WARSAW VILLAGE BAND : Le Printemps de la transe polonaise

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WARSAW VILLAGE BAND

Le Printemps de la transe polonaise

De son nom d’origine KAPELA ZE WSI WARSZAWA, le WARSAW VILLAGE BAND est un sextet formé en 1997 et constitué de jeunes musiciens (moyenne d’âge 20 ans) désireux de revitaliser leur patrimoine musical traditionnel et de le rendre accessible aux nouvelles générations tout en préservant ses sonorités spécifiques.

Découvert avec le disque People’s Spring (Jaro) diffusé à l’époque en France par Mélodie, le WARSAW VILLAGE BAND a été l’une des révélations « world » de l’année 2003, allant même jusqu’à remporter un BBC Award en Angleterre. Le succès du groupe a ainsi permis de diriger les éclairages sur la musique folk de Pologne, notamment de la région de Mazovia, royalement ignorée ou méconnue jusqu’ici.

Cette musique aux saveurs médiévales, à la beauté rugueuse et aux propriétés extatiques, le WARSAW VILLAGE BAND l’a métamorphosée en un style singulier autobaptisé « bio techno » ou encore « hardcore folk », soit une musique traditionnelle jouée ici et maintenant, et susceptible de résonner bien au-delà de son lieu d’origine ! Le WARSAW VILLAGE BAND en a fait une démonstration probante lors de son premier passage à Paris au printemps dernier. Dans un français plus qu’honorable, la violoncelliste Maja KLESZCZ a bien voulu apporter quelque lumière à RYTHMES CROISÉS / ETHNOTEMPOS sur cette forme de régénération musicale énergique qu’incarne le WARSAW VILLAGE BAND.

Entretien avec WARSAW VILLAGE BAND

Le WARSAW VILLAGE BAND d’aujourd’hui est-il le même qu’à sa création ?

Maja KLESZCZ :La formation a quelque peu évolué. L’ensemble était constitué au début de personnes qui étaient fascinées par la musique traditionnelle polonaise, c’était une grande découverte de racines. Il y a tout d’abord une période pendant laquelle on a découvert les musiques indienne, jamaïcaine et africaine ; et, plus tard, il y a eu la découverte de la musique polonaise, la nôtre, et la prise de conscience que nous avions des sources nous aussi.

Je suppose que ce n’était pas facile de trouver ces sources ?

M.K. : Après la période du communisme, les enfants de cette génération c’est-à-dire nous, nous sommes isolés de la culture traditionnelle. Il n’y a pas eu de volonté de «passation». Je ne parle pas des rites, qui sont seulement caractéristiques de la vie dans les villages. Mais il n’y a pas eu de transmission de l’héritage culturel traditionnel.

Quelle est la place de la musique traditionnelle en Pologne ? Fait-elle l’objet d’organisation de festivals ou de concerts ?

M.K. : La radio polonaise s’est toujours occupée de la promotion de la musique traditionnelle dans sa forme, disons, « pure », donc il y a plusieurs festivals de musique traditionnelle, mais ces festivals n’ont pas de grande renommée, ils ne sont pas attractifs pour la jeune génération.

Et qu’en est-il des aspects « évolutifs » de la musique traditionnelle ?

M.K. : Les aspects évolutifs sont liés au mouvement du fol – ça s’appelle comme ça en Pologne. Quant à nous maintenant, nous introduisons plutôt je pense le mouvement qui s’appelle « world music », dans le sens où nous explorons notre héritage traditionnel pour connaître notre identité et ainsi participer au mouvement de reconnaissance des musiques traditionnelles à travers le monde.

Et avec des cérémonies comme celle des BBC Awards (au cours de laquelle nous avons remporté un prix l’an dernier), la reconnaissance de la world music s’en trouve facilitée, car elle bénéficie de la même considération que la pop music, par exemple. Ça peut être un facteur de prise de conscience…. Je ne sais comment les choses vont évoluer, bien sûr, mais je pense que le moment est peut-être venu en Pologne de confronter la musique traditionnelle par exemple au jazz, à la techno, etc.

