La Société des Timides à la Parade des Oiseaux (La STPO) – En tranches explosives

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La Société des Timides
à la Parade des Oiseaux

En tranches explosives

Stpo-01Apparue dans la seconde moitié des années 1980 mais restée fort discrète en terme de reconnaissance médiatique et publique, LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX (LA STPO) est probablement l’un des secrets musicaux les mieux gardés de l’Hexagone. Nourrie de divers mouvements d’avant-garde musicaux et poétiques, de Dada et du surréalisme au rock expérimental, « in opposition », des années 1970-80, la formation a conçu un imaginaire musical et textuel insolite qui n’appartient qu’à elle et dans lequel nous vous proposons de pénétrer, alors même qu’un nouvel album voit le jour.

* Un imaginaire éruptif

La France est un territoire décidément propice à l’éclosion de mondes ou folklores imaginaires servant de fondement ou de façade à une proposition musicale. Il y a eu bien sûr MAGMA, GONG, qui ont chacun développé à leurs débuts un mythe planétaire peuplé d’êtres de l’ombre ou de créatures gnomiques invisibles. L’imaginaire concocté par LA STPO n’a peut-être pas généré de mythe « spatial », mais nous parle de société primitive imaginaire, de totem humain découvert par une société d’oiseaux érudits (Idol)… Ce monde est peuplé de personnages étranges et dissonants, mi-volatiles, mi-humains, de peintres-artificiers, d’êtres guerriers aveuglément sanguinaires (le colonel Marsac de Markale) ou encore d’identités inverties (Le Femme) qui ont brillamment inspiré JimB, le concepteur des splendides pochettes de LA STPO…

Et surtout, LA SOCIÉTÉ, par le biais de sa plume visionnaire, Pascal GODJIKIAN, a élaboré un langage qui lui est propre, empruntant ses mots au français, à l’anglais, à l’allemand, à l’arménien, à l’espagnol, et à d’autres langues aux origines plus troubles, mais les assemblant dans des constructions syntaxiques inattendues ou construisant des mots nouveaux afin de mettre sur orbite des projections oniriques cryptées. Ruptures et contrastes définissent la dynamique de cet «esperanto» auquel la voix expressionniste du chanteur donne des reliefs escarpés.

L’écriture musicale révèle une nature semblable. A ces vocaux aux mille visages s’adjoignent des timbres foisonnants, des climats ouvragés, des structures hachées, sinueuses, mais jamais complaisantes ou confuses, refusant la virtuosité soliste superflue comme la boursouflure lyrique. Ainsi, dans son premier EP (Thousand Days, paru en 1986 sur le label Illusion Production, créé par le groupe dadaïste de Caen DÉFICIT DES ANNEES ANTÉRIEURES), puis dans son premier LP éponyme (1990), LA STPO privilégie la concision, la durée des pièces musicales oscillant généralement entre une et deux minutes. Par la suite, les compositions se feront plus denses et tortueuses, toujours travaillées au millimètre.

D’une certaine manière, l’écriture de LA SOCIÉTÉ présente des analogies avec le processus des rêves, puisqu ‘elle adopte leur principe de discontinuité et de successions contrastées. Les compositions prennent volontiers l’allure de scénarii déroulant une suite d’images et de sensations, tel un théâtre mental dont les scènes défileraient et se bousculeraient dans un chaos rigoureusement ordonné.

LA STPO s’est construite un vocabulaire instrumental et vocal personnel à la fois sophistiqué et inclassable, pas vraiment sous influence directe et encore moins idolâtro-référentiel. Dans cette optique, la question des influences musicales paraît évidemment intempestive. Les membres de LA SOCIÉTÉ ont certes des goûts communs ou des affinités stylistiques, mais se gardent bien d’en recracher des copies serviles. Pour schématiser, disons que la musique des TIMIDES prend toutefois la forme d’un rock avant-gardiste dadaïsé, heurté, contrasté, tout en éruptions contrôlées et récurrentes, épicé de burlesque, de champêtre et de grinçant. Elle est par voie de conséquence nourrie des apports de moult esprits pionniers des musiques dites nouvelles, de l’avant-rock, ceux du Rock In Opposition (on pense notamment à ETRON FOU LELOUBLAN et Albert MARCŒUR pour ces rythmiques bancales et ces vocaux théâtralisés), mais aussi pêle-mêle THIS HEAT, David THOMAS, THE EX, FAUST, THE RESIDENTS et KING CRIMSON. Pour les vocaux, on subodore la trace de diverses musiques ethniques… Chacun est libre d’y trouver encore autre chose, moins par évidence que par résonance.

