TANGERINE DREAM : Gloire et Destin d’une usine à rêves

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TANGERINE DREAM

Gloire et Destin d’une usine à rêves

À l’origine et à la base de TANGERINE DREAM, il y a avant tout et surtout Edgar FROESE. Depuis les débuts du groupe et jusqu’à aujourd’hui encore, il aura toujours été là, seul membre permanent, dans la gloire et les éloges comme dans les revirements et les dérives…

Edgar FROESE est né en Prusse orientale le 6 juin 1946. Après un cursus scolaire des plus ordinaires, il étudie pendant 4 ans, de 1965 à 1969, la peinture et la sculpture au sein de l’Académie des Arts de Berlin-Ouest et se prend d’un intérêt tout particulier pour l’art surréaliste de DALI, dont il deviendra un temps l’ami, et l’inventivité sans borne de PICASSO. La musique le passionne aussi. Il se plonge d’abord dans les arpèges et les envolées du piano classique avant de se tourner finalement, après sa découverte du rock n’ roll, vers les délices amplifiés et plus actuels de la guitare électrique.

Des THE ONES à TANGERINE DREAM

Après avoir participé, en 1964, à la formation d’un premier groupe, THE ONES, dont les membres se séparèrent en 1967, Edgar FROESE fonde dans le septembre de la même année son propre groupe, nommé d’abord MINUS PLUS, puis TANGERINE DREAM. Dans les premiers temps, ce groupe, qu’il a partiellement formé avec d’autres étudiants de l’Académie des Arts de Berlin-Ouest, n’est qu’un groupe assez banal assis sur un rock plus ou moins teinté de psychédélisme. Edgar FROESE est à la guitare, Kurt HERKENBURG à la basse, Lanse HAPS- HASH à la batterie, Volker HOMBACH au violon, au saxophone, et à la flûte tandis que Charly PRINCE s’occupe des parties vocales. Leur premier concert a lieu dès janvier 1968 dans la cafétéria de la Technische Hochschule de Berlin.

Le groupe a une vie des plus tumultueuses, à l’image de l’époque d’ailleurs, bouillonnante et secouée. Les musiciens vont et viennent au gré des périodes d’activité ou d’inactivité de la formation.

Ceci commence à changer avec l’entrée d’Edgar FROESE au sein de cours de composition dispensés au Conservatoire de Berlin par le compositeur de musique contemporaine Thomas KESSLER. Celui-ci, très soucieux d’aider à la maturation d’esprit de tous les jeunes musiciens berlinois qui assistent à ses cours, ne se contente pas de leur enseigner sa déjà longue expérience en matière de musique expérimentale. Il a mis, en effet, à leur disposition un véritable studio, surnommé le « Beat Studio », où ceux-ci peuvent répéter et enregistrer librement en s’aventurant à loisir dans toutes sortes de recherches musicales et sonores.

C’est là qu’Edgar FROESE fait la connaissance, en 1969, de Steve JOLLIFFE, un claviériste/flûtiste/saxophoniste anglais issu de THE JOINT, groupe qui en évoluant deviendra par la suite le très célèbre SUPERTRAMP.

C’est là aussi qu’Edgar FROESE fait la connaissance, un peu plus tard dans cette même année 1969, de Klaus SCHULZE, un jeune batteur très prometteur jouant alors au sein de sa propre formation, PSY FREE, et qui, après quelques essais fructueux, viendra définitivement remplacer l’ancien batteur du groupe, Sven Ake JOHANSSON.

Du premier trio au premier album

Pendant quelques mois, TANGERINE DREAM sera donc composé du trio FROESE/JOLLIFFE/SCHULZE, ceci jusqu’au départ de Steve JOLLIFFE qui ira rejoindre STEAMHAMMER. Ainsi, pour la première fois, TANGERINE DREAM sera uniquement constitué de musiciens ayant bénéficié du considérable apport technique, musical et expérimental de Thomas KESSLER, et partageant depuis et par conséquent à peu près le même esprit et la même approche tant en studio que sur scène.

Dès lors, c’est la nature même de TANGERINE DREAM qui se transforme. D’un vague groupe de rock psychédélique, TANGERINE DREAM se change en une formation passionnément avant-gardiste ayant adopté l’improvisation expérimentale comme mode essentiel de jeu.