Votre premier disque n’a été diffusé qu’en Pologne ?

M.K. : Sur ce premier album, la formation était tout à fait différente. Il y a eu vraiment une grande recherche d’un style qui peut être attirant pour les jeunes. L’évolution du WARSAW VILLAGE BAND a pris en quelque sorte la forme d’une lutte entre la forme « pure » de la musique traditionnelle et ses aspects modernes. Le premier album s’appelle Hop Sa Sa et proposait une musique un peu plus « pure », l’aspect « transe » y est très minimaliste.

Pour forger votre identité musicale, vous avez fait des recherches, vous êtes allés dans les campagnes pour retrouver les sources de cette musique ?

M.K. : Au début bien sûr, ce qui nous a stimulé, c’était le contact avec les musiciens des villages. On a fait la connaissance de quelques « maîtres » qui, cela dit, ne sont pas si nombreux. Mais on les a rencontrés, et on a toujours des contacts avec eux. Maintenant, on travaille plutôt avec des archives enregistrées, par exemple celles de la radio polonaise, puisque c’est son rôle d’assurer la transmission de cette culture.

Ces anciens musiciens vous ont-ils bien accueillis, vous ont-ils transmis facilement leurs connaissances ?

M.K. : Ça n’a pas été facile, parce qu’il a fallu combattre le cliché selon lequel leurs enfants ne sont pas fascinés par cette musique et qu’ils ne veulent pas en hériter. Par exemple, Wojtek KRZAK, notre violoniste, est originaire non pas de Varsovie, mais d’une petite ville qui est au centre de la Pologne, dans la région de Mazovia, et il a appris des techniques transmises par d’anciens musiciens, par des maîtres du violon.

C’est surtout sur l’héritage musical de cette région que vous vous êtes concentrés ?

M.K. :Oui, c’est pour nous très important. L’une des caractéristiques de la culture de Mazovia est cette forme de danse qui s’appelle « oberek », une variété de mazurka qui est très présente dans les compositions de Frédéric CHOPIN, par exemple. Cet aspect transe que possède cette danse est un élément universel que l’on peut retrouver sous des formes plus modernes. Ce quart de la Pologne, Mazovia, est très riche en musiques de transe. Varsovie est également un lieu très spécifique, c’est le centre de cette région, et c’est un point de développement intensif pour la culture et de rencontres générationnelles.

C’est pourquoi on a choisi comme nom de groupe WARSAW VILLAGE BAND : cela évoque les nomades des villages qui ont migré et qui se sont installés à Varsovie pour travailler, pour nourrir leur famille, et qui ont ont perdu le contact avec leurs traditions. C’est métaphorique, WARSAW VILLAGE BAND. C’est aussi le centre d’une génération en quête d’identité.

Qu’est-ce qui explique que cet élément de transe ait été aussi développé dans cette région ? Cela a-t-il avoir avec une dimension sacrée ?

M.K. : Cela est tout simplement dû au fait que la danse y est très importante, très populaire. Les Polonais sont catholiques, donc je pense que l’extase religieuse est plutôt différente de la danse du campagnard. (rires) Mais c’est un élément universel, la transe.

Vos instruments sont aussi très caractéristiques de la région de Mazovia, par exemple le suka.

M.K. : Nous jouons en fait d’un instrument qui s’appelle le « fiddle polska » ; ce n’est pas tout à fait le suka, mais c’est de la même famille d’instruments. On en joue avec les ongles. C’est en quelque sorte le prototype du violon et du violoncelle. Il y a aussi des similitudes avec la viole de gambe, etc., les sons sont assez proches. Et il y a aussi les tambours et les percussions traditionnels bien sûr, mais joués avec une force, une dynamique typiques du monde contemporain.

Il y a aussi cet autre élément typique, le « chant blanc » ?

