Expériences de vol #1, 2 : Entretien avec Gérard HOURBETTE (ART ZOYD)

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Expériences de vol #1, 2

Entretien avec Gérard HOURBETTE (ART ZOYD)

Gerard-Hourbette-2001-1Dans sa définition, Expérience de vol semble fonctionner de façon similaire au projet Dangereuses Visions puisqu’il repose sur la par­ticipation de différents compositeurs et qu’il comporte plusieurs phases…

Gérard HOURBETTE : Il y a trois phases, en effet. Ce sont en fait des résidences assorties de commandes à des compositeurs qui leur donnent une sorte de « carte blanche » pour composer pour l’instrumen­tarium électronique – et donc travailler sur une musique virtuelle en temps réel – et pour un ensemble instrumental. Les résidences sont plus importantes que pour Dangereuses Visions, les compositeurs peu­vent faire un travail plus long, plus étalé dans le temps. Par contre, sur le plan instrumental, c’est plus réduit, mais ça a l’avantage d’être plus souple, de pouvoir diversifier les approches, de travailler plus normale­ment avec les instrumentistes « spécialisés ».

La sélection des composi­teurs répondait-elle à certaines conditions ?

GH : Non… C’est un choix qui s’est fait con­jointement avec la direction artistique de Mons Musiques, qui représente l’ensemble MUSIQUES NOUVELLES. Pour la première représentation de Expériences de vol #1, il y avait aussi l’Orchestre royal de chambre de Wal­lonie. Mais en fait, c’est à peu près les mêmes musiciens ! Y a que le nom qui change… Il y a des musiciens permanents dans l’Orchestre royal de chambre de Wallonie et des musiciens indépendants dans l’Ensemble MUSIQUES NOUVEL­LES. On a choisi ce dernier, qui est dirigé par Jean-Claude DESSY. Les conditions étaient, comme je le disais, que les compositeurs sollici­tés, suite à des rencontres, puissent utiliser telle ou telle partie des outils – d’écriture, d’échantillonage, de transformation du son… – qui leurs sont offerts à Maubeuge, dans nos studios.

Mais surtout, il y a une particularité qu’il n’y avait pas dans Dangereuses Visions, c’est qu’ils travaillent avec des assistants de musique, de la même manière qu’à l’IRCAM par exemple, sur des outils aussi pointus que la version « updatée » de Max MSP, un programme bien connu des utilisateurs d’électronique. C’est une gigantesque boîte à outils, en fait ! Et plein de programmes comme AudioScult… L’idée est surtout de mettre ce travail fait en studio en corrélation avec la scène et de pou­voir l’interpréter sous la direction d’un chef. Cela implique le moins possible de choses figées, mortes. C’est un thème de travail, pas une obligation.

Quant aux choix artistiques, l’idée est très proche de Dangereuses Visions, puisqu’il s’agit de donner la parole à des compositeurs dans le cadre d’un recueil de nouvelles. Chacun a son propre univers, son pro­pre style, et le but du concert n’est pas de présenter un travail de « cha­pelles », mais au contraire d’ouvrir de multiples portes pour voir un peu ce qu’il y a derrière… Ça n’a pas du tout la prétention d’un spectacle « fini », c’est avant tout un travail de recherche, et même un travail d’atelier, presque ! L’idée poétique sous-jacente est celle du vol…

Du reste, le projet porte le nom d’une ancienne pièce qui figure sur Marathonnerre, je crois ? Y a-t-il un rapport ?

GH : Aucun rapport. (rires) L’idée d’ »expérience » nous plaît, et le « vol » est un thème poétique pour aller d’un endroit à l’autre, même si l’endroit où l’on atterrit est finalement le même que celui d’où l’on est parti… C’est le défaut de certains dirigeables qui ne sont pas dirigeables !

Qui sont donc les compositeurs des Expériences de vol #1 ?

