MUSAFIR – Barsaat

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MUSAFIR – Barsaat
(Blue Flame)

Il n’est pas besoin d’aller chercher l’équateur aux antipodes pour faire de la musique métissée. Il suffit en général de puiser dans les trésors de son propre pays. Si de plus on a un cursus qui a permis de fournir diverses cordes à son arc, la propension au métissage devrait s’en trouver facilitée. C’est heureusement le cas du compositeur et joueur de tablas Hameed KHAN, qui s’est investi dans divers registres, de la musique classique indienne au jazz en passant par la musique arabe, et un travail très remarqué avec des personnalités au caractère bien trempé, comme Érik MARCHAND et Thierry ROBIN (l’album séminal An Tri Breur).

Avec MUSAFIR, qu’il a créé en 1995, Hameed KHAN expose la musique du Rajasthan, cet État du nord-ouest de l’Inde, avec un angle panoramique, car rassemblant une bonne dizaine de musiciens provenant du désert de Thar et issus des ethnies musulmanes langa, manghanyar et sapera. Il en émane une musique chaleureuse et bigarrée puisant à la fois dans les traditions indiennes, musulmanes et gitanes, du fait de la connexion historique et symbolique du Rajasthan avec l’antique Romanie.

Après un premier album, Gypsies of Rajasthan, MUSAFIR développe avec Barsaat une multitude de chants et de sons tous plus hypnotiques les uns que les autres, mêlant musique folk rurale rajasthane, musique populaire arabe, musique savante hindoustanie et musique qawwali et renvoyant les échos de ces chants passionnels issus des palais et des déserts peuplés de maharadjahs, de charmeurs de serpents et de danseuses sacrées… On est d’emblée séduit par ces voix tantôt masculines, tantôt féminines, autant extatiques les unes que les autres, et cette débauche de percussions sonnantes et frappantes (tablas, dholak, kartal…).

La dimension dévotionnelle de cette musique est portée au pinacle dans des titres comme Balamji, Yad ou Barish, tandis que d’autres privilégient l’expression soliste d’un instrument, tel Loneliness, empli de cette mélancolie suintante propre au sarangi de Ustad Ramza KHAN. Sur Khet, c’est la guimbarde morchang de Chugge KHAN qui dialogue avec le dholak de Rehamat KHAN.

Balu offre un surprenant duo de Bhapang, un instrument à une seule corde dont la troublante sonorité aux effets percussifs rappelle l’ektara des Bauls du Bengale. Harmonium, clarinette, banjo et double flûte ajoutent encore à la griserie générale.

Avec le morceau Ali Mullah, dédié à la mémoire de Nusrat Fateh ALI KHAN, MUSAFIR accuse réception de la tendance « asian vibes » moderne et enfonce le clou de la fusion en s’octroyant les services de Natacha ATLAS, dont la suavité vocale s’épanouit à merveille dans ce contexte, et ceux du groupe dont elle fut l’égérie, TRANSGLOBAL UNDERGROUND, qui accentue l’aspect rythmique à coup de basse bien ronde et de break beats insistants. Ce n’était pas totalement utile, mais ça passe. En tout cas, on suppose que ce type d’arrangements devrait faciliter le passage en radio de ce morceau…

Mais la musique de MUSAFIR offre en elle-même suffisamment de richesses pour faire valoir sa singularité dans le grenier de la world sans avoir à céder aux caprices des fusions forcées, et sa fluidité mélodique et rythmique agit comme un bienheureux oasis, d’où le titre de cet album, Barsaat, qui désigne les « pluies précieuses » du désert du Rajasthan.

Les notes de présentation contenues dans le livret font amplement valoir cette originalité intrinsèque, au point de stigmatiser au passage ceux qui « ont essayé de copier » MUSAFIR avec bien sûr une qualité moindre… Cela pourrait passer pour une crise de jalousie égocentrique si l’on était avisé de l’existence d’un autre MUSAFIR qui a sorti un disque sur le label Sounds True et qui est formé d’anciens musiciens du MUSAFIR d’Hameed KHAN. Depuis, le nom de ce groupe a heureusement changé… Il n’y a donc plus de risque de confusion.

Et dites-vous bien que le disque ne donne qu’une image parcellaire de « l’effet » MUSAFIR ; ses performances sur scène réservent bien d’autres enchantements…

Stéphane Fougère

Page : https://myspace.com/musafirkawa

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°12 – mars 2003)

 

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