Cette évolution va être rendue encore plus nette avec la venue dans le groupe, en automne 1969, de Conrad SCHNITZLER en remplacement de Steve JOLLIFFE. Non-instrumentiste déclaré mais ayant pourtant déjà fondé son propre groupe, KLUSTER, Conrad SCHNITZLER, sculpteur de formation et élève de l’artiste conceptuel Joseph BEUYS, est alors une des figures incontournables de l’art underground berlinois. Avec lui, c’est un esprit créatif radical, visionnaire et sans concession qui vient s’ajouter au souffle déjà très expérimental qui règne sur groupe. Dès lors, TANGERINE DREAM, qui semble avoir atteint un certain équilibre créatif et humain, devient vite l’une des formations les plus en vue de la scène berlinoise.

Témoignage de la montée en puissance du groupe, TANGERINE DREAM sort un premier disque en juin 1970, Electronic Meditation, d’ailleurs bien plus fortement voulu par leur producteur que par le groupe lui-même. En effet, il ne s’agissait au départ que d’une collection éparse d’improvisations en rien destinées à être mises un jour sur un vinyle. Le groupe se ravise un peu devant ce qui devient rapidement un joli succès d’estime, même si Edgar FROESE continue à en vouloir personnellement et sérieusement à son producteur pour ce disque sorti dans de si lamentables conditions.

En fait, ce disque a ouvert une crise au sein de la formation. Edgar FROESE reproche à ses deux compagnons de n’avoir pas voulu réellement empêcher, comme lui-même, la sortie d’Electronic Meditation. Klaus SCHULZE et Conrad SCHNITZLER le critiquent, eux, sur l’orientation encore trop classiquement psychédélique et rock qu’il veut imposer au groupe. Sous ces tensions, TANGERINE DREAM va se recomposer.

De la première crise au trio mythique

Klaus SCHULZE part le premier, déçu qu’Edgar FROESE n’ait pas apprécié sa diffusion, lors d’un concert du groupe, d’une bande où il avait transformé les sonorités d’un orgue. Il sera remplacé par Christopher FRANKE, jusque là batteur du groupe de rock d’avant-garde AGITATION FREE, une des formations mythiques de l’Allemagne de l’époque.

Puis ce sera au tour de Conrad SCHNITZLER de prendre lui aussi et peu après ses distances avec Edgar FROESE, TANGERINE DREAM n’ayant de toute façon jamais été pour lui qu’un autre groupe que le sien en propre, KLUSTER. Sa place sera prise par Steve SHROYDER, un organiste passionné de théâtre et ouvert à toutes les expérimentations.

S’il n’y a pas grand-chose à dire sur cette dernière venue de Steve SHROYDER au sein de TANGERINE DREAM, l’homme s’étant toujours fait particulièrement discret, il en va tout autrement de l’arrivée de Christopher FRANKE dans le groupe. C’est que Christopher FRANKE, malgré son très jeune âge à l’époque, il a 17 ans à peine, n’est déjà plus tout à fait n’importe qui. Il s’agit d’abord d’un batteur/percussionniste extrêmement doué et parfaitement rodé ayant déjà joué dans un des groupes les plus en vue de l’époque. Mais, mieux encore, il a été l’un des principaux membres d’AGITATION FREE, groupe pour lequel Thomas Kessler a fondé au départ son Beat Studio, ce lieu même où Edgar FROESE avait déjà rencontré Steve JOLLIFFE et Klaus SCHULZE. C’est dire que ce tout jeune homme qu’Edgar FROESE accueille au sein de son groupe est un personnage bien singulier et déjà très au fait de la musique expérimentale.

Comme une preuve de l’élan nouveau qu’apportera Christopher FRANKE en entrant au sein de TANGERINE DREAM, on peut citer ce concert, devenu fameux, d’octobre 1970 donné à Kapfenberg, en Autriche, où le trio FROESE/FRANKE/SHROYDER a joué, devant les caméras de la télévision autrichienne et un public médusé, au milieu d’un ensemble de flippers reliés à des chambres d’échos et des amplificateurs.

Edgar FROESE et Christopher FRANKE se sont très vite compris. Ils veulent du neuf, de l’inédit, voire même de l’inouï. Edgar va apporter à Christopher sa vision, son regard vers la musique et l’infini. Quant à Christopher, il va offrir à FROESE, en plus de ses talents derrière une batterie, un avant- goût de ce que sera bientôt le groupe, cela sous la forme d’un synthétiseur, le VCS3 de la société anglaise EMS, un des premiers synthétiseurs accessibles aux musiciens de la scène pop et rock.

Le VCS3, s’il est compact et ne paie apparemment pas de mine, est pourtant une machine à la fois étonnante, foisonnante et versatile. Christopher FRANKE va se pencher nuit après nuit sur sa programmation, souvent complexe. Et c’est ainsi que va naître en janvier 1971 Alpha Centauri, le second opus de TANGERINE DREAM, sorti en mars 1971, un mélange d’orgues mystérieux, de guitares rêveuses, de sons électroniques tourbillonnants et de percussions éclatées.