M.K. : Oui, on peut appeler ça la « voix blanche » également. C’est une technique traditionnelle de chant employée par les femmes. Il s’agit de crier très fort, très haut ! Je pense que cette technique était utilisée pour exprimer des émotions, pour rendre les textes – qui sont très simples –, encore plus émouvants. Là aussi, on peut l’envisager comme une transe, une technique d’extase, pas religieuse mais musicale. C’est un moyen d’expression.

Cette forme de chant a-t-elle un lien avec celui des pays nordiques, comme le fameux « appel du berger » ?

M.K. : Oui, je pense qu’il y a des ressemblances. En fait, on ne sait pas finalement comment chantaient jadis les jeunes femmes des villages, parce que sur les enregistrements qu’on a pu récupérer, ce sont des femmes âgées que l’on entend, et leur voix, leur manière de chanter sont forcément différentes. Il y a donc une part de supposition, d’hypothèse… De ce fait, notre travail consiste en quelque sorte à illustrer, incarner cet esprit traditionnel avec un regard et une âme modernes. C’est une mutation, une revitalisation de cet héritage, si l’on peut dire.

En France, votre album People’s Spring est paru en 2003, mais il a été en fait enregistré quelque chose comme trois ans auparavant. Depuis, avez-vous travaillé sur un nouvel album ?

M.K. : Nous sommes en train de préparer et de chercher un nouveau style, ou plutôt d’accéder à un nouveau stade d’évolution. Il y a quelques morceaux, toujours basés sur des motifs et des textes traditionnels, que nous jouons actuellement en concert qui sont le fruit de ce nouveau travail.

Envisagez-vous d’intégrer d’autres instruments dans la formation ?

M.K. :Je pense que nous avons une base très efficace. Telle qu’elle est, elle me suffit. Peut-être qu’à l’avenir nous le ferons. Mais pour le moment, ça ne manque pas d’instruments. Des instruments acoustiques surtout !

Il y a quelques musiciens invités sur votre dernier album. Avez-vous songé à d’autres collaborations, avec par exemple des musiciens d’autres cultures ?

M.K. :Je pense qu’on doit se concentrer sur notre propre style parce que les fusions, bien sûr, sont toujours intéressantes à tenter, mais je crois qu’il nous faut d’abord maîtriser davantage nos bases. Il y a tant de choses intéressantes à creuser dans notre mémoire culturelle qu’on va continuer à travailler dans cette direction.

Vous avez remporté un BBC Award en 2003. Est-ce votre première récompense discographique sur le plan international ?

M.K. : Oui. C’est un grand prix qui nous donne beaucoup de possibilités d’expansion, des propositions de concerts, par exemple. Ça facilite beaucoup de choses, et ça nous rend un peu plus populaires et peut-être même plus accessibles.

Jusqu’à présent, vous avez surtout tourné en Europe ?

M.K. : On a des plans pour jouer aux États-Unis et au Canada, mais pour l’instant, oui, nous avons tourné en Europe : en Allemagne tout d’abord (notre maison de disques, Jaro, y est implantée, donc forcément…), en France, quelques concerts en Angleterre, en Suisse, en Autriche, en Lithuanie…

Quel a été l’accueil dans ces pays ?

M.K. : C’est difficile à dire… Tout ce que je sais, c’est qu’il y a toujours eu beaucoup de danseurs ! Comme quoi cette musique peut avoir une dimension universelle…

Savez-vous si vous avez déjà influencé d’autres groupes en Pologne ?

M.K. : Je ne sais pas… Notre environnement à Varsovie est muet !

Vous donnez quand même des concerts en Pologne ?

M.K. : Non, c’est vraiment très, très rare.

Propos recueillis à Paris en mars 2004
et photos par : Stéphane Fougère

Site : http://www.warsawvillageband.net/ 

DISCOGRAPHIE WARSAW VILLAGE BAND

KAPELA ZE WSI WARSZAWA : Hop Sa Sa (Kamahuk – 1998)

WARSAW VILLAGE BAND : People’s Spring (Jaro – 2003)

(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°15 – septembre 2004)

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