Bill CALLAHAN and Bonnie Prince BILLY – Blind Date Party

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Bill CALLAHAN and Bonnie Prince BILLY – Blind Date Party
(Drag City Records)
En cette période difficile de post-confinement mondial de longue durée, au cours duquel la musique et son industrie ont prestement récupéré les pertes financières engendrées par la pandémie, certains artistes se sont retournés sur leurs playlists et ont proposé en ligne des albums de reprises (covers) parfois ratés et pompeux (Peter HAMMILL) parfois peu intéressants ou paresseux (Cat POWER qui ne cesse de récidiver l’exercice sans y rien comprendre) qui pouvaient donner à la fois l’illusion d’une fatigue ou d’un manque de créativité de leur part ou un désir plus tangible et avoué de renflouer les caisses de la part de leurs maisons de disques.

Certes, il y a eu des réussites pour ces albums de reprises dans le passé (Nick CAVE plusieurs fois et même sur son propre répertoire) ;  il y a eu parfois des covers « à l’envers » :  soit une quinzaine d’artistes chantant tous du Léonard COHEN ou du Nick DRAKE, du VELVET UNDERGROUND ou même du Tim BUCKLEY (oui oui)  avec quelques très  rares pépites et encore et surtout de l’à peu près, assez mal fagoté et toujours fait en urgence.

Bref, l’exercice est très souvent assez vain, la plupart du temps très ennuyeux, parfaitement inutile, peu inspiré et en gros plutôt raté : le summum ayant été atteint pour la pléthore de reprises de toutes sortes pour (ou plutôt contre) un assemblage qui se voudrait définitif des chansons de Léonard COHEN ; parions que les cendres du « lonesome-hero » doivent vraisemblablement se retourner sans arrêt de honte dans le paradis des « beautiful losers » tristes sombres et usés (la seule exception étant la très belle reprise au piano-voix d’Hallelujah par John CALE).

Will OLDHAM (véritable nom de Bonnie Prince BILLY) a fait tous ces exercices de façon parfois dispersée et sous des noms divers et variés (PALACE, SUPER WOLFES,  etc.)  en collaboration avec toutes sortes de musiciens de tous bords, le long d’une carrière déjà très longue avec près d’une centaine d’albums au bas mot à son actif depuis 1991, allant même reprendre ses propres morceaux dans un « best of » réarrangé et ciselé pour les charts (les siennes !) soit le très élégant et peaufiné « Bonnie Prince Billy Sings Greatest Palace Music » paru en 2004, et peut-être une de ses meilleures ventes, même si tout cela reste toujours un peu confidentiel.

De son côté Bill CALLAHAN, qui appartient à la même maison de disques (Drag City), s’est essentiellement préoccupé de son œuvre propre que ce soit sous le nom de SMOG (14 albums parfois inégaux de 1990 à 2005) ou en solo (7 albums splendides de 2007 à 2020) avec très peu de collaborations et quelques rares invités au coup à coup en également 30 ans de carrière. On pourrait donc conclure par un : « À bas les tentatives de covers », qui fonctionnent allégrement comme du remplissage mercantile et hasardeux, à bas ces morceaux approximatifs qui font honte aux originaux même si parfois on sent un brin de sincérité de la part des artistes fans et peut-être transis ; enfin, pour ces assemblages hétéroclites, on sent véritablement et de façon désespérée que les tous derniers morceaux de ces compilations sont très souvent bâclés par l’artiste lui-même qui semble en avoir plus qu’assez de cette imposture.