* Parade sonore et société volatile

Stpo-05Dès ses débuts, LA STPO ne s’est encombrée d’aucune restriction en termes d’instrumentation : guitares électriques et basses, xylophones, contrebasses, saxophones, synthés, métallophones, tubagas, clarinettes, balafons, etc. sont autant d’instruments récurrents, et ce quelles qu’aient été les fluctuations de personnel au sein de la PARADE volatile.

Sur son premier album éponyme, LA STPO comptait il est vrai pas moins de douze membres. Durant ses vingt années d’existence, elle a accueilli dans ses rangs une bonne trentaine de musiciens. On ne saurait la confondre cependant avec un collectif, puisqu’un noyau dur en cimente le fondement. Aujourd’hui, LA STPO est composée de Pascal GODJIKIAN (voix), Patrice BABIN (batterie, percussions), JimB (guitares), Christophe GAUTHEUR (cuivres, claviers) et Benoît DELAUNE (à la basse, en remplacement de François MOREL, lui-même ayant succédé à Jean-François BATTAGLINI), mais accepte volontiers toute contribution externe ou « pigiste ». La formation s’étant resserrée par rapport à ses débuts, les membres officiels officient donc, selon les besoins, sur divers instruments – jusqu’aux voix chorales sur les morceaux a capella. On comprend à quel point LA STPO fait preuve de méticulosité et ne néglige aucune piste timbrale pour créer l’impact souhaité. Elle a l’obsession de la moindre touche colorée et une obstination hyperréaliste à faire vivre en relief ses histoires surréelles insolentes et fébriles.

À l’exception peut-être du mini-CD Le Femme, les disques de LA STPO ne sont pas à proprement parler des albums-concepts, même si une thématique s’en dégage. En revanche, il y a des idées et des thèmes récurrents. La parution en 2005 de l’album Le Combat occulté, qui regroupe des enregistrements inédits de deux périodes (1992-93 et 1989-84), a démontré que certaines pièces ont fait l’objet de plusieurs versions. Mais d’autres ont aussi fait l’objet de « suites ». Par exemple, Idol 2 prend une tournure différente d’Idol (de même que Who’s afraid of Red, Yellow and Blue, dans Les Explositionnistes, est significativement sous-titré Idol 4), et Markale 2 est une déclinaison, une variation de Markale, mais qui a suivi son propre développement. Si la musique de LA STPO est un kaléidoscope, sa discographie n’est pas loin de ressembler à un jeu de pistes…

* Une musique picturale

Stpo-02-Les-explosisionnistes C’est à la suite d’un trouble esthétique provoqué par la contemplation d’un tableau que le chanteur Pascal GODJIKIAN – alors en divorce du groupe rennais SARAJEVO, qui cherchait à réconcilier PERE UBU, WIRE et MARQUIS DE SADE – a eu la révélation du nom que portera son prochain groupe : «Shy Society at the Bird Parade», qu’il s’empressera de traduire en français. L’origine du nom est donc lié à une vision, un «appel», un «ricochet» mental provoqué par une peinture et a été choisi pour tous les possibles poétiques qu’il ouvre. La peinture est ainsi devenue un terrain privilégié d’inspiration musicale pour LA STPO.

