Youenn GWERNIG

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Youenn GWERNIG

La Bretagne a perdu un de ses enfants les plus illustres.

Youenn GWERNIG est parti pour le Tir Na Nog, les Paradis des Celtes, à 81 ans le 29 août 2006.

Artiste complet, tour à tour poète, écrivain, chanteur, musicien, sculpteur, il a façonné une œuvre qui a contribué au renouveau et au rayonnement culturel de son pays.

Sa vie a été riche de rencontres et d’expériences diverses, qui ont permis de faire de lui, si ce n’est un modèle, du moins un guide pour de nombreux jeunes artistes bretons.

Le parcours initiatique

Youenn GWERNIG est né en 1925 à Scaer dans le sud-Finistère. Très jeune, il est sensibilisé à la langue et à la culture bretonne. Durant son enfance, il est en effet victime de ce que l’on appelait à l’époque « le symbole » et qui consistait à accrocher un sabot autour du cou d’un élève surpris à parler breton. Cela le confortera plus tard dans son idée de défense de la langue.

Il découvre ensuite la musique, d’abord par la bombarde et ensuite par la cornemuse, ce qui l’amène à animer plusieurs fêtes de villages.

A la fin des années 40, Youenn GWERNIG rencontre Polig MONJARRET (l’un des « inventeurs » des bagadou) avec lequel il se lie d’amitié ; tous deux décident alors de s’associer pour sonner en couple. Lorsque P. MONJARRET et Hervé Le MEUR créent le BAGAD KEMPER, Youenn est aussi naturellement de l’aventure.

Dans les années 50, Youenn qui exerce alors la profession de sculpteur sur bois, rencontre un certain Milig Le SCANV, qui sera connu plus tard sous le nom de GLENMOR. Ce dernier l’entraîne alors dans sa petite troupe « Breizh a Gan », et les compères monte une opérette en breton, Genovefa.

Malgré un petit succès, l’époque n’est pas au régionalisme et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une expression identitaire est jugé suspect et passéiste. On avait forcé les bretons à avoir honte de leur propre culture.

Las, en 1957, Youenn GWERNIG, comme de nombreux Bretons l’ont fait avant lui, décide de prendre le bateau pour un long voyage, direction les États-Unis, et plus particulièrement la ville New-York, ou vit déjà sa sœur.

L’Amérique

Durant ses années passées dans le Bronx, Youenn pratique son métier de sculpteur sur bois.

Il découvre le bouillonnement de la vie new-yorkaise mais n’en oublie pas pour autant ses racines. Il continue à sonner et anime à l’occasion des festoù-noz où se retrouve l’importante diaspora bretonne de la ville.

Il s’aperçoit qu’il peut trouver à New-York toutes sortes de livres sur la Bretagne, et en langue bretonne de surcroît. Cela déclenche chez lui une folle envie d’écrire. C’est ainsi que vont naître des poèmes, certains écrits dans trois langues : breton, français et anglais. La revue bretonnante AL LIAMM acceptera d’en publier, permettant ainsi à leur auteur de se faire un petit nom en Bretagne.

Mais l’événement le plus marquant de son séjour new-yorkais sera la rencontre avec un autre breton d’origine, chantre de ce qu’on a appelé la Beat Generation, Jack KEROUAC, l’auteur du fameux roman Sur la route. Tous deux deviennent de grands amis et projettent même sur se lancer sur les traces des origines de KEROUAC.

Ils n’en auront hélas pas le temps car ce dernier, gravement malade, décède en 1969.

Cette année est d’ailleurs marquante pour Youenn GWERNIG car, nostalgie et mal du pays aidant, il décide de quitter les USA et de rentrer en Bretagne.

Le retour du Celte

Lorsqu’il revient au pays, la Bretagne a bien changé et est en train de vivre une profonde mutation, sur le plan social d’abord et bientôt sur le plan culturel.

Poussé par une nouvelle vague montante de musiciens, Youenn GWERNIG enregistre deux chansons sur un 45 T (Tap da sac’h ta / Ni hon unan) où il s’accompagne à la guitare, instrument dont il a appris à jouer aux USA, dans un style folk-country très proche de l’esprit des premiers disques de Bob DYLAN. Un album va suivre ensuite, Distro ar Gelted (Le retour des celtes) et voilà donc l’artiste entraîné dans ce qu’on surnomme alors la Breizh Génération, au côté de GLENMOR, Alan STIVELL ou Gilles SERVAT. Il sera soit le père, soit le grande frère, de toute cette génération de musiciens et de chanteurs. Deux autres 33 T vont suivre, E Kreiz an Noz en 1975 et Youenn GWERNIG en 1979. Parallèlement, paraîtront également des recueils de ses poèmes, dont certains sont mis en musiques dans les albums.

Youenn refuse durant cette période de s’acquitter de la redevance TV afin de protester contre le traitement que subit la langue bretonne sur la station régionale de FR3. Comble de l’ironie, c’est à lui que la chaîne fera appel de 1983 à 1989 pour diriger les programmes en breton.

En 1982, c’est dans le domaine littéraire que l’artiste est sous les feux de l’actualité grâce à son roman quasi-autobiographique La grande Tribu où, sous le pseudonyme de Ange ROSSO, il raconte son expérience new-yorkaise. Il faudra attendre 20 ans pour voir arriver la suite avec la parution en 2002 de Appelez-moi Ange.