Bon, d’accord, l’utilisation du VCS3, ce synthétiseur aussi capricieux que prodigieux est encore un peu simpliste et hésitante. Mais le fait est là : les synthétiseurs ne quitteront plus l’univers de TANGERINE DREAM et inversement.

Une mini-tournée promotionnelle suivra la sortie d’Alpha Centauri où TANGERINE DREAM jouera en Allemagne, à Berlin, à Francfort et à Aacher, et en Autriche, à Ossiach. Au terme de cette série de concerts, Steve SHROYDER annoncera son départ du groupe. En quête, donc, d’un nouvel organiste large d’esprit et imaginatif, FROESE et FRANKE vont, quelque temps plus tard, auditionner un certain Peter BAUMANN, dont les seuls et maigres titres de gloire sont pour l’heure d’avoir jouer dans deux petits groupes locaux : Les BERLIN-BASED ANTS et les BURNING TOUCH.

L’audition se passe bizarrement. Peter BAUMANN, 19 ans à l’époque, n’arrête pas de sortir des sons étranges et incongrus de son orgue Farfisa bon marché tout en démontrant une piètre capacité à en jouer acceptablement. FROESE et FRANKE ne savent que dire à ce Hans-Peter BAUMANN (c’est son vrai nom). C’est alors que ce médiocre organiste se met à créer pendant une bonne vingtaine de minutes tout un tas d’effets insolites et variés avec la réverbération intégrée à son orgue. FROESE et FRANKE sont enchantés. Ils viennent de trouver le compagnon qu’ils cherchaient.

Premiers envols

La première empreinte discographique du trio FROESE/FRANKE/BAUMANN datera du simple Ultima Thule, sorti en février 1972 et composé de Ultima Thule – Part One (3:25) et de Ultima Thule – Part Two (4:22). Ce simple est basé sur le thème musical qui apparaît dans la partie centrale de Fly And Collision Of The Comas Sola, un des morceaux du précédent album Alpha Centauri, mais le climat est ici plus bien proche du rock que de la musique électronique expérimentale. La Part One est dominée par la guitare d’Edgar FROESE, branchée sur une pédale Fuzz dont tous les potentiomètres semblent avoir été mis à fond. La Part Two est plus calme, principalement axée sur des sonorités d’orgue.

Viendra ensuite le troisième opus de la formation, Zeit, un double-album sorti enregistré en mai 1972 et sorti en août 1972. Et ce ne fut pas une mince affaire que ce Zeit. Car comme son titre même l’indique, Zeit signifiant Temps en allemand, cet opus ne put trouver son accomplissement que dans la durée. De fait, ce double-album est ample, énigmatique, spatial, comme les quatre faces d’un voyage virtuel, irréel. 74 minutes 25 secondes d’ailleurs total.

Et pour forger un tel hymne au temps et à l’au-delà, le trio FROESE/FRANKE/BAUMANN n’a pas hésité à se faire aider par de nombreux autres musiciens. Il y a d’abord Steve SHROYDER, qui est revenu tenir à nouveau une place d’organiste pour l’enregistrement du nouvel album de son ancien groupe. Il y a aussi quatre violoncellistes (une idée de Peter BAUMANN), Christian VALLBRACHT, Jochen VON GRUMBCOW, Hans Joachim BRUENE et Johannes LUECKE. Et il y a même Florian FRICKE, du très visionnaire groupe POPOL VUH, qui y joue du Moog 3P, un gros synthétiseur modulaire aux possibilités extraordinaires (qu’il vendra d’ailleurs un peu plus tard à Klaus SCHULZE, avec les conséquences que l’on sait sur l’épopée musicale de ce musicien).

En octobre 1972 se tiendra à Bayreuth, en Autriche, ce qui restera comme le plus court de tous les concerts de TANGERINE DREAM. Ayant abandonné toute l’instrumentation traditionnelle d’un groupe tel que le leur, orgue, batterie, guitare et synthétiseur, le trio FROESE/FRANKE/BAUMANN va au contraire se présenter sur scène avec un tout un attirail d’instruments électroniques de leur propre confection et tout à fait expérimentaux. Tout le problème est que le public est venu voir un groupe de blues qui doit venir jouer juste après eux et dont ils ne sont que la première partie. Dès lors, les jeux sont faits. Au bout d’un seul quart d’heure, le public manifeste déjà avec une telle véhémence qu’il couvre de ses cris la musique de TANGERINE DREAM. Le trio quittera la scène, dépité, et ne sera pas payé pour sa prestation.