Cette connexion entre picturalité et musicalité sera dûment développée dans l’album (le premier de la période liée au label nantais Prikosnovénie) Les Explositionnistes. Ces derniers sont des peintres «dont les créations se poursuivent en qui les regarde par l’effervescence d’un univers intime et rajeunissent son regard sur la réalité» (sic). Des tableaux de Max ERNST, Pablo PICASSO, Barnett NEWMAN, Asger JORN, Lyonel FEININGER et ERRÓ (Skylab, dans l’album Expériences de survie) ont ainsi été perçus par LA STPO comme déclencheurs d’explosions mentales et sensibles qu’elle a cherché à retranscrire dans son langage musical : du post-punk théâtral à la musique de chambre contemporaine, la palette est large et les tons choisis en fonction des nécessités dictées par le thème de base.

Outre ces morceaux traduisant les émotions et visions extatiques suscités par des œuvres picturales, d’autres pièces de LA STPO renvoient à des événements réels peu glorieux, comme Au parc des avant-tués et Sarajevo-Stepanakert, lequel fait ouvertement référence à un épisode historique précis au cours duquel la cruauté et la barbarie guerrières ont hélas imposé leur loi.

Stpo-03 Dans l’album Expériences de survie, Markale et Stupnido-Soumgaït pointent du doigt les massacres perpétrés à Sarajevo, en Bosnie, le génocide arménien en Azerbaïdjan… Aux horreurs et au cynisme de ces guerres répond une musique tranchante, volcanique, tourmentée, où l’humour noir étrille les délires guerriers, notamment avec le récit du personnage de Jan Marsac dans Trois Expériences de survie. L’atmosphère y est oppressante, cauchemardesque, funèbre, grouillante d’insectes et de sirènes. On peut quasiment palper l’effroi et l’écoeurement qu’ont suscité ces sinistres assauts.

Univers picturaux et événements historiques constituent ainsi des déclics d’inspiration que nos chers TIMIDES cherchent à « réfléchir » musicalement au travers d’une mise en abîme théâtralo-cinématographique de dimension onirique.

* Entretien avec LA S.T.P.O.

* En 2005 est paru Le Combat occulté, qui se présente à première vue comme une compilation d’archives datant pour une bonne moitié de la période 1992-93. Mais les enregistrements de ce disque proviennent d’une session qui est, si j’ai bien compris, tombée aux oubliettes jusqu’à ce que Chris Mc BETH, du label Beta-Lactam Records, décide de la déterrer et de la publier. On y trouve certains titres qui ont été par la suite réenregistrés et inclus pour la plupart dans l’album Les Explositionnistes. Peut-on dès lors présenter Le Combat occulté comme la « version originale » des Explositionnistes, ou cet album a-t-il à l’époque été conçu en fonction d’une autre thématique ?

Stpo-04-Le-combat-occulte STPO : Oui, tu as raison, nous avions enregistré par nous-mêmes de quoi faire un album : les 11 titres qui sont regroupés sur Le Combat occulté, ainsi que Le Portrait de Dora Maar, Un squelette antique, Rouge, bleu, orange et Au parc des avant-tués, qui apparaîtront sur Les Explositionnistes, et Expériences de survie sur l’album éponyme. Il s’agissait pour la plupart de versions embryonnaires. L’éviction de certains titres opérée par Frédéric CHAPLAIN, le producteur de Prikosnovénie, – principalement pour leur son – a eu le mérite de rendre plus visible la thématique picturale des Explositionnistes.

Lorsque Chis McBETH nous a proposé de ressortir les restants, il a fallu retrouver les bandes 16 pistes ainsi qu’un « vieux » magnéto analogique multipiste capable de les lire puis les convertir en numérique et surtout les nettoyer, les retravailler, les mixer. Notre ingénieur du son, Sébastien LORHO, du studio Passage-à-Niveaux, a fait un gros boulot de sauvetage ; nous lui devons beaucoup sur ce projet.

* La version CD du Combat occulté contient une seconde partie qui prend elle aussi l’allure d’une compilation d’archives, Tranches d’ombilic. Les morceaux, datés de la période 1989-84, renvoient aux premières heures de LA STPO. On peut constater qu’à cette époque la formation a été sujette à de nombreux mouvements de personnel. Était-ce par volonté d’élargir le plus possible la palette instrumentale, ou simplement dû aux circonstances et aux disponibilités de chacun ?

