Sylvain RIFFLET & Jon IRABAGON – Perpetual Motion, a Celebration of MOONDOG

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Sylvain RIFFLET & Jon IRABAGON –
Perpetual Motion, a Celebration of MOONDOG
(Jazz Village / Harmonia Mundi)

CP RIFFLETQuinze ans après sa disparition, le « clochard céleste » au casque de viking qui hantait la 6e avenue new-yorkaise dans les années 1950 semble faire l’objet d’une réévaluation salutaire, non pas en tant qu’objet de foire, mais en tant que compositeur éminent du XXe siècle. Outre une biographie passionnante rédigée par Amaury CORNUT (chez Le Mot et le Reste), l’année 2014 nous aura gratifié de ce beau coffret CD/DVD retraçant un projet inauguré l’an passé au festival Banlieues Bleues et rejoué cette année au festival Jazz à la Villette, à Paris : Perpetual Motion, A Celebration of MOONDOG. L’intention est claire, et elle émane de deux figures très en vue dans le paysage jazz actuel des deux côtés de l’Atlantique, le saxophoniste et clarinettiste français Sylvain RIFFLET et son homologue américain le saxophoniste Jon IRABAGON (membre du quartette MOSTLY OTHER PEOPLE DO THE KILLING).

Se démarquant des précédents hommages discographiques rendus à MOONDOG (celui de Trace Label, le MOONDOG Remixed, ou encore celui réalisé par plusieurs artistes japonais, Trees against the Sky), Perpetual Motion (titre d’une pièce de MOONDOG présente sur le LP Story of MOONDOG, de 1958) place la balle dans un camp hybride, à la croisée d’un certain jazz contemporain et d’une musique de chambre, traversée d’éclairs électriques et de jets improvisés et avant-gardistes, manière de rappeler que MOONDOG – alias Louis Thomas HARDIN – a inspiré des artistes de plusieurs bords musicaux, et que sa musique se prête à des extensions dans des horizons variés. MOONDOG lui-même était il est vrai aussi bien inspiré par Igor STRAVINSKY que par Charlie PARKER, par les chaconnes et madrigaux médiévaux comme par les rythmes amérindiens et caribéens. Adepte du contrepoint, du canon, des mesures impaires et de l’enregistrement de terrain, il s’est vu décerné, à son corps défendant, le titre de pionnier du courant minimaliste pour avoir influencé Steve REICH, Terry RILEY et Philip GLASS. Et pour ne rien gâcher, Janis JOPLIN, Leonard BERNSTEIN et Stephan EICHER ont également compté parmi ceux qui sont tombés sous son emprise artistique. Et on n’oubliera pas de mentionner que MOONDOG fut aussi un concepteur d’instruments originaux (trimba, uni, hüs…).

Parce que MOONDOG est inclassable, on voyait mal comment un hommage digne de son nom pouvait être rendu sous un angle stylistique unilatéral. Fort heureusement, la formation menée par Sylvain RIFFLET, ALPHABET, illustre en elle-même cet esprit d’ouverture indispensable : Joce MIENNIEL y officie à la flûte, Phil GORDIANI s’y emploie aux guitares, Benjamin FLAMENT y déploie ses percussions et métaux traités, sans oublier la participation rayonnante d’Eve RISSER au piano, au piano-jouet et au clavecin, et bien sûr le pilier IRABAGON. On est bien loin de la formation jazz standard.

De plus, RIFFLET et IRABAGON ont été piocher à différents points chronologiques du répertoire de MOONDOG, puisant dans sa période new-yorkaise comme dans ses années allemandes. Cela a permis à l’ensemble de déployer un large spectre de combinaisons instrumentales possibles et de développer des terrains de jeux diversifiés, œuvrant dans la délicatesse poétique pour Fleur de Lys, l’oaristys intimiste (clarinette + piano) avec Santa Fe, dans la rêverie frémissante au bord d’un Oasis, dans l’abstraction bruitiste et la marche cuivrée à l’œuvre dans Black Hole, dans la déviation sonore au piano préparé avec From One to Nine, ou bien dans le dévoiement foutraque, comme savait le pratiquer Frank ZAPPA ou SAMLA MAMMAS MANNA, avec From the Jazz Book n°2, et sa fébrile extension signée par RIFFLET, sans oublier la version revigorée du « tube » de MOONDOG, Bird’s Lament.

