URNA – Portrait

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URNA – Portrait
(Network Medien / Membran Medien / Harmonia Mundi)

« Le Bleu du ciel, le blanc des nuages, le vert de la steppe, le jaune des dunes de sables. Les prairies sans fin, les troupeaux forts et gras… » (Taliin Juud – Rêve de la steppe) Ces clichés paysagers de la Mongolie, plusieurs artistes et groupes traditionnels les ont chantés et les chanteront encore, qu’ils soient maîtres du « chant long » (urtyn duu) ou du « chant court » (bogino duu) ou encore virtuoses de la vièle morin-khuur ou du luth « topshuur », comme on en trouve dans les formations EGSCHIGLEN, KHUKH MONGOL ou KHAN BOGD, par exemple.

Sauf qu’avec URNA, ces images et ces couleurs typiques prennent des tons et des dimensions inaccoutumées qui risquent fort de déstabiliser ceux qui s’attendaient à écouter une énième chanteuse traditionnelle à qui l’on aurait chargé d’enregistrer un énième disque de chant et de musique mongole respectueux des codes du genre afin de préserver la tradition qui ne doit pas disparaître, et bla, et bla…

Originaire d’Ordos, dans le Sud-ouest de la Mongolie intérieure, URNA (de son nom complet Urna CHAHAR-TUGCHI) aurait très bien pu se contenter de se conformer au nivellement artistique telle qu’on le façonnait dans le Conservatoire de Shanghai en vue des examens, à l’issue desquels tous les candidats, quelles que soient leurs origines ethniques, chantaient exactement de façon identique. Très peu pour URNA, même si l’accès à ce conservatoire a été un parcours du combattant pour cette jeune étudiante à l’enfance paysanne.

C’est donc une voie oblique – bien qu’imprégnée d’inspiration traditionnelle – qu’a choisi URNA pour s’exprimer en tant qu’artiste. Le fait qu’elle ait également étudié le tympanon chinois en lieu et place d’un instrument plus typiquement mongol pourra paraître une hérésie aux oreilles d’un puriste. Pas pour elle puisqu’au fond, c’est toujours son pays et les sentiments qu’il lui inspire qu’elle évoque et dessine, que ce soit en solo ou accompagnée d’artistes issus d’horizons divers. « Lorsque je suis assise dans l’immense steppe silencieuse, mes pensées s’envolent vers les choses merveilleuses, du grand monde riche en couleurs. Le souvenir revient. Dans mes chansons et mes histoires, je veux vous en parler. », chante URNA dans Haram Gui (Un cœur généreux).

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Les cinq disques qu’elle a enregistrés auparavant illustrent cette détermination à affirmer une sensibilité artistique plutôt qu’une posture muséologique.

Ce n’est donc pas une interprète mais une artiste qui se dévoile ici, à travers des chansons composées par elle-même et qui, sur le strict plan vocal, impressionne de par l’amplitude des registres exploités sur pas moins de quatre octaves. Phrases murmurées ou déclamations expansives sur un mode aigu aussi intense que précis, le style d’URNA est en soi un espace poétique aussi généreux, rugueux et venteux que l’horizon géographique mongol. De fait, l’accompagnement musical va de pair : souvent dépouillé (deux ou trois musiciens) mais extrêmement riche et ouvert.

Qu’elle soit épaulée par le zither bavarois de Robert ZOLLITSCH, le sheng de Wu WEI et le violoncelle de Sebastian HILKEN (sur l’album Hödööd), le morin-huur de BURINTEGUS (sur le disque Jamal) ou par le violon de Zoltan LANTOS et les percussions de Djamchid et Keyvan CHEMIRANI (dans Amilal), URNA affiche son intention de voler librement et de transcender les règles du genre folklorique usuel.

C’est ce parcours que cherche à retracer cet album paru chez Network/Membran. Intitulé Portrait, il ne trompe aucunement sur la marchandise, là où d’autres ne se seraient pas gênés pour faire passer le contenu de ce disque pour de la « traditional mongolian music », selon l’expression consacrée…

Aux extraits d’albums déjà cités, Portrait ajoute quelques enregistrements plus rares ou inédits : deux chansons avec le groupe klezmer polonais KROKE (aux résultats défiant les expectatives), une chanson avec le guitariste Ken OHTAKE (déjà incluse dans la version européenne de l’album Amilal) et une captation en concert tirée de l’album Sacra Konzert du saxophoniste Luigi CINQUE.

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Par contre, Portrait fait l’impasse sur le tout premier disque d’URNA, Tal Nutag, ainsi que sur sa participation au projet collectif Crossing, avec des musiciens chinois et européens. C’est évidemment regrettable (quelle compilation peut se targuer d’être complète ?), mais l’essentiel de la démarche exigeante d’URNA est ici montré sans fard. Les disques d’URNA étant plutôt rares, cette compilation est l’occasion ou jamais de saisir au vol une âme mongole évoluant hors des steppes rebattues.

Car à l’instar d’autres divas asiatiques, telle Sainkho NAMTCHYLAK, Saadet TURKÖSZ et Yungchen LHAMO, URNA est réfractaire aux voies trop balisées et livre une musique volatile… mais qui a le don d’inscrire profondément son empreinte dans les esprits attentifs.

Et si le mode de vie nomade a tendance à s’amenuiser en Mongolie face à l’exploitation industrielle qui réduit les surfaces de pâturages, URNA redonne de l’espace à la culture mongole en pratiquant un nomadisme musical très contemporain.

Stéphane Fougère

Site : https://urna.com

Label : Network Medien

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