STPO : Bien sûr, il y avait d’incessants changements de personnel. Beaucoup de musiciens sont passés par LA STPO ; quelques fois nous étions quatre/cinq dans le groupe, mais il nous est arrivé d’être huit ! A chaque fois qu’un musicien quittait le groupe, il s’envolait avec ses partitions et modifiait «l’instrumentarium» : il fallait du coup réinventer la composition avec les restants et les nouveaux.

Mais il s’agissait aussi d’un choix esthétique : s’éloigner des canons instrumentaux du rock, augmenter les orchestrations possibles, expérimenter des mélanges sonores (violoncelle, trompette, hautbois, viole de gambe, etc.).

* Dans son parcours discographique, LA STPO a apparemment souvent privilégié le «petit format» (EP, mini-album d’une durée égale à celle d’une face de 33 tours, comme Le Femme et L’Enciversel Marsac) et les contributions extérieures (compilations, tribute). Pourquoi ?

STPO : Cela s’est fait au gré des circonstances. Pour le EP, c’est JPF et SM, du DÉFICIT DES ANNÉES ANTÉRIEURES, qui nous ont proposé de le sortir sur leur label Illusion Production. Lorsque nous leur avions fait écouter la démo que nous étions en train d’enregistrer, nous ne pensions pas du tout qu’ils nous proposeraient de la sortir (nous, ce que nous voulions, c’était « sauver » quelques compositions, car le bassiste avait décidé de nous quitter).

Stpo-06Pour le mini Le Femme : Portraits, là, en effet, la durée correspondait au concept : plusieurs chansons courtes dressant divers portraits de Le Femme (Le Femme mangé, Le Femme au travail, Le Femme sans travail, Le Femme musicien,Le Femme immortel…) ; nous avions 11 titres pour à peu près 20 minutes; cela aurait réduit leur cohérence de les faire apparaître dans un album mélangés à d’autres.

Pour le CD EP L’Enciversel Marsac, ce format fut imposé par le label Prikosnovénie. Quant aux compilations et autres, dans les années 1980, c’était très courant ; on avait répondu aux propositions.

Récemment, nous avons accepté de participer à la compilation de reprises de PTÔSE, parce que nous avons eu carte blanche pour faire ce que nous voulions ; résultat, notre reprise de Bogyman n’a pas grand-chose à voir avec l’original (on dirait plutôt du STPO !).

* Concrètement, comment se construit une composition au sein de LA STPO ? Je crois que c’est toi, Pascal, qui dicte l’idée d’origine ? Cette façon de fonctionner a-t-elle évolué d’un album à l’autre ?

Pascal GODJIKIAN : À l’origine, j’ai un texte (construit à partir de phrases rêvées et retravaillées) dont j’essaye de déchiffrer un sens possible ; je devrais plutôt dire que je choisis une interprétation (ni meilleure, ni plus exacte qu’une autre) à l’intérieur d’une polysémie. Je le présente en répétition : je décris, interprète, dis le texte et comment je « verrais » le morceau, et tout cela, bien sûr, seulement avec des mots, des couleurs, des sentiments, aucune note musicale. Les musiciens ont alors la mission difficile de donner naissance à la musique à partir de ces informations. Cela peut vraiment être appelé un « work in progress », car il faut souvent s’y prendre pas mal de fois jusqu’à ce que l’alchimie parfaite soit obtenue.

Stpo-07-L-enciversel-marsac Naturellement, chacun introduit sa propre créativité dans ce processus et ainsi l’idée initiale peut être profondément changée. La composition sera recherchée par des douzaines de courtes improvisations guidées qui seront montées/démontées/remontées un grand nombre de fois jusqu’à ce que nous puissions dire : « Arrêtons, on la tient ! Travaillons maintenant les détails ! »

STPO : Au tout début du groupe, J (qui a quitté en 93) a amené quelques compositions et son procédé était différent, plus musical. Pour ce qui concerne les compositions de Pascal, le schéma décrit ci-dessus a toujours existé.