A partir des années 90, Youenn GWERNIG, vieillissant se fait plus discret. Il retourne à sa passion pour la sculpture. Il sort néanmoins deux CD, Eman ar bed va iliz en 1990 et Foeter bro en 1995, et participe au CD de l’Ensemble Choral du bout du monde en 2001, Buhez, sur lequel il interprète sa chanson Distro ar Gelted. On ne le voit quasiment plus sur scène non plus. L’une de ses dernières apparitions se fait à l’occasion d’un concert donné pour les 25 ans du groupe TRISKELL.

***

Youenn GWERNIG a profondément marqué le paysage culturel breton. S’il n’est plus là aujourd’hui, son œuvre et son engagement lui survivront longtemps et inspireront encore de nombreux musiciens.

« Bretagne, nous te ferons » écrivit un jour son ami Xavier GRALL. A sa manière, on peut sans conteste dire que Youenn GWERNIG aura contribué à « faire » la Bretagne.

Discographie

Distro ar Gelted (Arfolk) est le premier album de Youenn GWERNIG. Il a été enregistré en une journée, sans que cela ne nuise cependant à ses qualités. Youenn est accompagné par quelques musiciens de la génération montante : Les frères QUEFFÉLÉANT du groupe TRISKELL, Patrick EWEN et Gérard DELAHAYE. L’ambiance est plutôt folk celtique (guitare, harpe, violon, flûte), les chansons sont interprétées dans trois langues (breton, français, anglais), quelquefois au sein d’un même titre. Le musicien poursuivra ensuite cette pratique durant toute sa carrière. On retrouve également des poèmes mis en musique, Gwerz an Harluad (La complante de l’exilé) ou Gwez, et des traditionnels bien connus (Gwin ar C’hallaoued ou Son ar jistr). Mais des chansons, témoins des luttes sociales de l’époque, sont également présentes comme La Gavotte du Joint ou Les Bougnoules.

E kreiz an noz (Velia) est un album de rare sobriété. En effet, les chansons sont seulement habillées de quelques nappes de guitares et de violons. Ce sont les voix qui les portent (la voix de Youenn bien sur, ainsi que celle de son épouse et de ses filles). Outre la chanson titre qui est devenu un classique (reprise en 2003 par le Trio EWEN-DELAHAYE-FAVENNEC), on trouve sur cet album un autre titre Identity, qui sera repris ensuite par Graeme ALLRIGHT. Youenn GWERNIG se fait également plus militant avec des titres comme Breizh war zao (Bretagne debout) ou le très anti-militariste Gwerz Ti-Voujeret.

Le troisième album ne porte pas de titre. Seuls figurent sur la pochette le nom de l’artiste ainsi que cet étrange dessin semblant représenter des coccinelles et œuvre de Y. GWERNIG lui-même. Côté musique, le disque est dans la continuité des précédents, avec quand même un accompagnement plus important que sur E kreiz an noz (guitares, violon, piano, orgue, flûte, contrebasse). Les chansons sont toujours aussi belles et touchantes (N’am eus netra, et le premier titre en forme d’interrogation Why, Perag, Pourquoi ?). Une reprise d’Identity figure également au programme. Cet enregistrement est le dernier avant un long silence discographique de 10 ans.

Eman ar bed va Iliz (Lagon Bleu) est sans doute le disque le plus singulier de la carrière de l’artiste. Très synthétique en raison de la forte présence de claviers et de programmations de boîtes à rythme, il porte le son des années 80. Il ne contient que huit titres parmi lesquels on trouve deux reprises (E kreiz an noz et Breton blues) dont on préférera les versions originales. Parmi les musiciens, il est à noter la présence à la guitare et à la bombarde de Jean-Pierre RIOU (RED CARDELL). Malgré de bonnes chansons et une voix toujours aussi chaude, cet habillage ne correspond pas au style de l’artiste.

Foeter Bro (Keltia Musique) est le dernier album de Youenn GWERNIG. Par rapport au précédent CD, il est nettement plus chaleureux. On remarque d’ailleurs un retour aux arrangements country-folk. Des titres très enjoués comme Canada et Hent Montroulez le prouvent. Mais certaines chansons sont interprétés malgré tout dans un style plus proche du traditionnel breton (An Durzhunell). On navigue en fait entre les deux identités de l’artiste : bretonne et américaine. Cette fois–ci de nombreux musiciens sont venus participer à l’enregistrement et la palette sonore est variée (guitares, violon, harpes, basse, bombarde et même batterie). On retrouve entre autres les frères QUEFFÉLÉANT, Patrick EWEN et même Gilles SERVAT aux chœurs. Cet album est très réussi et Youenn GWERNIG nous montre ainsi, qu’à 70 ans, il est encore en forme.

Une compilation regroupant des titres des trois disques vinyles, non réédités à ce jour, et du premier CD est parue sous le nom de Identity en 2003.

On trouve aussi des textes de Youenn GWERNIG dans l’album Trema’n Inis d’Alan STIVELL (Stock ouzh an enez) et sur le premier 45 T de Pascal LAMOUR, introuvable aujourd’hui (Verc’hodenn).

Didier Le Goff

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