Premiers vrais pas dans l’au-delà

Pour son opus suivant, Atem, sorti en 1973, le groupe abandonne l’habitude qu’il avait jusque-là de se faire épauler par des aides instrumentales extérieures. C’est donc seul qu’il affrontera l’enregistrement de cet album intense, dense et varié, qui sonnera plus tard comme une transition importante, obligatoire et réussie vers cette période que d’aucuns considéreront comme l’Age d’Or de TANGERINE DREAM.

L’album commence par Atem, le morceau qui lui donne son titre et qui dure toute la face A. Celui-ci s’ouvre par le bruit d’une sorte de respiration suivi d’une plage d’environ cinq minutes, qui paraîtra majestueuse ou martiale selon les goûts, où les percussions de FRANKE accompagnent et surplombent le Mellotron de FROESE. Puis tout se calme, devient paisible, onirique, hors du temps.

Fauni-Gena, qui vient ensuite, est un voyage, superbe et comme suspendu dans le ciel, entre orgues, mellotron et chants d’oiseaux électroniques. Ici, nous sommes déjà dans le TANGERINE DREAM atmosphérique et inspiré qui fera sa réputation.

C’est doux et c’est beau, il n’y a rien à dire de plus. On y perçoit même, même si c’est encore timidement, les premières ébauches de séquences. C’est dire que c’est un grand morceau.

Circulation of Events est en continuité de climat avec Fauni-Gena, mais avec cependant une nuance plus sombre, plus inquiétante, presque dramatique. C’est un flot constant de timbres riches, complexes et entremêlés terminé par une pulsation qui vient emporter le morceau vers des lieux inconnus.

L’album se conclut par Wahn, dont le début à de quoi surprendre, avec ses effets de voix entrecoupés de percussions, avant de se finir de la même manière que se finissait la première partie d’Atem.

Avec un tel contenu sonore, il n’est pas étonnant que le disc-jockey de légende John PEEL ait adoré l’album et qu’il l’ait passé et repassé en boucle dans son émission de radio, projetant ainsi TANGERINE DREAM vers les sentiers de la reconnaissance et de la célébrité.

Le gros Moog…

Suite à cet Atem, Peter BAUMANN s’en ira quelque temps hors du groupe, assez longtemps en tout cas pour qu’Edgar FROESE et Christopher FRANKE réalisent ensemble un nouvel album, Green Desert, dont l’enregistrement avait déjà été fixé.

Le moins que l’on puisse dire de cet album, enregistré à l’origine en août 1973, est qu’il a longtemps été une énigme totale pour les fans de TANGERINE DREAM. En effet, celui-ci n’est pas sorti à l’époque de son enregistrement mais seulement en 1986, suite à une mésentente entre le groupe et sa maison de disque d’alors. Il n’en reste désormais pas moins un point d’interrogation musical et sonore puisque que, lors de sa sortie, seule paraîtra une version lourdement modifiée de celui-ci.

Il est donc à la fois difficile, tout bien pesé, de considérer la version connue de Green Desert comme faisant réellement partie de la discographie officielle et autorisée de TANGERINE DREAM.

Un achat très particulier marque, en 1973, le commencement d’une époque fondamentale pour l’histoire de TANGERINE DREAM : celui de sa relation avec les gros synthétiseurs modulaires. Certes le son d’un Moog 3P était déjà apparu sur Zeit. Mais le Moog 3P en question n’appartenait pas au groupe ou à l’un de ses membres. C’est donc cette année-là, en 1973, que Christopher FRANKE fait l’acquisition d’un gros synthétiseur Moog similaire à celui que Florian FRICKE avait fait entendre sur l’un des morceaux du troisième et double album de TANGERINE DREAM.

… et ses mystères

Cette énorme machinerie électronique avait appartenu à Mick JAGGER, le chanteur des ROLLING STONES. Celui-ci, la trouvant peut-être trop complexe à utiliser, l’avait finalement revendue à un studio d’enregistrement de Berlin, le studio Hansa. Mais voilà, la vérité fut que, tout comme Mick JAGGER auparavant, personne dans le studio n’avait la moindre idée sur la manière d’utiliser l’engin.

