AFTER DINNER – Editions

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AFTER DINNER – Editions
(ReR Megacorp / Orkhêstra)

afterdinner-editionsAvant la J-Pop, tant courue de nos jours, il y a eu la « J-Avant-Pop ». Et pour découvrir cette pop avant-gardiste japonaise, il faut retourner une bonne trentaine d’années en arrière (piquant paradoxe !). Mais cette pop-music là n’a rien perdu aujourd’hui de son approche expérimentale, et sonne tout aussi fraîche, inventive, déroutante et passionnante qu’hier. Le premier album du groupe AFTER DINNER est de ces disques qui marquent l’aube d’une attitude et d’une démarche musicales inédites et dont l’écho a pu, par miracle, se faire entendre à l’époque en Occident, grâce au réseau de distribution mis en place par Recommended Records.

Ne cherchez surtout pas les refrains gnan-gnan, les « beats » décérébrants et les pom-pom girls court-vêtues, on parle ici d’une musique aux accents pop parce que chantée avec un minimum de mélodie, mais dont l’environnement sonore a été confectionné avec moult détails et nuances par un conglomérat de musiciens provenant de différents univers musicaux et apparemment soucieux d’élever la chanson pop au rang des beaux-arts, sans jamais en perdre son caractère naïf et insouciant.

Du reste, il suffit d’entendre la voix de la chanteuse et compositrice en chef HACO pour se laisser séduire. Son grain vocal est si empreint de juvénilité désinvolte et d’une douceur nonchalante qu’on se demande par quel pervers tour de cartes elle en est venue à s’aventurer sur les sentiers glissants de l’expérimentation électro-acoustique. À l’instar de groupes européens comme FAUST, THIS HEAT et ART BEARS, AFTER DINNER a conçu sa musique à l’aide des techniques d’enregistrements et d’édition de studio, lequel fait donc figure d’instrument à part entière.

Pour tout dire, AFTER DINNER était bien moins un groupe soudé et inamovible qu’une entité mouvante, avec HACO pour seul noyau. Chaque morceau de ce disque (qui remonte à 1984) a en effet été conçu avec des musiciens différents, certains étant multi-instrumentistes, et d’autres simples contributeurs de passage.

De toute façon, quels que soient les instruments utilisés, électriques, synthétiques ou acoustiques, ils ont été pour la plupart passés à la moulinette de l’échantillonnage et du montage sauvages sur des bandes manipulées à loisir pour transformer le son, ou le dévier en marche rapide ou lente. De même pour les voix, qui peuvent prendre un ton singulièrement lymphatique ou saugrenu. Ajoutez quelques bruitages auxquels on a conféré une vague fonction rythmique, et autres « objets sonores », et vous obtenez des tapisseries sonores brinquebalantes, abstraites et chimériques, dont les émanations souvent contemplatives (l’évanescent et vaporeux Glass Tube) font jeu égal avec des ectoplasmes sentencieux et claudicants (After Dinner), des bouffées de pure féerie burlesque (An Accelerating Etude, Soknya-Doll, Shovel & Little Lady) ou des pâmoisons post-psychédéliques (Dessert).

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Les compositions d’AFTER DINNER sont comparables à des estampes japonaises rétro-futuristes, ou à  des scènes du théâtre kabuki disjonctées par des tripatouillages électro-acoustiques. Certaines ont une armature plus proche de la conception classique que l’on se fait d’une chanson, comme ce Sepia-ture en forme de berceuse brumeuse déclinée en deux versions aux arrangements fort distincts, et Cymbals at Dawn, sorte de marche commémorative au rythme militairement rectiligne pour soldats rêveurs (« Army Dreamers » ?).

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Ce premier album d’AFTER DINNER est de nature à envoûter les oreilles funambules sans garde-fous ; il ne faut pas craindre d’y perdre pied, son avant-gardisme n’a rien d’effrayant ni d’arrogant.

Signalons aux collectionneurs scrupuleux que cette édition CD reprend le contenu de la version vinyle parue en 1984 sur ReR Megacorp, laquelle présentait de menues différences avec la version japonaise sortie à la même époque sur le label Kang-Gung Records. En fait, la version ReR a ajouté les deux morceaux du single paru en 1982. After Dinner et Cymbals at Dawn ne figuraient effectivement pas sur la version japonaise de l’album, qui était en fait un mini-LP (titré Glass Tube). Du coup, l’ordre des morceaux a été quelque peu modifié (de même que la pochette). Enfin, pour une raison inconnue, un morceau du LP japonais a été écarté de l’édition ReR (Désert, à ne pas confondre avec Dessert qui, lui, est bien présent).

En revanche, la version CD de ReR offre une ample sélection de titres bonus enregistrés live lors des concerts d’AFTER DINNER entre 1986 et 1990. Une bonne moitié de ces prises live sont totalement inédites, et quatre proviennent de la très rare Souvenir Cassette enregistrée lors de la tournée européenne du groupe en 1987 (pourquoi ne pas l’avoir rééditée intégralement ?).

Pour ces concerts, HACO était alors entourée de musiciens différents de ceux qui avaient participé à l’album, à deux exceptions près. (On notera la présence de la violoniste Takumi FUKUSHIMA, qui rejoindra le groupe VOLAPÜK dans les années 2000..) Ces Live Editions permettent de constater que cette musique a trouvé le moyen d’être jouée sur scène moyennant de sérieux réarrangements qui la rendent plus palpable. On comparera à cet effet les versions de Glass Tube, de Cymbals at Dawn et d’After Dinner, ce dernier étant notablement plus menaçant en live. (La version ici présentée est de plus un  » patchwork  » de plusieurs prises.)

On trouvera aussi d’autres chansons inédites à l’époque mais qui ont ensuite trouvé place dans le second album d’AFTER DINNER (A Walnut, Kitchen Life, Ironclad Mermaid), dans des versions évidemment encore transformées. De plus, trois raretés complètent le tableau : The Variation of « Would You Like some Mushrooms ? » ; RE, paru exclusivement dans le ReR Quarterly Vol. 1 – N°4, et The Room of Hair-Mobile, dont une version studio a été incluse dans la compilation Welcome to Dreamland, parue chez Celluloid en 1985.

Précisons pour finir que le livret de cette réédition contient les textes des chansons de HACO traduits en anglais, ce qui n’a pas dû être une mince affaire compte tenu du haut degré de surréalisme qui les habitent !

Quoi qu’il en soit, ce premier opus d’AFTER DINNER est un joyau indispensable à tout amateur de musique défricheuse et onirique ; il est à déguster de préférence… après le dîner !

Stéphane Fougère

Label : www.rermegacorp.com

Distributeur : www.orkhestra.fr

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