Loreena McKENNITT – An Ancient Muse

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Loreena McKENNITT – An Ancient Muse
(Quinland Road/Keltia Musique)

loreena-mckennitt-an-ancient-museLe succès international de celle qu’il est convenu d’appeler la « muse celtique » n’a cessé de croître album après album. Si ses trois premiers ont connu un succès d’estime, les suivants, à partir de The Visit, ont définitivement consacré sa gloire, certifiée aujourd’hui par des disques d’or, de platine et de multi-platine dans une quinzaine de pays.

Symptomatiquement, l’ascension artistique de Loreena McKENNITT est allée de pair avec celle du label Real World, qui, au début des années 1990, a défendu une conception du métissage musical et de la production world qui a attiré un plus large public et qui est devenue l’emblème d’une certaine esthétique du genre. Ce n’est pas un hasard si les derniers albums de Loreena ont été enregistrés dans les studios Real World… Dans les disques de Loreena comme dans plusieurs disques de Real World, on trouve les mêmes « tics » de production : combinaison de sons acoustiques et électriques, arrangements fournis et léchés, pléthore d’invités, etc., le tout étant chapeauté par une conception acharnée de l’hybridation et du « sonner moderne » qui s’est soigneusement calibrée avec le temps, au point de se figer en un dialecte musical aussi convenu et prévisible qu’un autre, faute de s’être remis en question.

Alors que paraît enfin, après tout de même neuf ans de silence, le septième album de Loreena McKENNITT, une question s’impose : que peut-on attendre de cette réalisation ? Faut-il même en attendre quelque chose ? Dès les premières notes, on comprend très vite que Loreena cherche à nous convaincre que, neuf ans après son dernier effort studio (amplement récompensé en termes de ventes), rien n’a changé dans son univers. Soit. Bel exemple de conviction artistique.

Cependant, durant cette décennie, le marché de la « world music », ou même de la musique celtique, a évolué, et d’autres artistes ont révélé d’autres voies, d’autres conceptions, d’autres esthétiques. Et on peut supposer que ceux qui ont découvert la « celtic world » avec Loreena McKENNITT se sont depuis pris de passion pour d’autres sons, d’autres voix… et d’autres définitions de la « world music ». Bref, si l’univers de Loreena n’a pas changé, les centres d’intérêts musicaux de ses auditeurs ont pu s’élargir, mûrir, se développer, c’est du moins tout le mal qu’on leur souhaite.

À ceux-là, il pourra donc paraître préoccupant de voir à quel point An Ancient Muse reprend les choses précisément là où The Mask and The Mirror et The Book of Secrets les avait laissées. Et quand je dis « reprendre », soyez certain que ce n’est pas un euphémisme !

La quête mystique de la chanteuse la pousse toujours à trouver des traces ou des échos de la tradition celte du côté de l’extrême est de l’Europe et de l’Orient. La Grèce, l’Anatolie, le Roi Midas, l’Odyssée d’Homère, l’empire byzantin ont ainsi servi d’inspiration, de même que la Route de la soie, Loreena ayant poussé ses investigations jusqu’en Mongolie, qui a inspiré Caravansérail, le premier single extrait de l’album. Cela dit, on trouvera difficilement des traces de musique mongole ou extrême-orientale dans ce disque.

Sur le plan instrumental, oud, violoncelle, violon, kanoun, vièle à roue, bouzouki, percussions, guitare acoustique et électrique et synthétiseurs se partagent comme à l’accoutumée la palette sonore. Pour les accros des sonorités celtiques, précisons que l’ueillean pipes ne se fait entendre qu’à la fin, et Loreena ne joue de la harpe que sur un morceau, comme c’était déjà le cas sur The Book of Secrets.

Et outre les musiciens habituels de Loreena, on croise des personnalités comme Manu KATCHE, Annbjorg LIEN, Hossam RAMZY, Panos DIMITRAKOPOULOS, etc., à condition d’écouter attentivement et de décortiquer les crédits dans le livret. Leurs interventions, parfois très sporadiques, sont en effet noyées par une production qui, à force d’ajouts et d’accumulations de couches, a tendance à gommer le grain spécifique de tel ou tel instrument, dont la fonction est réduite à de la décoration. Il y a quand même de belles séquences instrumentales, notamment en introduction de certains morceaux.

En dépit des nouvelles sources d’inspiration avouées et des nouveaux invités, An Ancient Muse fait cependant penser à beaucoup de choses que l’on a entendues sur les précédents disques de la chanteuse canadienne. Tous les morceaux font écho à ceux que l’on connaissait déjà, et remplissent les mêmes fonctions.

Incantation ouvre l’album d’une manière similaire à Prologue sur The Book of Secrets, et Never-Ending Road le clôt à la manière Dante’s Prayer sur The Book of Secrets, ou encore Prospero’s Speech sur The Mask and Mirror. En bon single tout désigné, Caravanserail cherche à rencontrer le même succès que The Mummer’s Dance, l’instrumental Kerachitomene renvoie à Marco Polo, et Beneath a Phrygian Sky semble être le ricochet de The Bonny Swans (The Mask and Mirror). Bref, Loreena aurait cherché à constituer une trilogie qu’elle ne s’y serait pas prise autrement !

On ne dit pas que les morceaux de cette Ancient Muse sont moins réussis que les autres (sauf peut-être The Gates of Istanbul, plombé par un jeu de batterie trop rectiligne et monotone). Simplement, ils ont un terrible arrière-goût de redite.

Avec ses sept chansons et ses deux instrumentaux, An Ancient Muse expose les mêmes ingrédients littéraires et sonores, déroule le même mode d’écriture et les mêmes parti-pris esthétiques, dépeint des climats identiques, et est structuré de façon assez semblable à ses prédécesseurs. Tout y est : romantisme, onirisme, mélancolie, spiritualisme, celtitude rêvée, « éclectique » et exotique, médiévalisme, orientalisme, littérature foisonnante (lectures, voyages, rencontres qui ont inspiré chaque morceau), finesse mélodique, variété de l’instrumentation, sophistication de l’orchestration, rythmes soft, ambiances lénifiantes, lissage et nivellement des sons, et, bien sûr, cette éternelle voix cristalline et affectée qui sait aussi se faire poignante.

Bref, le long silence discographique de Loreena MCKENNITT ne pouvait déboucher que sur deux attitudes : soit la chanteuse s’engageait dans un processus de développement artistique qui la poussait à innover, à étonner, à prendre des risques ; soit elle se contentait de reprendre la route avec les mêmes pantoufles dorées. C’est indubitablement le second choix qui a prévalu, ce qui ne manquera pas, selon les cas, de rassurer ou d’inquiéter.

Site : http://loreenamckennitt.com/

Stéphane Fougère

 

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One comment

  1. Des choses justes, mais aussi et désolé bcp de conneries ! Cet album est sublime et peut-être mieux que les precedents. Bien sûr, la démarche est la même mais comme elle continue de defricher de nouveaux territoires sonores, par définition cet album en devient aussi original que les autres.
    Il n’ya aucune surcouche de quoi que ce soit, ni de batterie monotone, ni aucune tentative de sonner moderne.
    Evocateur (Caravanserai), epique (the English Ladye…), sublime (a never ending road), ce disque est parfait et ne se soumet pas à l’obligation de modernité en travestissant l’essence de ce qu’est la vision de l’artiste.
    La seule chose qui compte est que ce disque soit beau (il l’est), varié (il l’est), offre des sons nouveaux (c’est le cas) et soit parfaitement produit (il l’est).
    Tout autre debat n’a aucun sens.

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