Musical Explorers : Deben BHATTACHARYA – Waves of Joy : Bauls from Bengal (CD+DVD)

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Musical Explorers : Deben BHATTACHARYA – Waves of Joy : Bauls from Bengal (CD+DVD)
(ARC Music / DOM)

Depuis son premier volume (Colours of Raga), la collection Musical Explorers du label anglais ARC Music se consacre à la publication d’une partie de la bibliothèque sonore et visuelle engrangée par le collecteur du patrimoine sonore mondial Deben BHATTACHARYA (1921 – 2001) et qui est considérée à juste titre comme l’une des mémoires de l’humanité du XXe siècle. Ayant été particulièrement intéressé par les traditions musicales des peuples nomades, Deben BHATTACHARYA, d’origine bengalie, ne pouvait pas faire abstraction de cette tradition orale entretenue par ces musiciens itinérants de son propre pays, les fameux Bâuls. Chanteurs mystiques, ménestrels vagabonds, les Bâuls du Bengale, surnommés les « fous de Dieu », foulent la poussière et la rocaille des chemins de fortune comme ils foulent au pied le système des castes, les rituels, les idéologies, les écritures, les fanatismes…

Empruntant aussi bien au soufisme, au vishnouisme qu’au tantrisme, leur foi est syncrétique et fait fi des frontières entre hindouisme et islam, comme elle ignore les différences entre les races, les sexes. La divinité que ces hindous hétérodoxes vénèrent n’est pas celle des temples et des mosquées, qu’ils perçoivent comme des obstacles, mais celle qui loge dans le temple intérieur de chaque être. C’est cet amour du divin interne qui les situe « en dehors » des dogmatismes. Grands adorateurs de l’énergie féminine, la Shakti, ces ascètes errants ont entretenu une tradition de chants et de musiques exaltant la liberté spirituelle qui a été reconnue comme l’un les chefs-d’œuvre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2005, et inscrite sur la liste représentative dudit patrimoine en 2008.

Deben BHATTACHARYA avait commencé à effectuer des enregistrements de terrain de ces chants bâuls dès 1954 dans le district de Birbhum (Bengale occidental) et avait ainsi contribué à faire connaître Nabanidas BAUL, le père du célèbre chanteur Purna Das BAUL. BHATTACHARYA est retourné faire d’autres collectages dans ce district de nombreuses fois durant les années 1970, et sa connaissance de la langue bengali lui a permis de mettre en lumière les métaphores poétiques liées à la philosophie bâul dans quelque 200 chansons dont il a proposé une traduction dans son ouvrage anthologique The Mirror of the Sky : Songs of the Bauls of Bengal. Il a de même réalisé un film documentaire sur les Bâuls en 1973, Waves of Joy, que l’on retrouve dans le DVD inclus dans cette édition.

Le titre de ce documentaire fait référence à la musique extatique et extasiée des Bâuls en même temps qu’il désigne l’un des instruments phares de la musique baul, l’ « anandalahari », aussi connu sous le terme de « khamak ». Il s’agit d’un instrument hybride entre le luth et le tambour à friction, en forme de tonnelet de bois dont une extrémité est constituée d’une peau sur laquelle une corde est fixée et tendue manuellement, et qui est pincée avec un plectre. Selon la façon dont on titre sur la corde, on peut varier la hauteur de la note, ce qui génère des sons assez intrigants qui font penser à des froissements de tôle passés au mixeur, ou encore, comme l’écrit Simon BROUGHTON (le concepteur de la collection Musical Explorers) dans le livret, à un singe qui se mettrait à roter après avoir avalé une grenouille sauteuse !

Les sons du khamak contribuent en tout cas à la singularité de la pulsation rythmique bâul, de même que l’ektara, autre instrument typique à une seule corde qui sert généralement de bourdon mais dont on peut également varier les hauteurs. Le dotara, un luth sans frettes, le tambourin dubki, les cymbalettes majira, les castagnettes kartal, les clochettes ghungru et la flûte en bambou banshi complètent la panoplie des musiciens bauls.

Waves of Joy a été filmé durant un grand rassemblement musical et mystiques de l’Ouest du Bengale, le Kendulli Mela, qui a lieu en janvier dans le district de Birbhum, sur le site du temple Joydev, dont l’édification remonte au XVIIe siècle. Le documentaire alterne images du temple et des célébrations inhérentes au Kentuli Mela avec des captations d’une performance de musiciens bâuls, habillés comme il se doit de leur kurtas orange. De nombreux plans rapprochés permettent de voir comment ils jouent de leurs instruments et leur gestuelle corporelle qui illustre l’origine sanskrite du terme Baul, « vatulâ », qui signifie « emporté par le vent ».

Le CD inclus dans cette édition n’est pour sa part rien moins que la réplique de celui paru en 2004 sur ARC Music, The Bauls of Bengal – Mystics Songs from India. Son enregistrement a été effectué par Deben BHATTACHARYA l’année même de sa disparition, en 2001. Il met en valeur un petit groupe de Bâuls dont les membres alternent les rôles de chanteur et de musicien d’un morceau à l’autre.

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Sur une bonne moitié des quatorze morceaux, c’est Robi Das BAUL qui assure le chant de sa voix limpide et éthérée en s’accompagnant au khamak. Trois chants sont assurés par Jaganath HAJRA, trois autres par Nikhil Das BAUL et un seul par Narottam FAKIR, plus proche semble-t-il du style indien dhrupad. L’instrumentation additionnelle reste assez minimaliste sur tous les enregistrements, ne faisant intervenir, en plus du khamak, que le luth dotara et des clochettes. L’ektara, le dubki et les castagnettes ne se font entendre que dans les cinq dernières chansons. Il n’a pas de flûte, rien que des cordes et des percussions.

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Le répertoire est constitué de chants traditionnels écrits par différents poètes bâuls, dont Nabakumar DAS et Lalon SHAH FAKIR, ce dernier ayant notamment été rendu célèbre par le biais du dramaturge Rabindranath TAGORE, dont l’œuvre a été souvent imprégnée de la pensée bâul et a contribué en retour à la faire connaître. Les textes des chansons interprétées dans le CD bénéficient d’une traduction anglaise dans le livret.

En combinant un document visuel de 1973 à un enregistrement audio de 2001, ce double album démontre la pérennité et le renouvellement de la tradition musicale et chantée des Bâuls, en dépit de leur situation économique et sociale évidemment précaire. Voici une publication sur laquelle tout auditeur curieux des richesses artistiques récoltées par Deben BHATTACHARYA aura tout intérêt à s’attarder…

Stéphane Fougère

Label : https://www.arcmusic.co.uk/blog/new-album-release-musical-explorers-waves-of-joy-bauls-from-bengal.html

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