Quelqu’un fit donc la réflexion qu’avec l’aide d’un connaisseur, ils finiraient sûrement par tirer un excellent profit de l’énigmatique instrument. Et c’est ainsi qu’ils firent venir Christopher FRANKE, pensant qu’il en saurait plus long qu’eux sur l’encombrante chose. Mais lui comme les autres resta perplexe devant la machine. Et à la question : « Pensez-vous que nous pourrions produire des hits avec cet engin ? », Christopher FRANKE répondit simplement, fasciné qu’il était déjà par ce mystérieux instrument : « Franchement, je ne le pense pas. Mais vous pouvez toujours me le vendre… »

Une fois ce monstrueux synthétiseur acquis, Christopher FRANKE eut toutes les peines du monde pour commencer à en tirer parti. C’est que si le Moog 3P est réellement un fantastique engin de création, sa programmation exige un véritable savoir-faire. En effet, et comme tous les autres synthétiseurs modulaires, le Moog 3P, pour émettre le moindre son, demande d’abord de voir ses différents modules correctement câblés, les câblages pouvant être plus ou moins complexes selon le mode de liaison qu’on a choisi pour relier les différents modules électroniques entre eux. Ce câblage effectué dans les règles, ce qui peut prendre un bon bout de temps, il est alors possible de régler, mais avec précaution, les très nombreux paramètres sonores disponibles sur le synthétiseur.

Cependant, au milieu de toutes les possibilités de la machine, il y a surtout un module qui attire et passionne Christopher FRANKE : le séquenceur. Cette partie du synthétiseur permet de programmer un certain nombre de notes et de les faire tourner indéfiniment en boucle, créant ainsi, outre une mélodie entremêlée d’un rythme, un puissant effet hypnotique. Edgar FROESE, lui aussi fasciné par les séquences, avait déjà essayé d’en créer en mettant de l’écho sur des arpèges joués à la basse. Pour Christopher FRANKE, cela lui rappelle plutôt les percussions mélodiques qu’on joue dans certaines régions de l’Afrique. Quoi qu’il en soit, le séquenceur va rapidement devenir l’instrument phare et l’une des clés de la future musique de TANGERINE DREAM.

L’âge d’or

Fin 1973, après un concert parisien, le 22 août 1973, ayant vu se réunir sur la même scène Edgar FROESE, Christopher FRANKE et Klaus SCHULZE, et suite au retour d’un Peter BAU- MANN en pleine forme et très motivé, le groupe enregistre un nouvel album, Phaedra, qui sortira au début de l’année 1974. Cet album va rapidement avoir un succès et un retentissement considérable. Il faut dire que TANGERINE DREAM y a mis une inspiration musicale et sonore impressionnante, et franchi aussi quelques paliers techniques et compositionnels qui font toute la différence avec les albums précédents. On peut presque dire qu’auparavant TANGERINE DREAM se cherchait et qu’il vient de se trouver. Et c’est éblouissant !

La face A est entièrement occupée par Phaedra, le morceau qui donne son titre à l’album. C’est une extraordinaire fresque musicale, harmonique et timbrale où se mêlent séquences, Mellotron et effets sonores. C’est tour à tour effrayant et sublime, mais toujours au sommet sur le plan créatif et émotionnel. Les séquences de Christopher FRANKE atteignent là, déjà, leur pleine maturité musicale et pleuvent sur l’auditeur, hypnotiques, changeantes et superbes. Le Mellotron d’Edgar FROESE touche également à l’exceptionnel, voire au miraculeux, se partageant entre le magique et le magnifique.

La face B n’est pas en reste. Elle commence par un long, nostalgique et envoûtant Mysterious Semblance at the Strand of Nightmares, dominé et porté par le Mellotron de FROESE. Elle se continue par Movements of a Visionary, où les séquences de FRANKE donnent libre cours à leurs ensorcelants méandres cycliques. Elle se termine enfin par un bref mais inoubliable Sequent C’, où la flûte de Peter BAUMANN flotte et danse dans l’irréel et le mystère, ineffable et troublante de beauté.

D’emblée, avec cet album, TANGERINE DREAM atteint auprès d’un public élargi, ébahi et subjugué une dimension à part, presque légendaire et mystique. Et c’est dans une atmosphère à la fois recueillie et survoltée que le groupe va effectuer une série de concerts où sera magnifiée la poésie énigmatique et sublime de sa musique, ainsi que la vision étonnante et puissante qu’il offrira d’un trio de musiciens nimbés de lumières et entourés de claviers divers et de synthétiseurs.

Le plus célèbre de ces concerts aura lieu le 13 décembre 1974 dans la Cathédrale de Reims. En fait, TANGERINE DREAM n’était pas le seul groupe à occuper l’affiche ce soir-là, et la foule nombreuse et désinvolte venue emplir l’enceinte sacrée n’était donc pas venue que pour eux. Mais c’est bien TANGERINE DREAM qui causa la sensation et l’émoi dans cette série de concerts et c’est à eux qu’on imputera les dommages causés à la Cathédrale au cours de cette mémorable soirée.

