DÉFICIT DES ANNÉES ANTÉRIEURES (DDAA) – Action and Japanese Demonstration

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DÉFICIT DES ANNÉES ANTÉRIEURES (DDAA) – Action and Japanese Demonstration
(Fractal Records)

deficit-des-annees-anterieures-action-and-japanese-demonstrationSans doute parce que l’herbe paraît toujours plus verte ailleurs, on aurait tendance à oublier que la scène indé-expé-indus a aussi eu ses pionniers en France. Si la Grande-Bretagne a eu (et a toujours) NURSE WITH WOUND, si l’Allemagne a eu CAN, l’hexagone n’a pas été en reste, avec notamment DÉFICIT DES ANNÉES ANTÉRIEURES, qui a démarré à la fin des années 1970 et continue encore aujourd’hui d’œuvrer sur un terrain underground toujours plus obscur, comme l’a prouvé leur « concert plasmatique » donné dans le cadre de L’Étrange Festival à la Maison des Métallos, à Paris, en avril 2008.

Ça fait donc près de trente ans que ce trio de Basse-Normandie, devenue une référence de la marge française, s’active à diffuser son utopisme artistique polymorphe (fièrement qualifié de « vieille musique nouvelle » !) à travers des performances scéniques aussi rares qu’exceptionnelles, et par le biais de maints supports : K7, 45 tours, 25 cm, 33 tours, vidéos, CD, la plupart publiés sur leur propre label, Illusion Productions, sans oublier leurs contributions à maints compilations thématiques, comme ont fait d’autres groupes réfractaires aux sunlights (UN DÉPARTEMENT, LA S.T.P.O., PTÔSE…).

Aux commandes depuis les origines, Jean-Philippe FEE, Sylvie MARTINEAU-FEE et Jean-Luc ANDRÉ sont moins des musiciens, au sens classique du terme, que des plasticiens. On notera au passage que les initiales du groupe, D.D.A.A., forment l’anagramme de « DADA ». La référence à ce mouvement de pensée qui mit à mal les ornières artistiques au début du XXe siècle n’est évidemment pas anodine, puisque D.D.A.A. cultive à l’instar de celui-ci le goût du collage et de l’assemblage (sonores), et l’improvisation est son domaine de prédilection. Mais il ne s’agit pas pour D.D.A.A. de simplement détruire ou narguer les convenances, mais plutôt de déconstruire les formats musicaux usuels pour concevoir d’autres traces créatives.

Ses opus discographiques sont ainsi conçus comme des capteurs d’images prises durant leurs pérégrinations dans moult espaces à travers le temps et les cultures. Ainsi, dans leurs premières années, après leurs Aventures en Afrique (1980) et avant leur visite dans la Russie tzariste (Les Ambulants), le groupe a exploré la « nébuleuse japonaise » avec Action et Démonstration japonaise (1982), qui fut en fait leur premier véritable LP. L’importance historique de ce dernier se double d’une fort belle réussite artistique qui n’a pas perdu de son pouvoir de fascination.

Cet album explore une douzaine de projections liées à la « réalité occidentale du Japon ». Chaque pièce a été finement et minutieusement pensée comme un tableau jouant avec des archétypes sonores que l’Occident se fait de la culture japonaise, mais déviés et fondus dans des images sonores faisant intervenir des sources acoustiques, synthétiques et électriques. Guitares (basse, fuzz, préparée ou électrique), percussions, flûtes, claviers, voix vernaculaires, bandes et bruitages dessinent des reliefs climatiques riches, distillant un vaste horizon de mystères poétiques. Tout comme l’art traditionnel japonais fourmille de ces estampes appelées « ukiyo-e », littéralement « images du monde flottant », D.D.A.A. livre ses images flottantes d’un monde japonisant à la naïveté envoûtante.

Cette salutaire réédition en format CD, remixée et remastérisée jusqu’au bout des ongles, reproduit le LP d’origine sous forme de pochette cartonnée pliée à la main et avec deux rabats. Outre les inserts originaux, le livret contient des textes et même des photos inédites du groupe sur scène en 1979.

De plus, l’œuvre en elle-même a été augmentée de deux titres bonus tirés de la session d’enregistrement de l’album. Et comme si ça ne suffisait pas, on lui a adjoint une autre œuvre, Musique et Bruits du Bas Pa-Tat, formée de sept piécettes enregistrées pour une K7 qui accompagnait en 1985 la bande dessinée Mutants du Kwantung, conçue par l’un des membres de D.DA.A., Jean-Luc ANDRÉ. Si l’on quitte le Japon, ce n’est pas pour aller bien loin puisque l’on se retrouve dans la Chine d’avant J-C.

Cette réédition, aussi somptueuse dans sa forme que par son contenu, prend ainsi des allures de compte-rendu d’une « nébuleuse extrême-orientale » qui compte parmi les plus belles inspirations du DÉFICIT DES ANNÉES ANTÉRIEURES.

Site : http://hip.hip.ip.free.fr/ddaa/ddaa.php3

Label : www.fractal-records.com

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°24 – octobre 2008)

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