Trance Gamelan in Bali

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Trance Gamelan in Bali
(Yantra Productions / Felmay / Orkhêstra)

Imaginez une fête qui durerait une semaine ou plus avec des costumes étincelants, des décorations soignées, des offrandes colorées, des mets alléchants, des danses finement élaborées et des musiques aux sons miroitants, pleines de percussions métalliques, de tambours claquants et de flûtes chavirantes… vous êtes sans nul doute à Bali, au beau milieu d’un « odalan », soit d’une célébration de temple. Petit ou grand, chaque temple balinais – il y en a quelque 20 000 sur l’île – a droit à sa célébration, tous les 210 jours (ce qui correspond à une année dans le calendrier balinais). Cette célébration implique généralement un village entier ; elle favorise le rassemblement social ainsi que la reconnexion spirituelle, car c’est lors des odalans que les divinités viennent livrer leurs sages conseils aux hommes… et de préférence accompagnés par la musique qui, comme on s’en doute, joue un rôle fondamental.

Aussi les gamelans des villages s’en donnent-ils à cœur joie et entraînent-ils les Balinais dans leurs fougues polyrythmiques, leurs spirales mélodiques et leurs climats dionysiaques émanant de leurs développements aussi virtuoses que disciplinés. Et qui dit musique à Bali dit généralement danse et théâtre : le Kecak, le Sanghyang, le Barong en sont les illustrations les plus célèbres. Cette combinaison kaléidoscopique d’expressions musicales et chorégraphiques a des vertus éminemment extatiques et dispense une idée très particulière de la transe.

C’est cette idée que cherchent à véhiculer les trois enregistrements regroupés dans cet album et effectués en 1994 par John NOISE MANIS. On connaissait ce dernier pour ses collections dédiées aux musiques de gamelan de Java sur les labels Felmay, Lyrichord, Arion et ARC Music, mais ce CD est assurément sa première réalisation consacrée à la musique de gamelan de Bali.

Le premier enregistrement nous emmène tout droit à une célébration de temple près d’Ubud. Dès les premières secondes, confirmation nous est faite que l’expression « enregistrement de terrain » est à prendre au pied de la lettre, tant les sons des métallophones, flûtes et tambours et les chants sont enveloppés par des voix et des bruits de foule. C’est la nuit, et le public présent suit jusqu’au temple le « Beleganjur », le gamelan des « Guerriers en marche », qui se distingue notamment par les syncopes prédominantes des cymbales « ceng-ceng ». Bientôt, ce sont plusieurs gamelans, jouant à proximité les uns des autres, qui mêlent leurs sons, leurs figures mélodiques et leurs entrelacs rythmiques. Cette séquence longue de plus de vingt minutes se déploie tel un « travelling sonore » par lequel l’auditeur ne peut que se laisser enivrer.

Ce n’est pas seulement la performance musicale qui est présentée, mais aussi tout le contexte à la fois festif et religieux, l’environnement humain, avec ses discussions, rires et cris, tout le passage de la vie en somme. Dans la deuxième prise consacrée aux préparatifs de l’odalan à Tenganan, on peut entendre des enfants s’amuser avec les instruments du gamelan, avant qu’ils ne se fassent réprimander par des adultes… Ces derniers entament alors leur répétition, la musique devient de plus en plus intense et engendre bientôt des envies de danse parmi le public présent, lequel en vient à sombrer à un moment dans une excitation soudaine pour une raison inconnue…

Enfin, on ne pouvait quitter ces fêtes balinaises sans se rendre au conservatoire de Denpasar, où se joue et se danse l’histoire du Barong, l’esprit auspicieux, dans sa perpétuelle joute avec Rangda, l’esprit maléfique. La tension métaphysique généré par ce combat entre les forces du bien et les forces du mal est particulièrement bien rendue par le jeu capiteux des flûtes suling.

Il ne manque guère à ses trois captations que l’image, mais l’impression de « direct live » est saisissante. En cela, ce CD rappelle certaines productions du label Sublime Frequencies, notamment les Night Recordings from Bali, dont il est en quelque sorte le cousin plus érudit, car bénéficiant cette fois de notes d’information dans le livret.

Le fait d’avoir le mot « transe » dans le titre de l’album et d’avoir affublé ce dernier d’une illustration de pochette hautement pixellisée ne doit pas faire croire à un remix technoïde branchouillé. C’est bien de musique traditionnelle acoustique qu’il s’agit, « brute de fonte » qui plus est ! Et l’hypnose est garantie, bien sûr…

Stéphane Fougère

Site : www.gamelan.to

Label : www.felmay.it

Distributeur : www.orkhestra.fr

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