L’apogée

En janvier et février 1975, le trio s’affaire à mettre sur bandes son prochain album, Rubycon, qui sortira en mars 1975. C’est un nouveau saut qualitatif au niveau des harmonies, des séquences et des sonorités. Mieux, c’est peut-être là l’aboutissement de la démarche compositionnelle et conceptuelle de TANGERINE DREAM.

En effet, le groupe est au sommet de son art. Jamais les atmosphères, les progressions d’accords et les séquences n’ont été si bien conçues et enchaînées. Les deux faces de l’album, comme les deux faces d’un même diamant, semblent couler de source, baignées qu’elles paraissent être d’une éclatante évidence musicale et onirique. À y écouter de plus près, le travail sur les timbres, les effets sonores et les mélodies s’avère pourtant proprement effarant. Mais à l’oreille, tout ce flot harmonique est si captivant et évocateur que l’on se laisse porter, emporter, sans rien pouvoir remarquer de la minutie d’orfèvre qu’a mis le groupe à assembler son joyau discographique.

Pendant ces années 1974/1975, TANGERINE DREAM enchaînera concert sur concert, tous pleins à craquer de spectateurs tout autant médusés que fascinés, méritant ainsi une immense réputation musicale et scénique. Et comme le groupe jouait en totale improvisation à chacun de ses concerts, tous étaient différents, parfois dominés par la guitare enflammée de FROESE, d’autres fois menés par les séquenceurs ensorcelants de FRANKE, d’autres fois encore tout simplement baignés de calmes accords d’orgues cosmiques et de Mellotrons rêveurs.

C’est pour témoigner de ces concerts et y souligner l’extraordinaire inventivité et beauté des prestations du groupe que sera élaboré Ricochet, le premier live de TANGERINE DREAM et peut-être le plus incontournable de ses albums tout court. Car Ricochet, sorti en novembre 1975, n’est pas qu’un simple album live. C’est un assemblage, un résumé, un « best of » des meilleurs moments sur scène du TANGERINE DREAM de l’époque, le tout constitué en 2 plages, comme 2 poèmes électroniques et lyriques, comme 2 peintures abstraites et timbrales. Cela dépasse le simple cadre de l’album live, on atteint concrètement le hors norme, l’insurpassable.

Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le début de la deuxième face, de se laisser flotter sur les notes de piano et de Mellotron qui ouvrent le bal et d’attendre tranquillement les vertigineux duels de séquences qui suivent, et qui sont beaux à couper le souffle. Ce n’est plus de la musique, c’est du rêve et de l’émerveillement à portée d’oreilles.

Vers la fin de l’âge d’or

Malgré un Rubycon fantastique, une série de concerts magiques et un Ricochet magnifique, l’atmosphère au sein du groupe n’a pourtant pas été au mieux au cours de cette année 1975. C’est qu’elle a été perturbée par un nouveau départ de Peter BAUMANN, juste après l’enregistrement de Rubycon et juste avant la tournée qu’avait prévu le groupe en Australie. Ce nouveau départ tombe mal et vient comme un orage en plein ciel bleu. Pire, BAUMANN n’est pas clair dans ses motifs et ses explications. Difficile donc pour le reste du groupe de savoir si ce nouveau départ sera définitif ou pas.

Toujours est-il qu’il y a pour le groupe toute une série de concerts à donner en Australie et qu’il serait problématique de les annuler. Heureusement, FRANKE possède un atout-maître dans sa manche. Un ancien copain d’enfance, Michael HOENIG, qui a lui aussi joué dans AGITATION FREE et qui, comme FRANKE et FROESE, a également bénéficié de l’aide et de l’enseignement de Thomas KESSLER. Michael HOENIG est un compositeur extrêmement doué et un grand connaisseur en matière de gros synthétiseurs modulaires et de bidouillages sonores. Et de fait, dans l’esprit de FRANKE, c’est le seul musicien au monde à pouvoir remplacer Peter BAUMANN au pied levé. C’est donc lui qui assurera la tournée australienne de TANGERINE DREAM en compagnie de FROESE et de FRANKE et en l’absence de Peter BAUMANN.

La tournée se passe bien. Néanmoins, Michael HOENIG, très sympathique au demeurant et pour très compétent qu’il soit dans le domaine des séquences et des solos de synthé, n’est pas Peter BAUMANN et par conséquent la complicité musicale entre les membres s’en trouve gravement affectée. C’est donc de nouveau avec Peter BAUMANN, revenu d’on ne sait quelle escapade, que sera enregistré Stratosfear en août 1976.

