LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX – L’Imparfait Multiple de dieu

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LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX –
L’Imparfait Multiple de dieu
(Soleil Mutant)

Une trentaine d’années après sa création, LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES n’est plus ce qu’elle était… et c’est bien à ça qu’on la reconnaît. Aujourd’hui, c’est la tête haute, le menton relevé et la fleur (la fleur ?) entre les dents que le groupe rennais quitte le douillet nid du label outre-atlantique Beta-Lactam Ring (qui héberge aussi NURSE WITH WOUND, VOLCANO THE BEAR, CURRENT 93, ou encore Edward KA-SPEL)… pour intégrer le giron d’un label hexagonal de référence d’un certain rock avant-gardiste, à savoir Soleil Zeuhl.

Bon, en vérité, La STPO se retrouve plutôt sur son label parallèle, Soleil Mutant – donc en marge de la marge. Mais la marge de la marge, LA STPO connaît ; on peut même dire que ça a été son pain quotidien depuis ses débuts. Et puis, Soleil Mutant, ça aurait pu être le titre d’un morceau de LA STPO, après tout ! En tout cas, cette signature est méritée, car la STPO a son propre univers, et même sa propre langue, et compte tenu de ses appétences musicales, elle peut à bon droit parader sur la place publique (même si guère fréquentée) de l’avant-garde progressive, autour de laquelle elle n’a cessé de graviter depuis plus d’une trentaine d’années, s’en rapprochant toujours de plus près sans jamais avoir osé demander à y être hébergée. (À sa décharge, il y en a aussi en face qui s’obstinent à faire la sourde oreille ; si c’est pas malheureux…)

Et ce n’est pas ce nouvel album qui va nous dire le contraire, car il est taillé sur mesure pour attirer l’attention des zélateurs des musiques héritées du mouvement Rock In Opposition. Si à ses débuts, LA STPO s’exprimait sur des formats de composition assez courts, elle a depuis quelques temps garni sa palette et ses galettes (Tranches de temps jeté) et finit par nous régaler dorénavant de pièces pantagruéliques aptes à réveiller les papilles auditives de tout amateur de rock progressif de pointe. Ainsi, outre le LP paru chez In-Poly-Sons, qui contient en fait qu’une seule pièce d’une demi-heure (Les Liquidateurs), ce CD est dominé par une autre composition à rallonge, totalisant 27 minutes, Un dieu est un passage dernier.

Compte tenu du goût prononcé de LA STPO pour les brisures, cassures, hachures et dérapages impromptus, on pouvait craindre à un exercice de style cherchant à mettre nos nerfs auditifs à l’épreuve. Et ô surprise, cette composition s’avère au contraire très aérée, d’une fluidité incroyable, exhibant des segments instrumentaux aux climats très ouvragés et grisants. Les premières minutes nous plongent dans un espace instrumental palpitant dominé par un carillon, des nappes synthétiques (Christophe GAUTHEUR), et une guitare (JimB), d’où émerge un vague chant d’oiseau d’augure ambigu (Pascal GODJIKIAN à la cantonade) et un groove tribal hypnotisant (Patrice BABIN aux percussions), l’ensemble prenant l’allure d’un « Bird’s Tongues in Aspic, Part. 1 » alternatif qui montre à quel point La STPO est avant tout une histoire d’osmose entre ses éléments constituants.

Un dieu est un passage dernier offre ainsi une succession de thèmes et de séquences tantôt purement instrumentales – avec notamment de nouvelles couleurs dues à la récente recrue Sébastien DESLOGES (violon, basse) – et d’autres où le chant multi-facette et les étonnantes ressources vocales de Pascal GODJIKIAN théâtralisent la situation et « ubu-isent » le contexte. Toutes ces séquences s’enchaînent sans paraître forcées, avec une évidence scénaristique qui fait qu’on ne voit pas le temps passer, captivé que l’on est par ces rebondissements musicaux et narratifs.

L’histoire, si histoire il y a, est contée par la Maître de cérémonie dans l’usuel idiome « STPO-ien », une mixture de mots anamorphiques dont les articulations défient toute logique sémantique courante. Il s’agit de montrer les autres faces du Verbe, d’exhiber des liens cachés entre mots, grammaire et syntaxe, donner naissance à d’autres sens, d’autres images, d’autres réalités que l’on ne donne pas à voir dans le cirque généralisé des constructions (artistiques, sociales…) rationalisées, policées et oppressives.

Dans LA STPO, on croit à une autre façon d’impacter les esprits par le verbe et le son, une autre façon de se placer en opposition avec les inacceptables provocations destinées à laminer les imaginaires. L’univers musical de LA STPO est un antidote aux incuries humaines. Ce n’est pas par hasard qu’on y décèle des affinités avec les champs magnétiques de THIS HEAT, ÉTRON FOU LELOUBLAN, Albert MARCŒUR, KING CRIMSON, PÈRE UBU, PTÔSE ou GONG…

Pour toutes ces raisons, Un dieu est un passage dernier n’est pas seulement une pièce maîtresse dans le répertoire de LA STPO, mais aussi une composition d’anthologie provenant de cette galaxie des musiques presque nouvelles et autrement… euh…vous avez deviné quoi ! C’est une pièce d’une maturité indéniable, dense et sinueuse, mais qui évite l’écueil de la course à la complexité gratuite et de l’hermétisme bétonné. Elle est « lisible », d’autant que LA STPO y fait montre de penchants mélodiques qu’on ne lui aurait pas soupçonné, mais sans rien sacrifier de son étrangeté caractérielle.

Et qu’on n’aille pas croire que les deux autres compositions, de taille certes plus modeste et digeste, se contentent de jouer les bouche-trous. Mon nom est multitude ressemble à une visite guidée dans un cabinet psychiatrique qui pourrait être celui du Docteur Caligari, avec ces enchevêtrements de voix outrées proférant des harangues ésotériques. (On y apprend l’existence d’une autre société, celle de la Surveillance publique d’origine catholique – la SPOC – assurément moins fréquentable que notre STPO !) L’Imparfait sert de coda idoine et concentré à cette escapade où le burlesque, le grotesque et le grinçant labourent le terrain sans vergogne.

Il n’est pas clairement explicité que les trois morceaux de ce CD soient liés par une thématique, mais l’amalgamation inversée de leurs titres donne précisément son titre à l’album – L’Imparfait Multiple de dieu – et agit comme un révélateur de chambre d’échos rebondissant d’une pièce à l’autre. La remarquable homogénéité instrumentale et vocale dont fait montre ce disque d’un bout à l’autre parachève cette impression d’œuvre pleinement aboutie et cohérente dans sa radicalité, que les superbes illustrations de pochette de JimB, dans un esprit « timburtonien » déviant, concourent à rendre plus opérative. (Une publication en format LP leur rendrait encore plus justice…)

Cet album est en tout cas un nouveau coup d’éclat de la part de LA STPO, celui qui enfonce le clou et qui devrait dégoupiller les dernières réticences. Ne jouez plus aux timorés, rejoignez les TIMIDES…

Sites : https://lastpo.bandcamp.com et https://www.facebook.com/LaSocTPO

Label : http://www.soleilzeuhl.com/

Stéphane Fougère

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