XERA, les Asturies et la « différence » au Festival interceltique de Lorient 2013

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XERA, les Asturies et la « différence »

au Festival interceltique de Lorient 2013

 

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La Paix entre les peuples

Le Festival interceltique de Lorient, officiellement fondé en 1971, à présent dirigé par Lisardo LOMBARDIA est une institution bienfaisante. « Le rendez-vous des Celtes du monde entier » est placé sous le signe de la paix entre les peuples, et bien plus, sur l’échange entre les différentes cultures se tournant vers l’identité culturelle celtique. Chaque année, l’un des pays celte est mis à l’honneur : Irlande, Écosse, Pays de Galles, Bretagne, Cornouailles, Ile de Man, Asturies, Galice. Depuis quelques années, se sont ajoutées deux communautés fortement imprégnées de culture celtique : celle de l’Acadie (au Québec) et celle de l’Australie.

Parmi les arts de chacun de ces pays, c’est la musique qui est la mieux représentée grâce à de nombreux concerts tout au long des 10 jours que dure cet événement. Et, chaque année, il nous est permis de découvrir, d’écouter et d’applaudir d’excellents orchestres dont beaucoup ne se produisent qu’au FIL. C’est le cas des créations (au moins une chaque année) originales, qui rendent également cet événement annuel si attractif pour les mélomanes. L’édition 2012 était placée sous le signe de l’Acadie. Et, bien sûr, comme chaque année, différents artistes concourent à élaborer cette fête des ouïes.

Un compte-rendu fidèle avait été réalisé pour vous sur le site de RYTHMES CROISÉS. Nous rappelons juste combien fut grande notre joie d’assister au spectacle de AFRO CELT SOUND SYSTEM, groupe combinant, depuis plus de vingt ans des créations mélodiques jouées par un instrumentarium traditionnel celtique (whistles, uilleann pipes, harpe…) avec, d’une part, la transe techno, d’autre part la musique africaine traditionnelle ou de création. En écoutant les albums de cette formation irlando-britannique, on récupère tout de suite de toute défaillance. Je vous laisse à penser ce que deux heures de concert produisent sur notre métabolisme !

2013, année des Asturies

L’édition 2013, elle, mettra à l’honneur les Asturies, la province d’où est originaire Lisardo LOMBARDIA. Chaque année, se produisent au moins deux groupes de musique asturiens, et c’est avec bonheur que nous voyons conviés ces sujets du royaume espagnol, qu’ils soient asturiens ou galiciens.

Rappelons que l’Espagne est constituée de 17 communautés autonomes – regroupant 50 provinces -, disposant chacune d’un parlement libre de légiférer dans certains domaines, ce qui l’oppose parfois au centralisme madrilène (de Madrid, la capitale). Parmi ceux-ci le Pays Basque, la Catalogne, l’Andalousie et… les deux que nous avons citées. La Galice trempe ses montagnes dans l’Atlantique, tout comme, à l’est, les Asturies – connues autrefois pour ses mines de charbon. Les Galiciens et les Asturiens, voisins, parlent une langue romane, proche mais différente l’une de l’autre, héritée directement du latin et non, – cliché que l’on entend trop souvent hélas -, de l’espagnol, qui, lui, n’est autre que le castillan.

Ce dernier, originaire de Castille, s’est imposé au fil des siècles comme langue nationale, y supplantant l’emploi des langues régionales que sont donc le galicien, l’asturien mais aussi le catalan et le basque (d’origine inconnue et non indo-européenne). La même unification s’est produite dans tous les pays d’Europe : en France, le francien a supplanté toutes les langues régionales parlées (et écrites) au Moyen Age sur ce territoire, devenant la langue « officielle » du royaume, puis de la République. De même, en Asie, par exemple, les aborigènes du Japon, les Aïnous, à l’identité propre, se sont vu imposer la culture et la langue nipponnes ; et ne parlons pas des pays envahis en cas de conflit, d’absorption, ou d’« intervention amicale » (!).

Ces éléments d’histoire culturelle sont indispensables à garder à l’esprit si l’on prête attention aux identités celtiques, celle du nord-ouest de l’Espagne par exemple, et plus spécifiquement à celles des Asturies.

