Ustad H. Sayeeduddin DAGAR – Chant dhrupad à Vézelay

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Ustad H. Sayeeduddin DAGAR – Chant dhrupad à Vézelay
(Buda Musique)

Austérité et rigidité sont les termes par lesquels on définit volontiers le chant dhrupad, assurément le style le plus ancien de chant classique indien, apparu à la fin du XVe siècle dans la région de Gwalior, puis développé et porté à son summum par des musiciens de la cour de l’empereur Akbar au siècle suivant. Les difficultés inhérentes à sa pratique l’ont fait progressivement tomber en désuétude au profit du chant khyal. Si le dhrupad n’a pas totalement disparu au XXe siècle, c’est sans doute grâce à la ténacité de la famille DAGAR, qui s’est portée garante de sa transmission de génération en génération et a généré sa propre « école », la Dagarvani.

Appartenant à la 19e génération de cette famille, le maître (Ustad) H. Sayeeduddin DAGAR a hérité du savoir et de l’expérience de ses nombreux aînés et porte très haut la dimension purement dévotionnelle du dhrupad, qui s’apparente pour lui à une prodigieuse immersion dans un état méditatif lui permettant d’invoquer les divinités, en l’occurrence hindouistes (et qu’importe si les DAGAR sont d’obédience musulmane). Du reste, selon le mythe, le dhrupad était déjà chanté à l’époque védique (XVe siècle avant J-C) dans les temples, et le chanteur offrait son invocation en faisant face à la divinité.

Au XXIe siècle, dans le nartex de la basilique de Vézelay, où il donnait un concert en juillet 2005, Ustad Sayeeduddin DAGAR transforme le mythe en réalité en interprétant le Raga Jogia face à l’autel, tournant donc le dos au public. Cette attitude n’a rien d’une posture, car ce n’est définitivement pas le genre de la maison DAGAR, pas plus que les ornementations et les vocalises virtuoses ne sont autorisées dans le chant dhrupad. Dans ce dernier, il est exigé du chanteur qu’il adhère impérativement à la forme du raga.

Tout l’art dispensé par Sayeeduddin DAGAR réside dans cette double exigence de concentration sur les timbres et mouvements vocaux méticuleusement mesurés pour parvenir à l’intonation parfaite, et de spontanéité dans l’instant de l’expression.

L’introduction mélodique et arythmique du mode, l’alap, tient une place privilégiée dans le dhrupad, en même temps qu’il livre pleinement sa nature cosmogonique : la voix y est soutenue par des syllabes conventionnelles à priori incohérentes, mais qui dérivent du noyau mantrique originel, le fameux « Om… ». C’est ainsi dans l’exposition de l’alap que se réinvente peu à peu le chant structuré par une gamme ascendante et une gamme descendante, dont non seulement les notes mais aussi les espaces entre les notes, les microtons, sont explorés avec une imparable minutie.

Le dhrupad est le chant de l’abandon par excellence, et c’est dans ce monde enveloppant d’intonations, de vibrations et de nuances millimétrées que le maître Sayeeduddin DAGAR a convié le public du Vézelay lors de ce concert durant lequel il a investi quatre ragas : Bhopali, Chandrakauns, Gunkali et Jogia, au sein desquels il a interprété des compositions en 12 (chautal) et 7 temps (rupaktal). Il était accompagné pour l’occasion par trois joueuses de tampura et par le Pandit Mohan Shyam SHARMA, un renommé joueur de pakhawaj, tambour biface utilisé en Inde du Nord, percussion privilégiée du chant dhrupad, plus tellurique mais non moins subtil que le tabla.

L’intégralité du concert est reproduite sur ce double CD à la qualité sonore exceptionnelle. Les érudits et spécialistes se délecteront des très doctes notes de livret qui décortiquent la structure de chaque raga ; et les autres, même non initiés aux arcanes théoriques de la musique hindoustanie, se laisseront envoûter sans difficulté par le timbre de Sayeeduddin DAGAR, les frappes enjôleuses de Mohan Shyam SHARMA et les capiteux bourdons des tampuras.

Et quand bien même ne manque que l’image, ne serait-ce que pour goûter l’expressivité des gestes de Sayeeduddin DAGAR qui contribuent eux aussi à l’émotion esthétique partagée entre les musiciens et le public, c’est peu dire qu’avec un membre de la famille DAGAR aux commandes, l’appel du divin devient vite palpable…

Stéphane Fougère

Label : www.budamusique.com

PS : Un DVD de ce concert est également disponible.

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°38 – mars/avril/mai 2008)

 

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