neuf morceaux qui illustrent autant d’étapes clés du périple nautique de PYTHEAS. Et qui de mieux que Member U-0176 le marseillais d’aujourd’hui pour mettre en musique électronique l’exploration désormais mythique de PYTHEAS le Marseillais antique ?

Comme le dit la présentation de l’album : « Le paysage électronique et musical d’Hyperborée suit le chemin emprunté par PYTHEAS, quitter son domicile en suivant les vagues hypnotiques de la mer Méditerranée, puis dans l’immensité de l’océan Atlantique, en direction du Nord vers le légendaire continent de Thulé et sa destination finale, la terre hyperboréenne glacée où la nuit et le jour se confondent. Chaque piste illustre une étape différente du voyage et les sons électroniques et l’atmosphère correspondent aux périls et à la géographie que PYTHEAS rencontre pour créer une histoire complexe racontée en sons synthétiques, séquences analogiques, micro-rythmiques, avec des influences allant de la Berlin School à l’Intelligent Electronics. »

J’irai cependant plus loin que ce beau texte et que les belles explications qui couvrent l’intérieur de la pochette de l’album. Je dirais que Member U-0176 s’est lui aussi jeté à l’eau pour mettre en musique cette exploration des mers, qu’il a dû lui aussi quitter les rivages connus et rassurants de la musique électronique qu’il côtoie d’habitude pour voguer dans des eaux soniques ô combien plus aventureuses et lointaines. C’est cette symbiose surprenante et superbement réussie entre cet antique voyage nautique et ce périple électronique tout neuf que je ressens avant tout, chacun repoussant à sa manière les limites du possible, chacun dans son art et dans son époque. 

Dix questions à SIGNAL~BRUIT / Member U-0176

Après tant d’albums avec CELLULOIDE, sans oublier ceux que tu as faits en solo, tant de productions de tous genres sorties par BOREDOMproduct, et j’en passe, comment se sent Member U-0176 quand il considère tout ce travail accompli, et mieux encore, réussi ?
 
SIGNAL~BRUIT : Difficile à dire. Je ne me pose pas tellement la question. C’est gentil de dire que c’est réussi, ça me fait plaisir… De mon côté, j’ai toujours l’impression qu’il y a des choses à améliorer, mais il faut bien fixer une limite au travail qu’on fait sur des musiques… sinon on ne les finirait jamais. Je suis toujours en train de penser à ce que je vais faire ensuite, pour SIGNAL~BRUIT, mais pas seulement. Je voudrais bien terminer l’histoire de THEE HYPHEN et ramener à la vie les morceaux disparus, même si certains ont été recyclés dans la discographie de CELLULOIDE.

Franchement, pensais-tu aller aussi loin quand tu as mis ton tout premier orteil dans la musique ? Quelle aventure quand même ! Voudrais-tu nous la résumer un peu ?

SIGNAL~BRUIT : J’ai commencé la musique au collège, en montant un groupe avec des amis, puis j’ai enchainé d’autres projets plus ou moins pop, mais toujours exclusivement électronique, jusqu’à THEE HYPHEN, justement, où c’est devenu un peu plus sérieux avec quelques morceaux placés sur des compilations, des concerts et trois albums démo sur CDr et Cassettes, puis un abum CD. D’ailleurs, Patryck tenait les claviers de THEE HYPHEN pour les concerts, car je ne pouvais évidemment pas tout faire tout seul. C’est là qu’on a décidé de monter CELLULOIDE ensemble, mais aucun de nous deux ne voulais chanter… En parallèle à CELLULOIDE, et pour évacuer un peu mes tendances expérimentales, j’ai créé SIGNAL~BRUIT pour me permettre de faire tout ce qui me passait par la tête qui ne cadrait pas avec un morceau pop…

Et maintenant vient l’heure d’un second album sous le pseudo de SIGNAL~BRUIT. D’où est venue cette idée au départ et comment tu la situes sur un plan musical et personnel ?

SIGNAL~BRUIT : J’étais fasciné par l’histoire de PYTHEAS. Je me dis que ça ferait un super sujet pour un film… mais je ne sais pas faire un film… alors, j’ai fait la bande son. J’aime bien l’idée qu’une musique puisse raconter, ou au moins re-situer une histoire, un récit. Comme Pierre et Le Loup, c’est captivant. Forcément, comme PYTHEAS est marseillais, le clin d’œil est marrant…

Il y a donc eu tout d’abord l’album Planisphère(s). Peux-tu nous raconter ça ?

SIGNAL~BRUIT : C’est tout simple, souvent, j’allume les machines et j’improvise plus ou moins, comme une gymnastique. la plupart du temps, ça ne va nulle part ou ça donne une idée pour CELLULOIDE… À l’époque ou j’ai composé Planisphère(s), ça ne cadrait pas du tout avec CELLULOIDE, mais j’aimais tout de même le résultat. Comme j’étais en train de lire Flatland à ce moment là, j’ai eu la sensation que je retranscrivais l’ambiance du livre dans l’humeur de ces instrumentaux… J’ai donc ré-organisé tout ça, et créé l’alias SIGNAL~BRUIT pour rassembler ce projet sous une identité. Et puis à force d’écouter le résultat, je me suis dit que c’était pas mal et j’ai envoyé à quelques labels… Notamment Meshwork qui l’a sorti sur son catalogue, ce que je trouvais très surprenant à l’époque…même si j’en suis très content. 