* J’hésite à parler d’« albums-concepts », mais Les Explositionnistes et Expériences de survie sont chacun axés sur une thématique dominante. Ces thématiques (les tableaux de maîtres et leurs effets psycho-sensibles dans l’un, les ravages de la guerre dans l’autre) ont-elle été fixées dès le départ, ou se sont-elles imposées au fur et à mesure de la conception des disques ?

Pascal : Non, ce n’était pas fixé dès le départ. J’ai eu quelques idées de textes et aussi l’envie de créer des compositions sur la peinture (la gageure d’aborder la peinture par la musique et les mots m’intéressait) ; au début, une ou deux puis d’autres idées sont venues. Il n’y avait pas la volonté de faire un concept-album, c’était juste un moment dans la composition. Mais lorsque nous avons commencé à travailler sur les premiers titres, je me suis pris au jeu, j’avais envie d’en créer d’autres et « naturellement » les idées sont arrivées.

Pour Expériences de survie, le choc de la guerre en ex-Yougoslavie et notamment en Bosnie m’a poussé à créer. C’était une réaction épidermique. Personnellement, je ne supportais pas de voir ce drame en direct ; il fallait que je crie. Même si c’est certainement vain…

* Les Explositionnistes traduisent votre intérêt pour l »histoire de l’art, principalement du XXe siècle. Pouvez-vous dire quels artistes, ou mouvements artistiques, vous ont particulièrement marqué ?

STPO : Nous avons tous des influences diverses dans le groupe. Dada, le Surréalisme font partie de nos références communes. On peut y ajouter : le constructivisme, Cobra, l’art brut, les nouveaux réalistes, l’expressionnisme, la nouvelle vague, MONDRIAN, KANDINSKY, Arshile GORKY, Asger JORN, Max ERNST, Barnett NEWMAN, le futurisme russe, le cut-up, Claude PÉLIEU…

* Dans Les Explositionnistes, vous traduisez en musiques des émotions suscitées par des oeuvres picturales, plastiques. En procédant ainsi, avez-vous d’une certaine façon chercher à pointer des liens, des jonctions directes entre certaines formes d’expressions picturales et certains idiomes sonores, certaines constructions musicales ?

Stpo-08STPO : Pour toutes ces compositions, nous sommes partis d’un point de « vue » chaque fois différent. Il n’est pas possible de généraliser une démarche. Exemples : Le Portrait de Dora Maar est traité comme un documentaire sur l’œuvre : on montre des fragments, des détails puis l’ensemble fait sens et on découvre le tableau ; suit un commentaire pseudo historique dit dans une langue inconnue (le réalisateur est sans doute étranger !…), traduit en léger différé en français ; puis le tableau lui-même est évoqué entre le rythme des couleurs et la majesté de Dora MAAR ; une interview d’époque de PICASSO (il parle une langue inédite, sorte de latinique hispanique) traduite encore ; enfin une évocation de la beauté de Dora MAAR.

Sans entrer dans autant de détails : Barfüsserkirche in Erfurt de Lyonel FEININGER intègre le visiteur dans le musée, ses commentaires, son regard, la présence des autres visiteurs ainsi qu’une évocation de la structure et du style de l’œuvre (immense cathédrale aux longues arêtes, nuit…). Dans Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue ? de Barnett NEWMAN, il y a un va-et-vient constant entre la peinture, son histoire (le tableau fut lacéré) et son titre.

* L’une des particularités de LA STPO est le langage qu’elle s’est inventée, mélange de plusieurs langues existantes (combien, au fait ?) et d’un sabir authentiquement imaginaire. Quels critères esthétiques ont présidé à son invention ? Connaissant vos accointances avec le surréalisme, la pratique de l’écriture automatique y est-elle pour quelque chose ?

