‘NORKST’ deus KREIZ BREIZH AKADEMI

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‘NORKST’ deus KREIZ BREIZH AKADEMI
(Innacor / L’Autre Distribution)

Cela fait déjà plusieurs années que le chanteur breton Érik MARCHAND, avec le concours de « Titi » ROBIN, a entamé une recherche sur les origines modales de la musique populaire de Bretagne, sur son tempérament « inégal » et sur les échelles spécifiques du répertoire breton (les intervalles de trois-quarts de ton), soit sur un système connu pour être plutôt utilisé par les ensembles de musiques orientales ou nord-africaines. La tendance, depuis les années 1950, à faire adopter à la musique bretonne les principes de la musique tonale, de l’harmonie, du contrepoint, de la polyphonie, des tons et demi-tons et du clavier bien tempéré cher à Jean-Sébastien BACH, a peu à peu institué une nouvelle norme de création en musique bretonne qui a pu occulter son essence monodique et ses racines modales, que les chanteurs de « gwerziou » (chant à écouter), de « kan ha diskan » (chant à répondre), ainsi que les sonneurs en couple biniou-bombarde ou les sonneurs de « treujenn-gaol » (clarinette) ont cependant préservé dans leur pratique et leur entendement.

Déjà, les albums d’Érik MARCHAND réalisés à l’aube des années 1990 avec Titi ROBIN, An henchou treuz et An tri breur, témoignaient de sa volonté de faire évoluer la création musicale bretonne à partir de ses bases modales, garantes de sa force expressive et de sa singularité. L’engouement pour les musiques du monde a depuis permis à un certain public de se familiariser davantage avec le système modal – nommé « makam » dans les musiques turques, moyen-orientales… – et c’est le même Érik MARCHAND qui, avec le disque Kan (paru en 2000), a souligné les communautés de mode entre les monodies bretonne, galicienne, malienne et les polyphonies albanaises et sardes.

C’est la même conviction qui l’a amenée à créer en 2004 un grand orchestre breton exploitant les racines modales du répertoire de Bretagne, la KREIZ BREIZH AKADEMI, dont le nom est à la fois un clin d’œil à une tristement célèbre académie médiatique aux vocations nettement moins pédagogiques et culturelles, et dont elle prend évidemment, non pas le contrepoint, mais le contre-pied !

NORKST (prononciation de « an orkestr » en Centre Bretagne) est le premier collectif issu de cette « Académie de musique populaire de Centre-Bretagne » (sic) et comprend 16 musiciens, chanteurs et chanteuses entre 20 et 30 ans que l’on a baigné dans l’entendement propre à la musique modale de Basse Bretagne, en les faisant travailler sur les modes usités par ces grands interprètes régionaux que sont Madame BERTRAND, Manu KERJEAN, JeanMarie PLASSART, François MENEZ…). Ainsi les jeunes « académiciens » se sont-ils appropriés un répertoire bas breton conçu par Érik MARCHAND dont les arrangements et les compositions ont bénéficié des connaissances d’artistes issus d’autres traditions modales, tel Ross DALY, Keyvan CHEMIRANI, Titi ROBIN et deux figures révélées par le groupe LES BALKANIKS : Hasan YARIMDÜNIA (auteur de la première référence discographique du label Innacor) et Tamer GIRNATACI.

Les modes ont été systématisés et les mélodies orchestrées spécialement pour cet ensemble, avec une place de choix allouée aux improvisation modales, voisines des « taksim » moyen orientaux. Sur le plan instrumental, il a fallu évidemment modifier et ré-accorder les instruments à accords fixes – d’où la guitare « frettée saz », la harpe « modale », l’accordéon hyper chromatique à quarts de ton, etc. – et repenser les techniques des clarinettes, saxophones et violons. Un documentaire vidéo inclus dans le CD retrace l’histoire de ce projet fort réussi, avec extraits de répétitions, master-class, concerts, commentaires et impressions diverses.

Présentant une musique orchestrale inédite entièrement dévouée à l’interprétation d’un art de tradition orale (celle de Basse Bretagne), l’album de NORKST baigne dans des mélopées, psalmodies, gammes, bourdons et trames rythmiques réconciliant Bretagne, Balkans et Orient, bref tout un vocabulaire fort répandu… « avant BACH », et ici réadapté avec une belle énergie joviale et sophistiquée tout à la fois. À l’axe « local-global » qui caractérise nombre de rencontres world, l’ensemble conduit par Érik MARCHAND substitue une perspective « locale-modale » qui universalise le swing breton.

Stéphane Fougère

Label : www.innacor.com

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°27 – novembre 2006)

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