Autant Ricochet semblait continuer et couronner, en live, la démarche musicale et conceptuelle de Phaedra et de Rubycon, autant il est clair que Stratosfear a été le début « d’autre chose », d’une musique, certes toujours surprenante, belle et onirique, mais plus strictement composée, moins libre dans ses démesures sonores et harmoniques.

Cela est évident dès le premier morceau de l’album, qui lui donne d’ailleurs son nom, où tous les instruments et toutes les séquences sont nettement mis au service exclusif du climat rythmique très précis de ce titre. C’est fort bien fait, c’est swinguant à souhait, mais ce n’est déjà plus le TANGERINE DREAM de Phaedra, de Rubycon et de Ricochet. Cela dit, attention, je ne dis pas que cet album, sorti en octobre 1976, est décevant parce que différent. C’est même un excellent album, bourré de passages remarquablement beaux ou complètement irréels. C’est juste qu’on n’y sent plus la même recherche sonore et harmonique débridée qu’avant. C’est plus « calculé », plus « construit ».

Devais-je dire « plus commercial ? Peut-être pas. Mais il est certain que le succès grandissant du groupe et les climats très particuliers de sa musique ne pouvaient pas manquer de capter l’intérêt des membres de la confrérie des cinéastes, et en particulier celui de William FRIEDKIN, réalisateur, en autres, de French Connection et de L’Exorciste. Celui-ci était à l’époque un grand fan du groupe et il avait pour projet de tourner une nouvelle version, très personnelle, du Salaire de la Peur en se basant, pour la réalisation de son film, sur des enregistrements que lui aurait fourni auparavant la formation. Ce projet fut accompli comme prévu et le film sortit donc dans les salles, accompagné, chez les disquaires, de sa bande originale. Et c’est ainsi que naquit l’album-BO The Sorcerer, paru en 1977.

Celui-ci est constitué de plages relativement brèves, voire même très courtes. Le tour de force de TANGERINE DREAM a été, ici, de conserver l’essence de ce qui faisait la puissance émotive de sa musique dans des plages aussi contractées dans le temps. Impossible, certes, de se laisser porter par ces musiques, d’y rêver à son aise. Néanmoins, l’inspiration profonde du groupe est bien dans un Search ou dans un Grind. Les séquences de FRANKE et le Mellotron de FROESE y abattent un sacré travail.

Mais bon, c’est vrai, il y a les séquences, le Mellotron, les synthés et tout et tout, et difficile pourtant de ne pas penser que TANGERINE DREAM s’éloigne là encore de Phaedra, de Rubycon et de Ricochet. Ce ne sont que des bouts, des extraits de l’inspiration qui a donné un jour naissance à ces albums. Mais cela ne constitue pas un album de TANGERINE DREAM tel qu’en lui-même. Dommage.

Précisons, pour la petite histoire, que The Sorcerer ne fut pas, en réalité, la première bande originale que TANGERINE DREAM composa pour un film. En effet, celle-ci date de décembre 1971. Il s’agit de la bande originale d’un petit téléfilm, Vampira, produit par la télévision ouest-allemande de l’époque.

Le 29 mars 1977, après de longs et lourds préparatifs, TANGERINE DREAM entame une tournée intense et immense à travers le Canada et les États-Unis. Elle donnera sa matière à un double-album live, Encore, sorti en octobre 1977, soit tout juste quelques mois après la sortie de l’album-BO The Sorcerer sorti, lui, en juillet 1977.

Ce qui frappe d’abord dans Encore, c’est sa pochette. Impossible de ne pas avoir une petite larme de nostalgie à l’œil quand on voit FROESE, FRANKE et BAUMANN ensemble sur cette grande scène, entourés chacun par d’impressionnants synthétiseurs. L’image-symbole de toute une ère. Et le contenu du double-album est plutôt excellent, même si, c’est vrai, il n’y a pas l’inventivité sonore et les improvisations géniales d’un Ricochet. Mais, au moins, là où Ricochet était un assemblage plutôt qu’un témoignage fidèle des concerts enregistrés, Encore nous présente-t-il quatre plages de concerts dans leur intégralité. En ce sens, on peut dire que ce double-album est le testament live, l’ultime témoignage sur scène d’un TANGERINE DREAM dans une époque en train de s’achever.

Cet achèvement d’une ère sera encore plus palpable, éclatant et définitif quand Peter BAUMANN fera ses adieux complets et irrévocables à FROESE et à FRANKE à la fin de l’année 1977 pour commencer une carrière solo et mettre la dernière main à son propre studio d’enregistrement.