Là-bas, parmi les personnes revendiquant leur identité régionale, on dénombre beaucoup d’artistes extrêmement créatifs, qui renouvellent la tradition de leurs ancêtres.

Bilingues d’origine, parlant l’asturien chez eux, et le castillan en société, ils deviennent trilingues lorsqu’ils quittent l’Espagne (utilisant alors l’anglais comme langue internationale) et possèdent même parfois une quatrième langue, romane ou non. Et l’on sait combien la connaissance (voire la maîtrise) de plusieurs langues (régionales ou non) aiguise la curiosité et ouvre l’esprit au monde qui nous entoure.

Ces dernières années, on a pu applaudir au FIL nombre de très bons groupes et artistes asturiens (HEVIA et TEJEDOR en 2012, CORQUIEÙ, BRENGA ASTUR, LA BANDINA, les années passées…) qui éclairent d’un jour nouveau les perspectives du « folk » lié à cette région spécifique de l’Europe. Et les groupes cités n’ont pas à pâlir devant leur cousins irlandais, écossais, bretons, gallois, ou de l’Ile de Man. Tous sont d’excellents professionnels même s’il est difficile de vivre de son art quand on est « différent » des normes commerciales.

Parmi ces entités asturiennes, il en est une qui se démarque par un son très énergique, n’évoquant aucun des synthétiseurs (ou des boucles) de AFRO CELT SOUND SYSTEM, WIG A WAG, Pascal LAMOUR, ANJEL IK… ou Alan STIVELL (sur 1 Douar). Interrogé sur les influences musicales que ce groupe assume, ce serait du côté de VANGELIS qu’il faudrait chercher ainsi que chez les formations industrielles des années 90. Pourtant, ces sons affirmés ont été digérés pour donner naissance à la personnalité affirmée de cet orchestre : quelques notes et… mais oui ! C’est… XERA !

XERA ou l’énergie de l’air pur

Deux personnes en sont à l’origine et l’emmènent : VERVÁL alias Carlos DIAZ et FLAVIA alias Iria RODRIGUEZ. Le premier est pianiste, joue du bouzouki et chante. La seconde joue du vigulín, de la zanfona et chante également. Trois autres musiciens font de cette formation un quintet : Chus PORRÚA, aux percussions, à la guitare ; Xuan NAVEIRAS sonne la gaita (cornemuse asturienne) ; enfin, Gema PALACIO joue des claviers, du thérémin et cette jeune femme chante aussi. XERA (prononcez : « Tchééra ») signifie : « Le travail de la terre ».

Au fil des chansons, effectivement, l’atmosphère champêtre est prégnante et l’on est bien loin de l’univers urbain des rockers ou des groupes néo-new wave. Pourtant, très vite, nos oreilles sont saisies par les sons synthétiques, qui, eux nous relient plutôt à l’énergie de la cité. Somme toute, il faut ne conserver dans cette expression que le mot « énergie », et même lorsqu’on connaît toute l’œuvre de Yann TIERSEN et qu’on l’apprécie – tels ces créateurs asturiens -, le but vers lequel tend ce combo n’est pas tant la « tendresse » de ce compositeur breton (fort doué) que de souffler une puissante bourrasque qui gonfle les poumons d’un oxygène campagnard.

Les Artistes au creux de l’univers

A propos d’air pur, VERVÁL se fait un devoir d’expliquer la démarche du groupe : « Il s’inspire en premier lieu de la nature et de la relation avec celle-ci pour atteindre l’universel et le cosmique, de l’expérience culturelle asturienne, par exemple la pluralité nécessaire pour vivre la diversité que représente l’entité humaine. »

Il est rare qu’un groupe musical construise avec autant de soin le message qui traduit son univers musical en mots. Au-delà du grand plaisir que nous pouvons ressentir en écoutant leurs compositions, peuvent surgir, à la lecture du livret du CD, des questions sur les textes, traditionnels, qu’ils réécrivent, ou qu’ils inventent mais toujours en lien avec leurs principes. Et pour qu’il n’y ait aucun malentendu sur ceux-ci, pour que les accusations de « nationalisme » proférés par des esprits étroits et arc-boutés sur la souveraineté de l’État et ses prérogatives (donc, sur la langue de cet État) tombent à plat, VERVÁL et FLAVIA situent leur travail dans une perspective mondiale où le global et le local, la société et l’être humain se respectent mutuellement.