Le clou du projet est d’y avoir intégrer en plus une chorale d’enfants provenant de plusieurs collèges de Seine-Saint-Denis, et à qui l’on a fait apprendre par cœur des textes de MOONDOG – en anglais bien sûr – et à interpréter certaines des fameuses H’art Songs de MOONDOG, comme le chaloupé Maybe ou le sautillant Aska Me. La chorale intervient aussi en filigrane sur les délicats Nero’s Expedition et My Tiny Butterfly, et l’implication généreuse et enthousiaste de ces jeunes gens du « 9-3 » fait vraiment plaisir à entendre. On espère qu’ils se souviendront plus tard de ces musiques… Outre la vertu pédagogique de l’initiative, le recours à une chorale enfantine fait sens pour rappeler la vitalité juvénile que MOONDOG a pu sentir dans les rues de New-York, et aussi pour rappeler sa participation à l’enregistrement, en 1957, du disque Songs of Sense & Nonsense – Tell it again, avec Julie ANDREWS (la future Mary Poppins) et Martyn GREEN, destiné à un jeune public.

Le DVD ne restitue pas exactement, comme on pouvait s’y attendre, le concert donné à Banlieues Bleues. Il y a certes des images, et l’on retrouve une bonne partie des compositions présentes sur le CD, mais il s’agit surtout d’un documentaire sur ce spectacle réalisé pour La Huit par Arthur RIFFLET, le frère de, et filmé par Maxence RIFFLET, sœur de… C’est en fait toute l’histoire de ce projet qui est racontée, à travers des entretiens avec Sylvain RIFFLET et Jon IRABAGON, que l’on suit sur les traces de MOONDOG à New-York et jusqu’à Bobigny, où le concert a été joué. Des extraits d’archives radiophoniques permettent également d’écouter MOONDOG parler de sa musique et de la vision qui la motive. S’y ajoutent des extraits des répétitions et bien sûr du concert Perpetual Motion, dont on découvre la dimension multimédia avec des projections vidéo, lesquelles donnent un rythme particulièrement soutenu à l’interprétation de Heat on the Heather. La participation volontiers théâtrale de la chorale enfantine fait évidemment son petit effet dans le spectacle, lequel est servi par un montage dynamique.

Si le côté « grosse production » peut gêner certains auditeurs, qu’ils soient assurés que, sur ce coup-ci, le travail titanesque effectué par RIFFLET et IRABAGON n’accouche pas d’une souris et se révèle à la hauteur de l’enjeu. On aura bien compris qu’il ne s’agissait pas pour eux de « restituer » la musique de MOONDOG tel que celui-ci l’avait jouée (et telle qu’elle est encore jouée par ses héritiers comme Stefan LAKATOS, Jean-Jacques LEMÊTRE, Dominique PONTY ou l’Ensemble MINISYM), mais plutôt de pointer le champ des possibles qu’ouvre cette musique sans équivalent dans le paysage musical contemporain, et dont le « mouvement perpétuel » est ici pleinement et intelligemment ravivé dans une perspective moderne et vivante, en fonction bien sûr des appétences musicales des deux jazzmen.

En fait, Perpetual Motion en dit aussi long sur MOONDOG que sur RIFFLET et IRABAGON. Le compositeur non voyant aura été pour eux un tremplin ; souhaitons que cette « célébration » saura de même en être un pour un public qui ne connaissait pas encore le « chien lunaire » et son univers mélodique et rythmique si singulier.

Site : www.sylvainrifflet.com

Label : https://www.facebook.com/jazzvillagemusic

Stéphane Fougère

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