GH : Il y a Kasper T. TOEPLITZ (ancien membre de l’ensemble de basses électriques SLEAZE ART), qui a composé une première pièce qui s’intitule Biel (Blanc, en polonais). Il en a composé une seconde pour un deuxième concert dans la même formation, mais plus réduite, une pièce pour percussions, électronique et ensemble. Comme j’aime bien son travail, je lui ai demandé de participer, en tant que composi­teur associé, au nouveau projet d’ART ZOYD, Metropolis. Kasper a réalisé environ un tiers de la composition musicale de ce projet, et joue l’électronique et la basse sur scène avec ART ZOYD, uniquement sur ce projet.

Ensuite, il y a l’Italien Giovanni SOLLIMA. Lui, c’est un cas à part ; sa composition émane d’une commande double. Karole ARMITAGE lui a commandé cette musique pour son ballet Casanova, sorte de pas­tiche de musique ancienne de danse ou supposée telle. On a un peu aidé le projet à se réaliser en faisant la commande musicale pour ce ballet (David SHEA y a participé aussi). Donc, SOLLIMA était à part et en marge dans Expériences de vol. Nous, ça ne nous déplaît pas parce que c’est une musique complètement autre, mais c’est vrai qu’elle n’utilise pas l’électronique de la même manière que les autres. Elle est beaucoup moins expérimentale et plus extravertie. Mais elle représente, qu’on le veuille ou non, tout un pan de la création contemporaine, celui d’un retour à un néo-classicisme, le genre de chose qui existe dans toutes les avant-gardes. C’est vrai que, dans le cadre de ce festival, ça faisait un peu iconoclaste… (rires)

Jérôme COMBIER, pour sa part, vient du conservatoire. Il s’est présenté spontanément pour faire un stage dans ART ZOYD sur l’électronique. À l’époque, on était en résidence avec l’Orchestre national de Lille et je n’avais donc aucune proposition précise à lui faire. Je lui ai quand même demandé d’orchestrer Symphonie pour le jour où brûleront les cités pour le troisième cycle de Dangereuses Visions. C’est ainsi que je l’ai connu. Je suis allé au conservatoire de Paris, où ses piè­ces commençaient à être jouées. Il m’a fait parvenir des partitions, des cassettes, et voilà… Puisque l’idée est aussi d’avoir des compositeurs d’origine et de niveaux différents, COMBIER représente un peu les gens qui arrivent sur le terrain.

Quant à David SHEA, c’est un Américain installé depuis peu à Bruxel­les et qui s’est connaître pour son travail avec John ZORN et le projet Cobra. Il a fait aussi des bandes son pour le cinéma. En fait, il a d’abord étudié à la « School of Performing Arts » d’Indianapolis et, une fois à New York, a joué pas mal en solo ou avec des ensembles. Il a fait du free, de la musique électronique, du multimédia et a même travaillé comme DJ ! Depuis dix ans, il a laissé tomber l’électronique pour davantage se pencher sur les samplers. Et puis, il a dû réalisé une ving­taine de disques, sans parler des « collectifs ».

Présentez-nous votre pièce, Danses mécaniques.

GH : C’est une pièce qui a été écrite spécialement pour ce programme. Sachant que ce ne serait pas de l’électronique pure, j’ai fait une sorte de pastiche sur un scénario assez simple en fait. C’est une parodie de danses rock, slow, une histoire de gens qui feraient une fête pour essayer de retenir quelqu’un ou une situation qu’ils aiment et qui finira de toute façon par disparaître. En résumé, c’est une pièce sur l’inutilité et sur l’hypocrisie. Elle a besoin, pour bien passer en public, d’être extrêmement outrée, d’être exagérément triste au début et à la fin et d’être exagérément « clown » au milieu. C’est l’une des rares pièces où je fais semblant de m’amuser. (rires)

Globalement, quel bilan tirez-vous des représentations données au festival Musique Action ?