Les deux fondateurs poursuivent : « C’est pour cela que XERA utilise la langue asturienne et les marques mêmes de cette identité […]. Le message est universel, même s’il s’inspire de l’expérience et du modèle asturien. »

Ce message est adressé à tous ceux qui veulent bien l’entendre : les auditeurs de leurs chansons, les spectateurs de leurs concerts mais aussi parmi les décideurs, ceux qui sont prêts à prendre en considération les traditions d’un modèle rural, érigées comme sagesse inspiratrice, rempart contre le monde de la surconsommation et de l’hystérie boursière. Cela ne signifie pas nécessairement « Le Retour à la terre », mais bien : « Sachons d’où nous venons, nous, êtres humains, observons le ciel et la nature, ne les oublions jamais et nous saurons avancer en paix, vers le but que nous nous sommes fixé. »

Le choc de la différence

Ce type de message n’est pas destiné à ceux qui sont le plus proches de ceux qui le formulent mais se révèle indispensable pour « communiquer », pour expliquer, à l’étranger, les fondations d’un tel groupe mêlant les synthétiseurs, les percussions industrielles, le piano et les instruments traditionnels tels que la gaita ou le violon à trois cordes (Zanfona). Un tel instrumentarium soutenant des textes incompréhensibles pour la plus grande partie de ceux qui les écoutent peut créer la surprise. Par exemple, chez ceux qui ignorent la volonté de beaucoup de musiciens d’actualiser leur culture régionale, de la rendre universelle en la désenclavant d’une tradition figée. Mais souvent, du choc de la surprise, naît la compréhension.

Ce n’est ni plus ni moins que cette démarche qui a guidé Alan STIVELL dans les années 1970 lorsqu’il demandait, par exemple, à Dan AR BRAZ de jouer un riff de danse bretonne, de plinn, à la guitare électrique sur le titre Poplinn. On peut dire que les Celtes ont de la suite dans les idées, et que pour peu que l’on s’y accroche, l’inventivité, moteur de l’évolution humaine et animale, ne s’arrête jamais. Lorsqu’il s’agit d’actualiser leur culture, depuis de nombreuses années, ces Bretons, Gallois, Manxois… créent leurs propres chansons (par exemple, leur rock celtique) où la langue employée est parfois le seul vecteur de la tradition, la forme musicale (en l’occurrence, le rock et ses guitares-basse-batterie) étant l’expression de la modernité dans laquelle cette culture s’exprime s’adressant à la jeunesse et, au-delà, à l’humanité.

Dans le cas de XERA, les marques de l’identité asturienne sont nombreuses, ce qui autorise le couple à créer le répertoire du quintet. « En général, XERA compose le texte en même temps que la musique. L’émotion que tu ressens en créant la musique t’aide à créer les paroles pour le texte ». Que retiendra le spectateur allemand qui ne comprend pas le castillan et encore moins l’asturien ? L’émotion, bien sûr ! C’est elle qui préside à la découverte de groupes artistiques nouveaux, – en concert comme à la radio -, tant asturien que galicien, tant catalan que breton, tant malgache que taïwanais, tant rock qu’élaborant une musique improvisée.

Chaque culture s’enrichit des autres

Bien sûr, la découverte de tel ou tel groupe ne se révèle pas sans curiosité, celle qui motive les échanges dans la pluralité des identités.

