Jean-François PAUVROS avec Antonin RAYON et Mark KERR – À tort et au travers

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Jean-François PAUVROS avec Antonin RAYON et Mark KERR – À tort et au travers
(nato / L’Autre Distribution)

Il y a des disques dont on se détourne à tort, et d’autres qui nous passent au travers. Celui-ci, à en juger par son titre, se targue de conjuguer ces deux tares, mais c’est en réalité un effet inverse qu’il provoque, à savoir celui de l’adhésion totale ! À supposer bien sûr qu’on ait l’esprit et les conduits auditifs ouverts aux itinéraires non balisés, aux virées sans œillères et aux escapades imprévisibles. Mais vous ne seriez pas sur cette page si ce n’était pas le cas, non ?

Faisant fi des formatages stylistiques et cultivant au contraire les rebondissements contrastés, À tort et au travers est de ces œuvres évoluant sur un fil de rasoir, gourmande d’embardées ascensionnelles sur des pics escarpés et tentée par des contemplations vertigineuses au-dessus des gouffres. C’est peu dire que la musique proposée par ce disque a le goût du risque et du relief et n’est pas du genre velléitaire. Il faut dire que les générateurs soniques de cette excursion en territoire sauvage ont des pedigrees taillés sur démesure.

L’initiateur de la cellule musicale à l’œuvre ici n’est autre que Jean-François PAUVROS, guitariste maquisard et agitateur sonore qui a ouvert en 1976 la voie d’un rock libre et expérimental en France avec son album No Man’s Land, en duo avec Gaby BIZIEN, puis en rejoignant le CATALOGUE punko-jazz de Jac BERROCAL. Puis est venue l’heure de la reconnaissance par un plus « grand public » (toute proportions gardées, bien sûr…) avec ses deux disques parus dans les années 1980 chez nato, Le Grand Amour et Hamster Attack, sans oublier ses collaborations à des albums aussi décisifs que Left for Dead de Barney BUSH et Tony HYMAS et Buenaventura Durutti.

En bon arpenteur de pistes buissonnières, PAUVROS a enquillé les collaborations les plus intrépides notamment avec d’autres irréductibles alchimistes français (Jean-Marc FOUSSAT, Noël AKCHOTÉ, Daunik LAZRO, Hélène BRESCHAND…) et d’autres têtes brûlées nippones (Keiji HAINO, Makoto KAWABATA, Setsuko CHIBA, Makoto SATO, etc.).

Une bonne trentaine d’années plus tard, Jean-François PAUVROS retrouve donc le label nato avec un « power-trio » inattendu et atypique. Le parcours du claviériste Antonin RAYON est d’un autre acabit ; pianiste de formation, il s’est aussi mis à l’orgue Hammond et au clavinet et a traîné ses guêtres dans les formations de Dominique PIFARELY, Alexandra GRIMAL et Sylvaine HELARY.

C’est depuis 2016 que PAUVROS et RAYON ont fait fructifier leur collaboration, à laquelle ils ont apporté la touche finale en recrutant le batteur Mark KERR, dont le CV est pour le moins éclectique (collaborateur des RITA MITSOUKO, SIMPLE MINDS…, fondateur du duo électro MAESTRO et participant à d’autres formations électro).

Seul un trio déviant pouvait accoucher d’une musique avançant « à tort et au travers », privilégiant les virages aux lignes droites, et sur des routes de préférence cahoteuses. Déployant une grammaire sonore aussi abrasive que délicate, alternant rugosité et sensualité, les guitares « préparées » ou non de Jean-François PAUVROS chahutent à loisir avec les orgue, clavinet, Moog, épinette et piano d’Antonin RAYON, propulsés par les frappes solides et versatiles, lestes ou blindées de Mark KERR, le tout aboutissant à un son compact, chaleureux et effervescent.

Si la musique n’est pas rectiligne et se livre à toutes sortes de déboitements et de dévoiements, elle est cependant fermement charpentée d’un bout à l’autre des trois quarts d’heure que dure ce disque, constitué de neuf pièces, et qui s’écoute d’une traite. Il est impossible de s’échapper de cette excursion ardente qui ne connaît aucun temps mort, même quand le rythme ralentit et que le climat s’apaise. Le trio « se déchaîne dans le noir » mais nous en fait voir de toutes les couleurs, aussi dense quand il cultive un veine free-rock débraillée (Punos on the I, La mer lèche les pieds des enfants oubliés) que lorsqu’il dépeint des atmosphères blues cafardeuses (Wish for long) ou des « planeries » acidifiées (Ailes, À portée d’ombre). En somme, c’est autant une musique de traverse qu’une musique de traviole !

Contre toute attente, le chant fait aussi partie du jeu ; il y a celui, caverneux et sépulcral, de Jean-François PAUVROS (Zigomar, Les Ponts), et celui, enfumé et désabusé, de Mark KERR (Wish for long, Marée basse). Tous deux égrènent ici et là des mots à eux et auxquels ils ajoutent quelques Illuminations d’Arthur RIMBAUD ou bien citent subrepticement Le Temps des cerises.

Des cris animaliers et des borborygmes surgissent également, et une conversation impromptue entre les trois musiciens en plein labeur témoignent de leur complicité. Il faut aussi souligner la fantasmagorique œuvre graphique du peintre ZOU qui orne les pages du livret et dont le style combine bande dessinée et surréalisme visionnaire.

À tort et au travers est une œuvre pleine et entière : son contenu est une exaltation pour l’oreille, son contenant est une délectation pour l’œil. Et elle a suffisamment de goût pour nous laisser langue pendante… Même rassasiés, on y revient, hagards et avides.

Stéphane Fougère

Site : http://jf.pauvros.free.fr/

Label (extraits en écoute) : www.natomusic.fr

PS : Le trio PAUVROS/RAYON/KERR était en concert à Paris lors d’une soirée célébrant les 40 ans d’aventure du label nato le 3 octobre 2020. Compte-rendu et photos sur cette page.

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