Voici maintenant un second album signé SIGNAL~BRUIT, Hyperborée. Voudrais-tu nous parler de cette envie de raconter le périple nautique incroyable – c’est le cas de le dire ! – de PYTHEAS vers le sommet de notre monde sphérique ? Ce qui implique, bien sûr, d’en parler en marseillais.

SIGNAL~BRUIT : il faudrait même en parler en grec ancien. PYTHEAS est un navigateur antique qui a prouvé 400 ans avant J.C. que la Terre était ronde (ce que supposaient les Grecs depuis un certain temps déjà) et il a fait exploser la conception des limites du monde grec en découvrant de nouveaux mondes au nord de l’Europe. Je m’imagine ça comme les premiers homme à aller dans l’espace, ça devait être fou à l’époque. D’ailleurs, on ne l’a pas cru. C’est d’ailleurs comme ça qu’on le connait, par les critiques d’autres auteurs et historiens antiques… car ses deux ouvrages ont disparus. Il est impossible de savoir précisément ce qu’a découvert et décrit PYTHEAS à son retour.

Tu navigues habituellement plutôt dans les eaux de l’électro. Là, avec SIGNAL~BRUIT, tu mets le cap sur un style très différent, non ? Ou considères-tu être toujours dans le domaine de l’électro, mais dans des eaux de ce style encore inexplorées ?

SIGNAL~BRUIT :  Je ne sais pas te répondre. quand on donne un nom de style, c’est un raccourci pour identifier quelque chose sans l’avoir entendu… Alors oui électro, sûrement, mais plein d’autres choses aussi… D’autant que ce qu’on appelle électro aujourd’hui, je ne sais plus trop ce que c’est… Je ne cherche pas à me positionner dans un style, je fais juste ce que j’ai envie de de faire, en m’amusant à tourner des boutons… Trouver à quel style ça correspond, c’est plutôt à l’auditeur de le dire… 

L’aventure SIGNAL~BRUIT ne te pousse-t-elle pas, par envie, par défi, vers des contrées de la musique électronique toujours plus audacieuses et inouïes ? Ou estimes-tu, par rapport à ton label et ses auditeurs, que tu dois forcément te fixer une limite à un moment donné ?

SIGNAL~BRUIT : Pour SIGNAL~BRUIT, je n’ai pas d’autres limites que mes capacités et mon imagination. Je veux bien faire plus audacieux, mais ça n’est pas le but que je me fixe. J’essaie de faire ce qui me vient, sans me poser de question, je ne cherche ni à être novateur, ni à recopier quoique ce soit. Il est possible que mes influences traversent mes compositions, c’est même plutôt inévitable… Mais je ne fais pas grand-chose consciemment dans ce projet… Je me laisse flotter.

Tu n’as jamais voulu nommer les synthés que tu utilises, mais tu insistes sur le fait qu’ils sont analogiques, parfois même vintage.. Quelle est ta relation avec ces synthés analogiques parfois très anciens, avec leur grain de son si particulier et avec la gestuelle si précise qu’ils impliquent ?

SIGNAL~BRUIT : Si je ne veux pas les nommer, c’est uniquement pour brouiller les pistes… que l’auditeur écoute sans essayer de savoir ce qu’il y a derrière. Mais je ne fais pas de fixation sur l’analogique ; au contraire, j’aime beaucoup les machines numériques, il y en a beaucoup dans SIGNAL~BRUIT.

En fait ce que je n’aime pas ce sont les imitations. Si on veut un son de trompette, il faut prendre une trompette, pas un synthé. de la même manière, si j’utilise un synthé numérique, je veux que ça ne ressemble en rien à de l’analogique… et puis aussi, je dois dire que je suis un adepte du « un bouton = une fonction ». Ce qui me déplait et qui est fréquent sur les numériques, c’est le système de menu avec une interface à tiroir… c’est fatiguant. Je préfère avoir un accès direct à chaque paramètre du son, pour moi c’est nettement plus instinctif – à la manière des vieux analo.

Après avoir tant fait, quels rêves as-tu encore à accomplir ?

SIGNAL~BRUIT : Ah ! J’aimerais bien que ma musique soit plus connue, qu’elle s’adresse à un plus grand nombre d’auditeurs… Et aussi avoir des morceaux dans des films ou créer une B.O, ça serait super. La musique de SIGNAL~BRUIT dans un film, oui, ça serait un rêve.

Et pour ce qui est de l’avenir proche, comment le vois-tu ? Déjà en train de travailler sur d’autres projets bientôt au catalogue de BOREDOMproduct ?

SIGNAL~BRUIT : Oui, j’ai décidé de revenir sur THEE HYPHEN, je vais voir s’il est possible de mettre à disposition les premiers albums… il faudra les dépoussiérer un peu… c’est pas certain que ça soit faisable… on verra ce qu’on peut récupérer, nettoyer, restaurer… et en parallèle, il y a FORETASTE, DEKAD et H/P qui ont enregistré de nouveaux albums… ça fait beaucoup de travail… ça va prendre du temps.

Article et entretien réalisés par Frédéric Gerchambeau

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