DÜN – Eros

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DÜN – Eros
(Soleil Zeuhl)

Soleil Zeuhl étant à priori le genre de label destiné à remplir les fonds de bacs spécialisés plutôt que les têtes de gondoles tout-public, le voir rééditer l’une de ses premières productions est assez bon signe de la réputation qu’il a fini par acquérir auprès des amateurs de musiques progressives de pointe puisque, apparemment… on en redemande ! Il est vrai que cette référence discographique était épuisée depuis quelque temps, alors qu’elle bénéficie d’un capital-intérêt toujours aussi élevé.

Unique disque enregistré par le groupe DÜN en 1981, Eros fait figure de perle échouée sur une côte décidément trop abandonnée et que personne n’a eu le temps de voir, et encore moins d’écouter… à moins d’avoir assisté à l’époque à un concert du groupe, seul « endroit » où il était possible de se procurer un des mille exemplaires qui furent tirés de ce disque auto-financé.

Ne bénéficiant d’aucune distribution, Eros fut un pur produit « underground » destiné à le rester. Du reste, ayant noué des relations avec les gars d’ÉTRON FOU LELOUBLAN, DÜN avait même été pressenti pour intégrer le réseau Rock in Opposition. Cela ne s’est pas fait pour d’obscures raisons, ce qui a cantonné le groupe à rester encore plus underground, malgré une performance en première partie de MAGMA !

Bref, si la parution d’Eros a relevé à l’époque du miracle, sa réédition CD l’est tout autant ! Pour ne rien gâcher, la musique de DÜN n’était pas de celle qui s’avale séance tenante. De prime abord, elle pouvait passer pour un aimable rock progressif printanier, avec ses claviers, ses flûtes et ses vibraphones mis en évidence, en plus des instruments plus basiquement rock (guitare électrique, basse, batterie). C’est pourquoi certains journalistes d’Outre-Atlantique l’ont rapproché de groupes québécois comme MANEIGE… avant de déchanter !

DÜN était manifestement contaminé par un virus peu engageant, celui de la dissonance et de l’atonalité, ce qui le rapprochait bien plus sûrement des UNIVERS ZÉRO et autres HENRY COW, en dépit d’une énergie plus primesautière héritée du jazz-fusion ou de l’univers de Frank ZAPPA. Quatre pièces formaient l’album (L’Épice, Arrakis [en référence à l’univers science-fictionnel de Dune, de Frank HERBERT], Bitonio et Eros), quatre pièces montées aux virages et aux rebonds aiguisés qui nécessitaient une attention de tous les instants, au risque pour l’auditeur de se retrouver bien vite largué dans le décor.

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Aux 37 minutes du LP originel, Soleil Zeuhl avait ajouté dans sa première édition CD quatre morceaux bonus qui doublaient la durée de l’opus. Hormis un morceau inédit, Acoustic Fremen, au climat moins nettement moins frénétique et plus posé que le reste, ces bonus consistaient en versions alternatives d’Arrakis, Bitonio et Eros antérieures à celles gravées sur l’album et qui avaient pour intérêt de présenter ces pièces avec des séquences et des arrangements différents, d’autant qu’à l’époque de ces enregistrements, DÜN comptait un saxophoniste dans ses rangs qui n’est finalement pas resté.

Mais globalement, on peut dire que c’est sur son album que le groupe déploie un son vraiment original, avec ses soli de flûte souvent doublés au vibraphone, et ses insolites sons de claviers.

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L’ajout dans cette nouvelle édition d’une autre version alternative d’Arrakis, chronologiquement située après l’autre version alternative mais avant la version définitive) donne une image encore plus aiguisée de l’évolution subie par le morceau. Ceux qui possédaient déjà l’édition CD précédente d’Eros jugeront en leur âme et conscience si l’ajout d’une version alternative (en plus de la remastérisation d’Udi KOOMRAN) suffit à justifier l’achat de cette nouvelle édition…

Ceux qui ne connaissaient pas encore cet obscur opus du rock progressif en France ont en revanche tout intérêt à se précipiter sur l’objet. (Les collectionneurs sont de même avertis que Soleil Zeuhl propose conjointement une édition vinyle limitée, avec seulement le contenu musical originel, bien sûr).

Même si la musique de DÜN s’écarte plus notablement des canons « zeuhl » (hormis un son de basse épais et des montées en puissance bien stimulantes) que d’autres productions ou rééditions du label, elle reste, en dépit de ses côtés forcément datés, d’une très bonne tenue et devrait délecter sans peine tout amateur de musiques progressives aventureuses.

Stéphane Fougère

Label : www.soleilzeuhl.com

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°33 – juin 2013)

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