Bèrtran ÔBRÉE TRIO – Olmon E Olva

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Bèrtran ÔBRÉE TRIO – Olmon E Olva
(Dedd La / Coop Breizh)

Après avoir dirigé dans la première moitié des années 2000 le quintette ÔBRÉE ALIE, que l’on avait remarqué pour son ambition à projeter le chant gallo dans un environnement musical inédit, le chanteur, poète, linguiste et collecteur Bèrtran ÔBRÉE franchit une nouvelle étape de son parcours artistique en se produisant sous la forme d’un trio. Il y est appuyé par Erwan BÉRENGUER aux guitares électrique et acoustique (que l’on avait déjà entendu sur le dernier album d’ÔBRÉE ALIE, Venté sou léz saodd) ; et par le contrebassiste Julien STÉVENIN (HAMON/MARTIN, FRED COMBO…).

Ce nouveau trio met donc en résonance étroite la voix et les cordes dans des espaces fort éloignés du creuset originel est-breton, quand bien même le chant gallo de Bèrtran ÔBRÉE y impose – et c’est bien ce qui fait l’originalité de sa démarche – les volutes et les contours « patois » de sa singularité régionale.

Bèrtran ÔBRÉE écrit tous ses textes exclusivement en gallo (il n’y a qu’un seul morceau traditionnel dans ce disque, et il est paradoxalement issu d’un répertoire francophone), et fait montre d’une propension poétique saisissante. « Fais-moi découvrir ton pays, fais-le moi ressentir », chante Bèrtran ÔBRÉE dans Emmen Mae (Emmène moi) : c’est ni plus ni moins ce qu’il fait avec ses textes, où les éléments et les sentiments se croisent dans des paysages vespéraux (« La nuit se retient dans la vallée, silence des routes abritées… »), des sensations automnales (« vois combien le vent nous souffle dans le cou… »), des images contrastées (« des femmes caressant les pierres noires avec des chiffons blancs… ») ou saugrenues (« Des lutins sur le ventre sous le lit, des anges à côté… » ; « Nous laverons nos ailes dans l’eau bleue… »).

Du réalisme suranné et nostalgique à l’hallucination ludique et sémillante (« Les violons font vroum vroum au-dessus de la grande aire » – tout cela en gallo, bien entendu !), la poésie de Bèrtran ÔBRÉE largue les amarres et convie à un voyage intrigant et envoûtant.

On est loin du trajet touristique mené au pied levé avec l’œil rivé sur le portable qui indique aussi l’heure : ici on prend le temps de la baguenauderie existentielle, de l’étirement onirique, du soupir vivifiant, de la marche posée ou imposée par l’usure du temps ; on observe les poissons, la lune qui se noie au soleil, la Voie lactée, l’avion qui s’envole, les cheminées aux châtaignes noircies…

Dans le sublime et émouvant morceau éponyme à l’album, le cheminement vers le crépuscule de la vie est comme baigné de sérénité. Ailleurs, comme en écho, c’est la disparition programmée des langues régionales qui est pointée du doigt (Exils). À l’occasion, on prend aussi le temps de tracer un cercle de danse, sans verser dans le tapage festif obligé…

Dans tous ces hymnes aux chavirements discrets, gravité et légèreté cohabitent en bonne intelligence. Le traitement musical confirme lui aussi la volonté manifeste de Bèrtran ÔBRÉE et de ses complices de s’extraire des codes « bretonnants » en développant une grammaire ciselée qui puise dans des expressions contemporaines, improvisées, métalliques, blues, jazz et autres.

Mis à part deux morceaux plus enjoués clairement inspirés par des rythmes de danse, les compositions du trio s’inscrivent dans une esthétique qui privilégie les langueurs et les tensions, le rugueux et le suave, l’air et le liquide, l’ombre et le frisson. Le morceau d’ouverture, En’aotonn (En automne), est à ce titre un brillant concentré de l’exploration sonore et textuelle menée par les trois complices.

Le manifeste poétique qu’ils déploient tout au long de ce disque trace une trajectoire serpentine et cyclique (Olmon E Olva – « Vers le haut, vers le bas ») pleine de délicats remous.

Stéphane Fougère

Site : www.obree.fr

Distributeur : www.coop-breizh.fr

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n° 42 – Printemps 2009)

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