GH : Ce type de festival ne représente pas les conditions idéales pour ce genre de concert, en termes de concentration, d’écoute pour le public, et en termes de temps d’installation, de préparation et de concentration pour les musiciens. C’est une musique qui n’est pas facile, elle a besoin d’une journée complète d’installation et de réglage. Et c’est vrai que, là, notamment pour ma pièce, c’était un peu « Rendez-vous à la gare ! ». Pour la représentation de Expérience de vol #1, j’ai bien senti que personne n’était à l’aise.

Il y a eu d’autres concerts avant celui de Vandœuvre, dont deux avec des formules différentes, réduites, avec moins de cordes : un nonet et un quintet. Ma pièce, par exemple, sonne beaucoup mieux avec un quintet qu’avec quinze cordes. A l’avenir, je pense que les formules réduites seront plus recherchées, question d’équilibre entre l’électronique et l’acoustique. Le compositeur a tendance à rendre l’électronique décorative s’il y a un orchestre pesant. On avait déjà vu ça avec Dangereuses Visions… Très peu de compositeurs usent de l’électronique comme « squelette principal ».

Gerard-Hourbette-2001-2Comment ont été choisis les nouveaux membres d’ART ZOYD ?

GH : On choisit les gens qui puissent répondre à tel projet. Tout se fait par relations, en fait. On ne va pas passer de petites annonces ni faire un concours de recrutement. Et puis, il y a aussi le courant de sympathie. Il y a des compositeurs avec qui on se dit qu’on aimerait bien travailler. Mais si, au bout d’une minute qu’on est avec eux, on n’a pas réussi à s’échanger un sourire, c’est que ça ne se passera pas bien pendant la résidence.

Donc, en général, les musiciens recrutés le sont pour un projet. Cela dit, TOEPLITZ en a fait plus d’un et Horatio RADULESCU cherchait un studio pour produire un disque avec 42 gongs accordés en micro-tonal, et je lui ai proposé de faire ça chez nous.

Sur Expériences de vol #1 et 2, ART ZOYD n’était représenté que par trois nouveaux musiciens. Pourquoi ?

GH : C’est un choix au départ. Mais si c’était à refaire, je ne mettrai pas le nom d’ART ZOYD sur cet ensemble. Cela donne une image assez trouble des différents aspects d’ART ZOYD. Au départ, ça me semblait bien qu’ART ZOYD, en plus de ses projets « classiques », soit associé à des projets de musique contemporaine ou à des projets ama­teurs, studio, etc. Maintenant, j’ai peur que beaucoup de gens n’y comprennent plus rien.

Il y a eu en effet cette impression que ce projet dépassait nettement le « cadre » d’ART ZOYD…

GH : À la base, cela vient d’une volonté de se remettre en question et de se renouveler. Mais cela implique d’accepter le risque de se retrouver à côté de ses chaussettes. (rires)

Le problème, si l’on ne dissocie pas le nom de ce projet, est que certaines personnes risquent de faire erreur sur la marchandise. Quand on est fromager et qu’on vend à la fois du camembert et du bleu d’Auvergne, il faut bien étiqueter les produits à un moment donné, ne serait-ce que pour respec­ter les goûts du public et ne pas le forcer à voir des choses qu’il n’a pas envie de voir.

Y a-t-il un CD de ces Expériences de vol en préparation ?

GH : Ce sera un triple CD. On y retrouvera les compositeurs du pre­mier cycle, qui est déjà enregistré et mixé, mais aussi ceux du deuxième (Jean-Christophe FELHANDLER, Horatio RADULESCU, Fausto ROMITELLI et Jean-Luc FAFCHAMPS), et ceux du troisième, actuellement en cours, c’est-à-dire Atau TANAKA, Gualtiero DAZZI, Jean-Claude DESSY et Ryoji IKEDA.

Sera-t-il présenté comme un disque d’ART ZOYD ?

GH : Pas du tout. Je ne suis même pas sûr que le nom ART ZOYD apparaisse pour la production. (rires)

Entretien réalisé par Stéphane Fougère et Sylvie Hamon
à Vandoeuvre-les-Nancy lors du Festival Musique Action 2001

Site : http://www.artzoyd.net/

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