Pascal : Les langues inventées ont diverses origines ; on y trouve du latinique, du slavique, de l’italique, du primitique ainsi que quelques autres, innommables… Elles ont été créées en fonction du scénario de la composition. Asaphum décrit un rituel de sacrifice d’animal dans une société préhistorique : du primitique ! Primitique encore pour Shy Society at the Bird Parade. Idol 2 conte la découverte d’un monument oublié par des oiseaux : de l’italique. Stupnido-Soumgaït intègre du slavique (mais aussi de l’arménien)…

Certains textes sont écrits à partir de phrases rêvées (en français, souvent avec des néologismes ; parfois en anglais ou en allemand ou en arménien) ; ceux qui utilisent des langues imaginaires sont créés, consciemment, de toute pièce. Asaphum est un cas particulier : j’avais utilisé un programme informatique de génération de mots (avec fréquences d’apparition pour chaque lettre) ; j’ai alors obtenu des pages entières de mots improbables et… imprononçables, j’y ai puisé pour écrire le texte. On pourrait presque dire qu’il s’agit de « primitique technologique » !

* Thématiquement parlant, on a souvent dit que Expériences de survie constituait une rupture flagrante de ton avec Les Explositionnistes puisque c’est cette fois le réel, dans ce qu’il a de plus barbare, qui a servi d’inspiration, et non des univers picturaux. Cela se ressent aussi dans la musique, plus dure et sombre. Néanmoins, à y bien regarder, l’art et le réel ont inspiré chacun des deux albums (on trouve dans Expériences de survie le morceau Skylab, qui fait référence à un tableau de ERRÓ ; et il y a dans Les Explositionnistes des morceaux qui renvoient apparemment à des choses ou événements du réel, comme Sarajavo-Stepanakert).

STPO : Skylab est un tableau de ERRÓ particulièrement stimulant et inspirant ! On y voit des cosmonautes au sourire béat devant leur lem spatial et des odalisques au premier plan. C’est ce regard acerbe, décalé, qui nous a inspirés. Puisqu’ERRÓ mettait ironiquement en question la technologie, à l’esthétique froide et désincarnée, en lui accolant abruptement cette image d’odalisques lascives et bien en chair, nous avons cherché à opérer le même type de détournement sur la musique techno: adopter ses codes, mais les interpréter uniquement à la voix.

Sarajevo-Stepanakert évoque le destin dramatique de deux villes assiégées, la capitale de la Bosnie et celle du Haut-Karabagh. Le thème à la viole de gambe qu’on y entend est librement inspiré d’une musique traditionnelle arménienne.

* Finalement, chaque album contient un écho de la thématique dominante de l’autre (réel/ imaginaire ; concret/utopique). Ce parallèle est-il intentionnel ?

Stpo-09 STPO : Plus ou moins ! Comme il a été dit plus haut, cela dépend de l’inspiration du moment. La peinture est un thème récurrent, il y a donc encore une composition à partir d’un tableau d’Otto DIX sur Tranches de temps jeté : Jeune Fille devant le miroir. Quant aux « événements du réel », il y aura sur un prochain album un morceau sur les colonies.

Il y a aussi un thème que l’on retrouve de temps en temps : les peuples autochtones : Asaphum, Shy Society at the Bird Parade font partie de cette série. Sur un prochain album figurera Guayaki, une évocation tragique de ce peuple étudié par Pierre CLASTRES.

* Étant donnée la théâtralité inhérente à vos compositions, comment adaptez-vous votre monde musical pour la scène, les concerts ?

STPO : En 1987, nous étions apparus sur scène en costume dans des décors créés par JimB. Très futuriste, dadaïste. Tout a malheureusement été détruit. Quelques années après, lors d’un festival Dada à Rennes, nous avions travaillé avec des metteurs en scène et un éclairagiste : cette collaboration fut très intéressante. Mais cela ne fut joué qu’une fois…

Maintenant, en concert, Pascal essaie d’introduire en quelques mots l’univers de la composition qui va être jouée. Il est impossible pour nous de reproduire sur scène tout ce qui a été enregistré (chacun joue plusieurs instruments, occupe plusieurs pistes !) : les morceaux doivent donc être repensés pour le live. Ceux qui ne peuvent pas être adaptés ainsi ne seront donc jamais joués en public. D’autres, après adaptation, acquièrent une nouvelle dimension et il nous est même arrivé d’en réenregistrer un sous sa nouvelle forme (I Cuento Blumen).