« La diversité aide toujours, assure FLAVIA. Parce que tu as la possibilité d’avoir dans différents lieux différentes cultures à partir desquelles tu peux apprendre de nouvelles choses. » Diversité et curiosité sont donc inséparables. « Il y a un grand respect des régions bilingues les unes pour les autres, résume-t-elle : la Galice, le Pays Basque, la Catalogne… sont très attachés à leur culture et ont une grande aisance à accepter celle des autres. »

Un tel discours, il faut qu’on en ait conscience, était impensable à tenir, ouvertement, sous la dictature de Franco (mort en 1975). Et au-delà de l’Espagne, dans toute l’Europe, les cultures dites « minoritaires » furent rabaissées, humiliées parce qu’elles avaient été vaincues par la culture nationale. Ce fut le cas de la Bretagne, où, dans les années 1950, il était « défendu de parler breton et de cracher par terre », du gallois, sans parler évidemment du gaëlique avant l’indépendance de l’Eire, sans aborder le chapitre des langues des pays ou des ethnies, colonisés, ou qui le furent.

Au nom de quel décret de souveraineté, les différences (et l’on parle également des « différences » kabyle, berbère et d’outre-mer) seraient-elles écrasées par les rouleaux compresseurs du français et surtout de l’anglais (même si l’on éprouve beaucoup de sympathie pour les Anglophones, comme moi).

Les « différences » existent pour rappeler à tous que chaque être humain est unique, que son histoire et donc, sa culture, la sienne, comme celle de ses aïeux ne peut être confisquée ou occultée sciemment sans que l’on commette une lourde faute à son égard.

XERA, les Asturiens, les Celtes, et le Festival Interceltique maintiennent ce droit à la différence voire à l’excentricité ; grâce, leurs efforts, les préjugés concernant ces différences, reculent. FLAVIA nous confie : « Maintenant, XERA est un groupe qui appartient davantage au monde entier qu’aux Asturies. »

Alors, à propos de peuple ayant les oreilles grand ouvertes, à quand un concert de XERA au Japon ?

Et où peut-on les écouter, ces sympathiques Asturiens ?

XERA possède un site internet : http://xera.eu/deed.php

Ses 3 CD sont téléchargeables gratuitement sur son site :

– Lliendes (2006)
– Tierra (2009)
– Llume (2012).

Pourquoi sont-ils en libre téléchargement ?

XERA est membre de Creative Commons, un réseau international d’artistes fondé aux États-Unis. Ceux-ci, sur des bases juridiques très précises :

– élaborent une œuvre clairement identifiable (donc, pas de remix présenté comme une œuvre originale, par exemple) ;

– interdisent à quiconque, sans leur consentement, l’utilisation de leurs œuvres à des fins commerciales (donc, désolé, pas de XERA pour vendre vos 4×4) ;

– interdisent la transformation de cette œuvre (pour donner naissance à une « bouillie d’œuvre », tel que le rêverait le DJ fan de samples plus ou moins légaux… ) ;

– mais permettent la copie, la distribution, et la diffusion publique de ces œuvres à tous les internautes ayant téléchargé les 3 CD ci-dessus et, naturellement, à ceux qui ont acheté les disques aux concerts.

Ajoutons que cette démarche intelligente part du principe que la plupart des groupes ou artistes, tel XERA, qui ne sont pas des stars, ne perçoivent pratiquement aucun bénéfice de leur(s) CD. Le plus souvent, ce sont les concerts qu’ils donnent au fil des tournées qui leur permettent de vivre (modestement) de leur art.

Et le Festival interceltique 2013 ?

C’est la 43° édition. Elle se déroule du 2 au 11 août,

En Bretagne, à Lorient (56, Morbihan).

Les têtes d’affiche internationales sont : Sinnead O’ CONNOR (Irlande), Nolwenn LEROY (Bretagne), CAPERCAILLIE (Écosse), et des cousins corses : I MUVRINI.

Mais surtout, ce rendez-vous des Celtes est, cette année, placé sous les auspices des Asturies.

La tête d’affiche en est HEVIA TRIO qui se produira au cours de la Grande nuit des Asturies le lundi 5 août à 22 h. Au cours de la même soirée, il sera également possible d’applaudir TUENDA, brillant groupe de folk acoustique, et LLARIEGU qui fusionne tradition et modernité.

Pendant le Festival, se produiront aussi AIRE (jazz asturien) et un pétillant groupe féminin HERBAMORA.

Retrouvez le programme du FIL sur : www.festival-interceltique.com

Mescalito

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