TUXEDOMOON & CULT WITH NO NAME – Blue Velvet Revisited

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TUXEDOMOON & CULT WITH NO NAME – Blue Velvet Revisited
(Crammed Discs)

tuxedomoon-blue-velvet-revisitedVoici un nouveau volume de la mythique collection Made To measure du non moins célèbre label Crammed Discs (MTM vol.42); et quoi de mieux qu’une collaboration entre plusieurs musiciens des plus expérimentés pour illustrer soniquement cette nouvelle galette.

Blue Velvet Revisited est la bande-son composée et enregistrée par les groupes TUXEDOMOON et CULT WITH NO NAME, pour un documentaire du cinéaste allemand Peter BRAATZ. En 1985, David LYNCH l’invite à Wilmington en Caroline du Nord sur le tournage de son film Blue Velvet et lui demande de réaliser un making of.

BRAATZ a accumulé des heures de rushes filmés, des interviews des acteurs, de l’équipe du tournage et du réalisateur ainsi que des milliers de photos; nous pouvons en voir notamment sur le livret accompagnant le CD. Trois décennies plus tard, BRAATZ a tiré de toutes ces images un long-métrage documentaire, qui sort maintenant pour les trente ans de l’un des films majeurs des années 1980, et qui est hélas essentiellement diffusé dans le cadre de festivals (une sortie DVD serait cependant prévue dans quelques mois).

Pour illustrer son film, BRAATZ voulait une musique aussi captivante que ses images. Il demande alors à Erik STEIN et Jon BOUX de CULT WITH NO NAME (groupe anglais fortement influencé par la musique classique moderne et l’électro post punk) et à TUXEDOMOON de travailler ensemble pour créer quelque chose de spéciale. Une réunion a finalement lieu entre tous les musiciens et le réalisateur à Berlin en 2014. TUXEDOMOON s’est installé à Athènes pour leurs répétitions improvisées et les anglais ont travaillé de leur côté à Londres. Puis, TUXEDOMOON a enregistré ses parties musicales vagabondant entre Bruxelles et Mexico tandis que CULT WITH NO NAME a finalisé le travail, incluant l’enregistrement et la production de la B.O. complète,dans leur base londonienne. Cela donne une BO plutôt intrigante, à l’atmosphère étrange de film noir futuriste. Nous découvrons des ambiances bien familières, allant du classique contemporain (Lumberton) au jazz (So Fucking Suave), en passant par l’ambient électronica (Do It for Van Gogh) et un soupçon de krautrock (la lancinante répétition d’un Jeffrey Nothing).

Cette musique s’avère hors des modes d’aujourd’hui et bien loin des préoccupations commerciales de ce qui peut passer sur les radios. Le CD propose treize titres (quatorze sur la version digitale avec le bonus Sandy), dont Lincoln Street de John FOXX, autre grande figure de la scène électronique des années 1980. En privilégiant la lenteur et en jouant avec le silence, FOXX dévoile une composition de neuf minutes, escapade mystérieuse dans l’ambient, entre ENO (The Plateaux of Mirror) et Harold BUDD (The Serpent), défrichant un territoire obscur, inquiétant et trouvant parfaitement sa place avec les autres musiques sombres de cette soundtrack.

Dès les premières notes du disque, nous reconnaissons le style sonore de TUXEDOMOON: la basse reconnaissable de Peter PRINCIPLE sur le morceau d’ouverture The Slow Club, encore plus mise en avant sur l’hypnotique So Fucking Suave ou sur Now It’s dark, mais aussi les instruments indispensables comme le saxo ou la trompette tenus respectivement par Steven BROWN et Luc VAN LIESHOUT ainsi que le violon au solo mélancolique de Blaine L. REININGER.

Au fil des écoutes, l’espace résonne encore aux sons chauds et sensuels de la trompette ou du saxo, à la beauté quasi-poétique née de la rencontre entre le piano et le violon et des nappes synthétiques qui enveloppent parfois le tout avec une certaine grâce. Nous retiendrons par exemple un poignant duo entre le violon et le piano sur Lumberton; sur Don, c’est un somptueux violon, accompagné par le piano et les synthés, qui s’exprime avec une grande sincérité comme s’il versait des larmes, alors que sur Dorothy, c’est cette magnifique interaction entre le piano, la trompette et les synthés qui procure beaucoup de mélancolie. La musique est lancinante et atmosphériquement noire avec des envolées et des mélodies à tomber par terre, témoignant d’une fusion réussie entre TUXEDOMOON et CULT WITH NO NAME: deux grands moments sont à noter avec le magnifique A Candy Coloured Clown malgré un final raté (le morceau s’interrompt trop brutalement) et Until the Robins Come, un hymne lumineux et irréel où se mêlent habilement le sax, les nappes tristes de synthés et le piano.

Mais il faut s’accrocher parce que c’est une musique qui plombe assez vite l’ambiance et, après en avoir fait l’expérience, qu’il ne faut surtout pas écouter en été durant un bel après-midi ensoleillé. Cette musique convient davantage à des journées grises et pluvieuses, à la monotonie urbaine. En fait, elle n’est pas si facile que cela et elle cache plutôt bien son jeu. Ne vous attendez pas à entendre des explosions électro-punk à la No Tears; il n’y a pas d’agressivités soniques déroutantes ou de délires psychédéliques paranoïaques. Il n’y a pas cette dangerosité imminente, cette atmosphère glauque comme pour la B.O du film Sombre de Philippe GRANDRIEUX (avec un Alan VEGA effrayant).

En écoutant cette soundtrack, nous avons le sentiment qu’elle semble pourtant cacher quelque chose qui n’est pas perceptible aux premiers abords… Un peu comme les personnages des films de LYNCH qui paraissent sympathiques et fréquentables mais qui cachent de lourds secrets et qui, si nous grattons un peu, sont des plus malsains. Cette musique, si atmosphérique et à priori volontairement apaisante par son côté ambient-jazzy, est en fait des plus venimeuses semblant attendre le moment opportun pour frapper et faire basculer notre esprit dans une incontrôlable folie meurtrière. Les ambiances sombres, presque invisibles, de Lincoln Street ou celles plus menaçantes qui auréolent une pièce comme Franck vont parfaitement dans ce sens. Pour atteindre un tel niveau, avouons aussi que les univers des deux groupes se télescopent avec brio, et que les six musiciens retranscrivent assez bien les ambiances étranges qui se dégagent généralement dans l’oeuvre de LYNCH.

Cet album est entièrement instrumental, à l’exception de quelques prestations vocales de la part de Kelli ALI (elle a auparavant travaillé avec le duo anglais sur l’album Above as Below) sur Dorothy et Franck, et plaira aux inconditionnels de TUXEDOMOON: car, cette B.O., même si c’est une collaboration, est très proche de son univers sonore, parsemé de mélodies mélancoliques, électroniques, néo-classiques et jazzy . Bien entendu, Blue Velvet Revisited a plus de chances de trouver un lien de parenté avec les productions récentes du groupe qu’avec des albums aux sonorités plus eighties comme Desire, Holy Wars ou You.

Ce disque est une sacrée bonne curiosité à découvrir pour ses ambiances parfois feutrées, toujours futuristes et cette noirceur élégante qui parfument les compositions. Blue Velvet Revisited réussit à ouvrir de nouveau la porte aux souvenirs d’un film marquant et d’un monde tout aussi secret et esthétique que peut l’être celui de David LYNCH.

Cédrick Pesqué

Site : http://www.tuxedomoon.co/

Label : www.crammed.be

 

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