* Seriez-vous intéressés par des collaborations avec d’autres horizons artistiques (le théâtre, la chorégraphie, le cinéma, l’art vidéo…) ?

STPO : Oui, certainement ! Il y a quelques années nous avons fait la bande son d’un court-métrage (Ponpon de Fabien DROUET, JPL Films). Ce fut une expérience très intéressante pour nous. Nous sommes ouverts à toute collaboration.

* Votre dernier CD, Tranches de temps jeté, semble renouer avec les climats tourmentés des Expériences de survie. Y a-t-il également dans cet album une thématique dominante ?

STPO : Cette fois-ci, non ! Les compositions ont été créées sur une longue période (I Cuento Blumen) a été joué en public pour la première fois en 1998…). L’unité vient plutôt du son mais aussi des musiciens, car il s’agit là d’une formation stable ; c’est la première fois dans l’histoire de LA STPO (22 ans d’existence…) que la formation est aussi stable, soudée, forte, motivée.

* En comparaison avec les morceaux de votre premier album, par exemple, ceux de votre dernier disque se distinguent par leur structure plus complexe, leur durée plus étirée qu’auparavant. Qu’est-ce qui explique cette évolution ?

Stpo-10-Tranches-de-temps-jeteSTPO : Les morceaux de nos débuts prenaient souvent l’aspect d’une simple trame musicale, nos partis pris esthétiques – éliminer le plus possible les parties solistes, les développements /épanchements lyriques, construire les morceaux comme de petits scénarios quasi cinématographiques avec effets de montage, zoom, flash-back, travelling – contribuaient à mettre en avant la structure, l’ossature, comme dans les toiles de MONDRIAN. La palette sonore dont nous disposions alors grâce aux nombreux intervenants nous permettait d’éviter une trop grande sécheresse, de poser des couleurs variées sur ces canevas. Au fil des ans, la réduction progressive des membres de LA SOCIÉTÉ nous a amenés à d’autres choix. Maintenant, il y a une volonté de développer les thèmes abordés, d’entrer plus profondément dans le scénario.

* Curieusement, le langage imaginaire de LA SOCIÉTÉ a, dans cet album, été occulté (si j’ose dire) au profit de phrases en diverses langues connues, mêlées au sein d’un même morceau. Avez-vous cherché à rendre votre propos (éventuellement) plus accessible aux êtres humains normalement constitués ?

Pascal : Difficile à dire, car je ne me sens pas vraiment « normalement constitué » ! Personnellement, je n’ai jamais trouvé que notre musique était inaccessible. Nous travaillons sur un canevas très précis de ce qu’il y a à exprimer, mais chaque auditeur peut y puiser, « y voir » ce qu’il veut.

* Depuis les débuts de LA STPO, c’est le même illustrateur, JimB, qui réalise vos (superbes) pochettes et livrets de disque. Les personnages et décors qu’il a créés sont-ils de sa propre invention, ou a-t-il suivi des consignes précises ?

JimB : En fait c’est la pochette du premier 45 tours, retenue parmi une demi-douzaine d’ autres propositions, qui a posé les bases des illustrations ultérieures. La confrontation entre volatiles et timides s’ y poursuit avec des inflexions répondant aux thèmes (quand il y en a) des albums ou à leur tonalité générale. Pas de consignes précises, mais parfois des suggestions de Pascal qui vont – ou non – déclencher une image. Le plus souvent je m’invente à partir des titres d’albums de petits scénarios qui vont croiser ça et là certains thèmes abordés dans les morceaux.

* Je crois que vous avez un projet d’album en commun avec le groupe VOLCANO THE BEAR. Comment est né ce projet et où en est-il ?