Rien de tel pour le duo Bill CALLAHAN et Bonnie Prince Billy/Will OLDHAM qui en ce début de 2022, ont concocté un réjouissant Blind Date Party de 19 reprises toutes plus savoureuses les unes que les autres, et dont le spectre va de vieux morceaux un peu country à des chansons contemporaines mélancoliques et un peu mièvres (Billie EILISH). Ils poussent l’exercice en toute sincérité en hésitant pas à reprendre en ouverture du premier des deux CDs un morceau empli de joliesse des débuts de Cat STEVENS, artiste bien oublié et qu’on aura du mal à regretter, (Blackness of the Night), morceau transcendé par les deux musiciens en osmose parfaite et incandescente, chanson sur la solitude et la tristesse, morceau préféré de la fille d’OLDHAM que celui-ci lui chante pour l’endormir !, agrémenté de guitare acoustique et de synthés de l’artiste maison Azita YOUSSEFI.

Car la particularité de ces reprises est que les deux musiciens ont donné carte blanche à un invité (plutôt appartenant à l’écurie Drag City – havre qui rassemble tous ces artistes lo-fi – et à chaque fois différent) en collaboration ou en réalisation totale sur chacun des morceaux, par d’habiles allers et retours des fichiers musicaux (because pandémie).

Cette bonne et structurante idée fait que les chansons se sont réinventées et ont été redigérées au fil des échanges, et sont traitées au final en réelle collaboration (les notes des deux livrets expliquent en détail les processus et les préoccupations des différents protagonistes) aussi bien sous les formes de pseudo gospel, d’un peu de country music  traditionnelle (pas trop heureusement) ou en mode post rock ou expérimental. Les deux lascars n’hésitent pas à s’approprier en duo (splendide) des morceaux comme le difficile et âpre Sea Song de Robert WYATT (repris une première fois dans l’album hommage du NORTH SEA RADIO ORCHESTRA (2019)  qui lui, avait ré-interprété, de façon moyennement convaincante, tout l’album Rock Bottom de l’ami Robert qui fête ses 77 ans en ce début d’année).

Les deux compères vont même piocher des morceaux moins connus d’artistes qu’on n’attendait pas ici (Iggy POP et Lou REED) également un morceau de Léonard COHEN qu’ils ne pouvaient pas laisser de côté mais tiré de son album posthume de 2021 (The Night of Santiago) et un hommage vibrant avec le morceau The Wild Kindness au regretté David BERMAN (membre des SILVER JEWS et leader de son projet solo PURPLE MOUNTAINS) disparu en 2019 et que Drag City  a continué à éditer.

Le casting qui entoure les deux compères est prestigieux (David PAJO, Ty SEGALL, Sean O’HAGAN, soit la crème des artistes du label)  et on sent que la démarche a été égalitaire entre les deux chanteurs, pas de volonté de s’accaparer les vocaux, pas de duel d’égos ni de main mise des musiciens qui accompagnent au vrai sens du terme la démarche et même comble de la maitrise et de la bonne entente des deux, chacun a choisi un morceau de l’autre (Our Anniversary de SMOG et Arise Therefore de PALACE) en version « Drag City all Star Band » parmi les 19 reprises.

Pas la peine de sortir un titre du lot et rien à jeter tant les 19 morceaux sont tous magnifiques (et souvent bien supérieurs aux originaux) ; une mention spéciale sur OD’D in Denver (reprise d’un titre très country de Hank WILLIAMS Jr. qui dans la version initiale n’y va pas par quatre chemins dans le sordide) où le duo atteint la perfection et pour lequel le complice Matt SWEENEY fait des merveilles d’accompagnement. Bravo à la pochette intérieure à l’image de cette famille un peu déjantée (cherchez Will OLDHAM parmi les barbus !, et demandez-vous ce que fume Bill CALLAHAN ?) ; et félicitations pour les livrets très documentés et renvoyant à des clips vidéo pour chacun des morceaux.

Tout cela est enthousiasmant et comme dit l’époque : « arrêtons de bouder notre plaisir », car il est temps d’un urgent embarquement immédiat dans la galaxie de ces deux magnifiques loufoques de génie qui ont créé le duo le plus aventureux tous azimuts de la planète musicale de ce début de 2022. 

 
Xavier Béal
 
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