THIRD EAR BAND – Abelard and Heloïse

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THIRD EAR BAND – Abelard & Heloïse
(Blueprint)

À la fin des années 1990, le label anglais Voiceprint et sa branche Blueprint ont édité plusieurs enregistrements de cette mystérieuse confrérie qu’est le THIRD EAR BAND. Entre rééditions pas vraiment autorisées, bandes inconnues grimées en rééditions et archives live non datées, le tout livré avec des informations aussi pauvres que douteuses, la campagne éditoriale du label a fait montre d’une grande confusion. Il n’empêche que cette campagne a permis d’assurer la disponibilité en CD de certaines œuvres cultes ou moins connues du groupe, et d’exhumer quelques beaux trésors cachés. Abelard and Heloïse en est un.

Il s’agit d’une bande originale que le THIRD EAR BAND a enregistrée pour un film du même titre de Herbert FUCHS réalisé à la demande de la télévision allemande… Constituée de six parties sans titres, cette bande-son, totalement oubliée, avait été retrouvée par le joueur de hautbois Paul MINNS, et avait été incluse dans le petit livre bilingue (anglais/italien) que le journaliste et critique musical Luca FERRARI avait consacré à THIRD EAR BAND, Necromancers of the Drifting West, publié sur Stampa Alternativa Sonic Books en 1997. C’est ce même CD que Blueprint a (re)mis à disposition deux ans plus tard, sans le livre, et apparemment sans autorisation.

On a longtemps cru que Music from Macbeth avait été l’unique bande originale de film enregistrée par le THIRD EAR BAND. On sait dorénavant qu’une autre bande originale de film l’a précédée. Du reste, c’est l’actrice qui jouait Heloïse qui aurait suggéré à POLANSKI de prendre contact avec le THIRD EAR BAND. Sans Abelard and Heloïse, il n’y aurait donc pas eu de Macbeth.

L’enregistrement d’Abelard and Heloïse a été réalisé à Munich en juillet 1970, soit deux mois après celui du deuxième album, Elements. Bien que le THIRD EAR BAND ait connu de nombreux changements de personnel à cette époque, la formation qui joue sur Abelard & Heloïse reste identique à celle d’Elements : Glenn SWEENEY aux percussions, Paul MINNS au hautbois, Richard COFF au violon et Ursula SMITH au violoncelle, soit la formation dite « classique ».

Le cadre médiéval de cette tragédie amoureuse entre le philosophe français Pierre ABELARD & Heloïse, la nièce du chanoine FULBERT, était assez propice à inspirer le THIRD EAR BAND, qui continue de pratiquer sur cet album une envoûtante musique de chambre aux forts accents de rituel occulte impulsé par des cycles rythmiques répétitifs aux consonances orientales.

MINNS, COFF et SMITH entrelacent toujours leurs sons rustiques dans des mouvements ascendants et descendants au gré d’impulsions modales, mais il ne semble pas que le propos soit ici de faire danser sauvagement l’âme humaine aux rythmes des éléments naturels. De plus, les percussions de Glen SWEENEY font montre de plus de retenue et de discrétion (très minimales dans la Part. 4), quand elles ne sont pas carrément absentes (Part. 2).

Il y a dans Abelard & Heloïse des espaces arythmiques, sortes d’ »alap » (partie introductive des ragas indiens) aux réverbérations médiévales ou contemporaines, d’où émanent une torpeur précieuse. La Part. 1, qui remplit à elle seule le quart du disque, se déploie en mouvements complexes qui alternent passages rythmiquement ponctués, et d’autres plus flottants.

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La Part. 3, en revanche, se distingue des autres par sa pulsion rythmique plus soutenue et ses mouvements vifs qui convient à une danse goliarde. Le sujet du film de FUCHS a manifestement incité le THIRD EAR BAND à se connecter aux inflexions vibratoires de la face obscure du Moyen-Âge occidental…

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Les six parties de cette B.O. forment en tout cas une tapisserie sonore certes ténébreuse mais indubitablement hypnotique, moins tourmentée que certaines parties d’Elements, moins expérimentale et éparpillée que Music from Macbeth, mais au charme diffus indéniable. Ça reste du THIRD EAR BAND pur jus, autrement dit un régal.

Comment cet album a-t-il pu rester dans l’ombre pendant presque trois décennies est un mystère digne de la « Troisième Oreille », car sa valeur et son intégrité artistiques en fait une œuvre indispensable de la bande à SWEENEY qui s’écoute indépendamment du support qu’elle est censée illustrer. (On imagine même mal comment cette musique a pu passer à la TV!) En ce sens, Abelard and Heloïse fait bel et bien figure d’album oublié, mais mérite sa place dans la discographie classique du THIRD EAR BAND, entre Elements (1970) et Music from MacBeth (1971).

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES N°6 – mai 2000,
et remaniée en 2017)

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