STPO : C’est notre producteur Chris McBETH de Beta-Lactam Ring qui nous a proposé de faire ce disque. Nous ne connaissions pas VOLCANO THE BEAR, mais quand nous les avons écoutés pour la première fois, nous avons immédiatement accepté le projet. Leur musique est vraiment stimulante. Et, pour arranger le tout, Aaron MOORE, avec qui nous sommes en relation, est très sympathique.

Nous avons créé quatre titres pour ce disque : Colonies, Guayaki, Les Oreilles internationales et Invalid Islands. En tout, une trentaine de minutes. Ils sont enregistrés, mixés. Le mastering devrait être fini dans quelques semaines. Nous allons leur envoyer ce master. Ils pourront alors choisir dans leurs compositions. Le disque sortira en LP et en CD. Comme pour Tranches de temps jeté, la version CD contiendra tous les titres, le LP une sélection.

* Avez-vous d’autres projets en vue ?

Stpo-11STPO : En parallèle du split avec VOLCANO THE BEAR, nous travaillons à une collaboration avec les groupes américains SOUN et VAS DEFERENS ORGANISATION. Nous avons créé et enregistré quelques morceaux, une vingtaine de minutes au total, que nous leur avons envoyés. Ils les ont mixés, quelques fois remontés et surtout ont joué par-dessus : cela donne une musique plutôt déglinguée ! De leur côté, ils ont créé six compositions qu’ils nous ont envoyées. Libre à nous d’en faire ce que nous voulons. Nous en avons abordé quatre jusqu’à présent. Sur l’une, nous avons ajouté voix et percussions. Mais pour les autres, nous avons procédé à un travail de re-création : nous avons conçu de toutes pièces des compositions en y incluant ici et là des bribes, des extraits, des passages de leurs propres propositions, quelques fois laissés tels quels, quelques fois en jouant par-dessus. Cela peut paraître banal à l’ère de l’échantillonnage, mais pour nous, c’est une véritable gageure, car nous jouons avec de « vrais » instruments (des instruments manuels !) dans un box de répétition et ne pouvons diffuser la musique de SOUND que sur un modeste walkman.

* Y a-t-il des chances pour que vos albums aujourd’hui introuvables ou épuisés fassent l’objet d’une réédition ?

STPO : Nous en serions aussi très heureux ! Il se pourrait que Beta-Lactam Ring ressorte Les Explositionnistes et Expériences de survie. Il n’y a aucune date pour l’instant cependant. Le Femme : Portraits a été tiré en très peu d’exemplaires à l’époque (1993). Il y avait une superbe pochette avec décor de théâtre en relief quand on l’ouvrait. Mais nous étions très mécontents du mixage. Ce serait certainement une bonne chose de pouvoir le ressortir aussi, d’autant que nous avons gardé la bande 16 pistes d’origine…

Discographie de la S.T.P.O. :

– EP 4-titres (Thousand Days) (Illusion Production, 1986 [réédité dans 86-90])
– LP La Société des Timides à la Parade des Oiseaux (KK (B) Records, 1990 [réédité dans 86-90])
– Mini-CD Le Femme : Portraits (Kill Your Idol, 1991)
– CD Les Explositionnistes (Prikosnovénie, 1995)
– Mini-CD : L’Enciversel Marsac (Prikosnovénie, 1998)
– CD Expériences de survie (Prikosnovénie, 1999)
– CD 86-90 (Beta-Lactam Ring Records, 2001)
– CD+LP Le Combat occulté (Beta-Lactam Ring Records, 2005)
– CD + LP Tranches de temps jeté (Beta-Lactam Ring Records, 2006) (lire notre chronique)

Quelques Participations : K7 F-Rants (2 titres live, SJ Org/Audiofile Tapes) – K7 Les Amis de la société (inédits studio et live [réédités dans Le Combat occulté], Minus Haben, 1985) – CD Tres Hors 2 (2 titres, Prikosnovénie, 1995) – CD Ignoble Vermine, A Tribute to PTÔSE (Gazul/Musea, 2005)

Sites : https://lastpo.bandcamp.com et https://www.facebook.com/LaSocTPO
www.le-terrier.net/musique/stpo

Réalisé par : Stéphane Fougère (2006)

 

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