Gambie : Jali Nyama SUSO – L’Art de la kora

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Gambie : Jali Nyama SUSO – L’Art de la kora
(OCORA Radio France)

Parmi tous ses enregistrements de musique traditionnelle du continent africain, le label OCORA de Radio France ne pouvait pas négliger de remettre à disposition cet album, dont la première édition CD remonte à 1996 mais qui, à l’origine, avait été publié en disque vinyle en 1972. Il avait alors fait grand bruit, puisqu’il s’agissait à l’époque, selon les notes liminaires du livret, de la « première publication mondiale d’un album de kora solo » (sic). Les spécialistes objecteront que ce ne fut pas exactement le premier disque consacré à  l’art soliste de cet instrument (le LP Lalo Kéba DRAMÉ et sa cora lui est antérieur, puisque publié en 1967 sur un label de Dakar ; et il y a eu bien sûr Cordes anciennes en 1970, consacré toutefois à la tradition malienne), mais il fut plus sûrement celui qui a le premier bénéficié d’un rayonnement international.

Pratiquée dans l’ensemble des pays de l’Ouest africain de cultures mandingues (la Gambie, le Sénégal et la Guinée Bissau), cette harpe-luth à 21 cordes que l’on appelle la kora charrie une tradition vieille de plusieurs siècles, celle des griots que l’on nomme « jaliyaa », soit la voie des chanteurs, orateurs et musiciens professionnels de la société mandingue, les « jalolu » (pluriel de « jali »). Ces derniers sont en quelque sorte l’équivalent des géwel wolofs, des gawlo peuls, ou encore des qawwwals arabes, ou bien même des bardes celtes et des troubadours de l’Europe médiévale.

Plusieurs siècles durant, et ce au moins depuis l’unification du peuple mandé sous l’empire du Mali au XIIIe siècle, les jalolu ont pratiqué leur art au sein de la cour des rois et autres personnalités politiques et religieuses des grands clans familiaux en tant que conteurs, chanteurs, historiens et généalogistes. Au XXe siècle, en dépit de la désintégration des structures traditionnelles et de modes vies qui allaient avec, et du remplacement des anciens royaumes par des circonscriptions administratives, les descendants de ces griots ont survécu en tant que musiciens itinérants et amuseurs publics, se produisant lors de cérémonies religieuses et de fêtes nationales ou jouant pour les radios, pour les touristes, etc. De fait, la pratique de la kora est resté assez importante, notamment en Gambie et en Casamance (Sud du Sénégal). Mais c’est quittant sa Gambie natale que l’artiste qui se fait entendre sur ce disque a été reconnu comme l’un des plus éminents joueurs de kora.

De son vrai nom Mohamadu Lamin SUSO, Jali Nyama SUSO a appris les différents styles régionaux du jaliyaa en servant d’apprenti à son père lors de ses voyages, tout en portant également son intérêt sur la musique occidentale. Cela lui a valu de remporter le premier prix du concours de l’hymne national de la Gambie en 1965. C’est en 1971, soit un an après que la Gambie soit devenue une république intégrée au Commonwealth britannique, que Jali Nyama SUSO a eu l’opportunité de quitter l’Afrique pour aller enseigner aux États-Unis, devenant ainsi le premier « korafola »(joueur de kora) à obtenir un poste de professeur titulaire dans l’importante Université de Washington. C’est à cette occasion qu’il a enregistré la musique de cet album. Ses enregistrements ont ensuite été transmis par l’un de ses élèves, Roderic KNIGHT, à Charles DUVELLE, fondateur d’OCORA qui les a publiés, avec des notes de livret rédigées par KNIGHT lui-même. Ces notes, assez copieuses, traitent autant de l’histoire de SUSO et de la kora que de l’histoire du peuple mandé, et donnent de pertinents détails sur les pièces jouées.

Ces dernières sont à la base des chants ou des adaptations de chants. Traditionnellement, le rôle de la kora est effectivement d’accompagner le chant, lequel peut être assuré par le korafola lui-même ou par un chanteur (ou une chanteuse) soliste. Mais certains de ces chants ont été adaptés pour devenir des pièces solistes de kora, dont l’ostinato (« kumbengo ») a fait l’objet de variations, et qui comprennent des passages improvisés (« birimitengo »).

Dans les six morceaux qui formaient le répertoire du LP original de 1972 (titré alors Mandinka Kora), Jali Nyama SUSO présentait les quatre formes standard d’accordage de sa kora (tomorabaa, hardino, sauta et tomora mesengo). Son disque offrait un répertoire varié, puisant dans les thèmes traditionnels faits d’épopées historiques (Cheddo), de dédicaces à des personnalités historiques de la Gambie (Kuruntu Kelefa / Kelefabaa, Yundum Nko, Alifa Y aya, Tabara) et présentant également des thèmes plus contemporains (les relations amoureuses et la beauté physique dans Fanta, ou encore des suites de proverbes dans Jimbasengo).

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Lors de sa réédition en CD en 1996, cet album s’est vu augmenté de trois pièces supplémentaires, que l’on retrouve bien évidemment dans cette belle réédition en CD digipack. Singulièrement placées en plein milieu de l’album – soit entre la face A et la face B d’origine – ces pièces « bonus » sont un peu plus anciennes que celles gravées pour le disque original, puisque datées de 1970.

L’une d’entre elles, Kura, s’est même substituée à celle présentée sur l’édition vinyle, qui était plus courte. La version de Kura qu’il nous est loisible d’écouter en version CD est donc intégrale et dépasse le quart d’heure. Surtout, elle est la seule pièce sur laquelle Jadi Nyama SUSO sort de son rôle de soliste, devenant simple accompagnateur d’une chanteuse, Jali Kani SUMANO, qui déploie son talent vocal dans un « sataro », un long récit en vers, le ponctuant de claquements de doigts très particuliers. Outre Jali Nyama SUSO à la kora, le récit bénéficie du renfort instrumental d’Abdulai SAMBA, un joueur de luth « kontingo » (appelé aussi « N’goni »).

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Une autre de ces pièces supplémentaires, Fanta, permet d’entendre Jali Nyama SUSO jouer en duo improvisé avec un autre artiste guinéen, Ansumana DIABATE, à la guitare dobro. Les deux instruments y sont accordés de manière à avoir un son assez proche.

Jali Nyama SUSO nous a quittés en 1991 des suites d’une tuberculose. Son héritage discographique est resté bien maigre puisqu’après cet album, il n’a apparemment enregistré que deux autres disques : celui publié en 1985 par le label allemand FMP, Kora Music From Gambia, a été réédité en CD en 2003, mais celui paru sur le label danois Sonet en 1977, Songs from the Gambia, n’a jamais été réédité.

Remercions donc OCORA d’avoir songé à rendre de nouveau disponible cet album séminal de SUSO qui a pavé le terrain et ouvert la voie pour d’autres grands joueurs de kora, tels que Alhaji Bai KONTE, Salieu SUSO, Amadu Bansang JOBARTEH, Dembo KONTE, Foday Musa SUSO et Tata DINDIN, pour ne citer que des artistes gambiens.

Stéphane Fougère

Page label : https://www.radiofrance.com/les-editions/collections/ocora

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