KREIZ BREIZH AKADEMI #7 : HED

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KREIZ BREIZH AKADEMI #7 : HED
(DROM / Coop Breizh)

Ça vous est sûrement arrivé quand vous vous baladiez dans quelque ville ou village de Bretagne un jour de célébration quelconque, et que vos poils se sont dressés à l’écoute d’un son continu aigu et strident, un épais bourdon venu… de l’espace ? Non, de notre bonne vieille Terre, qui plus est émis non pas par un instrument, mais par un collectif d’instruments en train de s’accorder, un ensemble de cornemuses et de bombardes formant ce qu’on appelle régionalement un bagad. On n’oublie pas un tel bourdonnement, sans doute parce qu’il donne l’impression d’entendre l’activité d’un essaim d’abeilles dans une ruche qu’un micro aurait capté et dont la masse sonore aurait été démultipliée, amplifiée. En breton, un essaim se dit « hed ». 

HED : c’est précisément le nom que s’est choisi le septième collectif issu de la désormais inévitable KREIZ BREIZH AKADEMI, ce programme de formation professionnelle pour jeunes musiciens bretons doublé d’un laboratoire expérimental portant sur les musiques modales et populaires de Bretagne, chaperonné par Érik MARCHAND. Et pourquoi HED ? Parce que l’expression de base de ce collectif met justement l’accent sur le bagad, ici conçu sous une forme « élargie ». « À l’aide ! » crieront les non-initiés ; « À HED ! » rétorqueront les auditeurs curieux de nouvelles expériences. Ce collectif a décidément pensé à tout !

HED, c’est pas moins de dix-huit musiciens, répartis sur un pupitre de quatre bombardes, un pupitre de six cornemuses et un pupitre de trois percussionnistes. Mais si l’on parle de bagad élargi, c’est aussi parce que certains sonneurs du collectif troquent occasionnellement leur bombarde ou leur cornemuse contre une trompette, un trombone, un saxophone, un binioù, une flûte traversière, une treujen-gaol (clarinette bretonne) et un cornet à piston. Pour soutenir pareil mur du son, il fallait également une palette de percussions élargie, aux couleurs variées et exotiques : aux tambours et caisses claires usuelles d’un bagad, HED ajoute pandeiro, riq, derbouka, djembé, karkab, cajón, tamburello, tapan, talking drum, cymbales et autres tabours à peau animale, sans parler d’une batterie hybride électro !

L’épaisseur du son est renforcée de plus par une basse électrique, une basse fretless (Dina RAKOTOMANGA) et une guitare électrique à frettes mobiles (Ignacio NAON). Face à une telle armada sonique, on pouvait craindre que la chanteuse (Élodie JAFFRÉ) et le chanteur (Axel ANDEAU) réquisitionnés soient noyés comme des poissons dans la vase, il n’en est rien : leurs timbres, purs, consistants et chaleureux, font bien plus que surnager la masse sonore qui les entourent.

Dirigé par Érik MARCHAND, parrainé par le sonneur André LE MEUT, qui a veillé aux subtilités d’interprétation de l’ensemble, et bénéficiant des factures de bombardes et de cornemuses tempérées réalisées par le luthier Tudual HERVIEUX, HED a mis les petits plats dans les grands pour réaliser des arrangements originaux et plantureux sur un répertoire de Basse-Bretagne et du pays vannetais hérité de grands noms de la musique populaire régionale, comme les Sœurs GOADEC, Christian et Catherine DURO, Manu KERJEAN, Herri RUMEN, Éleonore PROVOST, Le GAL et Le NOUVEAU, à partir d’enregistrements collectés par l’agence Dastum.

Ceux-ci ont été dument analysés pour mettre en valeur des thèmes et des variations mélodiques, des lignes rythmiques, des échelles et des tempéraments sur lesquels de grands spécialistes des musiques modales (Titi ROBIN, Fawaz BAKER, Mehdi HADDAB, Sylvain KASSAP, François CORNELOUP, Jesse BANNISTER, Samir KURTOV, Naissam JALAL, Iyad HAIMOUR) ont partagé leurs connaissances et proposé des modes d’improvisation, des structures rythmiques, des orchestrations, à partir desquels le collectif a mitonné son étonnante tambouille à base de concoctions locales et d’épices mondiales.

Les pièces de cet album prennent le plus souvent la forme de suites de danses et de thèmes traditionnels, auxquels se mêlent ici et là subrepticement des compositions instrumentales de Titi ROBIN, du saxophoniste anglo-indien Jesse BANNISTER ou encore du compositeur contemporain Louis HARDIN, alias MOONDOG ; tandis que les « kan ha diskan » et complaintes bretonnes voisinent avec des adaptations de poèmes persans de RÛMI, de Khalil GIBRAN et un ancien conte indien. Histoires d’ici et de là-bas, d’hier et d’avant-hier prennent alors une nouvelle résonance avec cette musique protéiforme aux surprises et rebonds continuels.

HED voit donc grand, énorme, comme le son qu’il prodigue, avec une maîtrise, une précision et une assurance époustouflantes, mis en relief par une prise de son exceptionnelle compte tenu que l’album a été conçu à partir de captations live, en concert et en répétition. Il se dégage de ce disque une profusion de couleurs qui cohabitent avec intelligence et sensibilité, et une chaleur toute particulière dans l’interprétation.

HED a ainsi parfaitement réussi son pari qui consistait à adapter des modes de jeu à l’ancienne de la musique de bagad à une formation plus ample qui intègre d’autres couleurs et modes sans lui faire perdre son identité culturelle, mais en lui dessinant de nouvelles et exaltantes lignes d’horizon. Écoutez donc le monde bourdonner…

Stéphane Fougère

Page : www.drom-kba.eu/-KBA-7-.html

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