Cette fois, c’est sûr, une page se tournait pour TANGERINE DREAM et pour tous ses fans.

Du cyclone hérésiaque…

Mais pour autant qu’ils étaient tristes du départ de Peter BAUMANN, Edgar FROESE et Christopher FRANKE n’en voulaient pas moins continuer l’aventure avec un TANGERINE DREAM reconstruit et de nouveau prêt à affronter les studios et les scènes. Et pour aider le navire à repartir de l’avant, Edgar FROESE eut l’idée de faire appel à un de ses plus fidèles amis et qui plus est déjà ancien membre de TANGERINE DREAM, le claviériste/flûtiste/saxophoniste Steve JOLLIFFE. Un excellent batteur, Klaus KRÜGER, connu pour fabriquer lui-même ses batteries, sera aussi appelé en renfort.

Un studio d’enregistrement fut loué pour une durée d’un mois, 24 heures sur 24. Tous les musiciens s’enfermèrent dedans sans avoir la moindre idée de l’album qu’ils allaient y enregistrer. Des dizaines de projets furent élaborés, testés puis abandonnés. Au bout d’un moment, Steve JOLLIFFE coucha quelques paroles de chanson sur une feuille de papier et les mit en musique avec l’aide d’Edgar FROESE, prenant soin également d’assurer les parties vocales. Klaus KRÜGER et Christopher FRANKE ayant ajouté par dessus quelques pistes de batterie, le tout donna Rising Runner missed by Endless Sender.

Ce morceau permit de dégager une vraie direction à suivre pour élaborer le reste de l’album et rendit aussi possible que tout le monde contribue à parts égales aux autres morceaux encore à réaliser. Ainsi, pour Madrigral Meridian, Christopher FRANKE prépara quelques séquences accompagnées de quelques lignes de basse et tout le groupe se mit à improviser dessus.

C’est ainsi que naquit peu à peu l’album Cyclone, enregistré en janvier 1978 et sorti en mars 1978.

Le moins que l’on puisse dire est que Cyclone reçut un accueil partagé entre la colère de beaucoup de vieux fans refusant, ô hérésie, que l’on puisse entendre des paroles de chansons dans un album de TANGERINE DREAM et la joie d’autres fans ravis au contraire d’écouter un TANGERINE DREAM remis à neuf, osant l’impensable et presque rock.

Sans entrer dans cette polémique inutile et stérile, force est de constater que cet album a constitué un sacré renouveau dans la discographie de TANGERINE DREAM tout en surfant sur le style déjà bien établi du groupe. Force est aussi de constater que le jeu de Lyricon de Steve JOLLIFFE étendait tant étonnamment qu’agréablement la palette des sons d’un TANGERINE DREAM plus habitué à utiliser un genre de synthétiseurs plus classique.

Après la tournée quelque peu boudée qui suivit la sortie de Cyclone et constatant que les ventes de cet album, pas toujours bien compris, n’étaient restées que très moyennes, le groupe décida de mettre fin à cette expérience et dut enregistrer, en conséquence directe, le départ de Steve JOLLIFFE, qui entamera dès lors une carrière solo.

En août et septembre 1978, Edgar FROESE et Christopher FRANKE, devenus le « noyau dur » de TANGERINE DREAM, enregistrèrent un nouvel album, Force Majeure, sorti en février 1979, tout juste secondés de Klaus KRÜGER pour les parties de batterie et d’Edgar MEYER, qui y mêle quelques instants la musique de TANGERINE DREAM au son de son violon- celle.

Si Cyclone était un album plutôt homogène, Force Majeure fut au contraire nettement plus disparate concernant ses atmosphères, alternant entre le mystérieux, le swinguant et le carrément rock, frôlant même à un moment un semblant de mélodie enfantine. Cela dit, tout comme Cyclone, il possède un son très particulier, bien à lui, avec un morceau tout à fait remarquable, ou curieux s’il l’on préfère, Thru Metamorphic Rocks.

En effet, dans la majeure partie de ce morceau, Christopher FRANKE s’affaire autour d’une séquence énergique où domine un bruit blanc fortement flangé. Pendant quelques minutes, on se croirait revenu au bon vieux temps (pas si lointain pourtant) du TANGERINE DREAM expérimental et débridé de Rubycon ou de Ricochet. De fait et symboliquement, Thru Metamorphic Rocks, comme un dernier regard en arrière, sera le dernier morceau du dernier album d’un TANGERINE DREAM qui va bientôt totalement changer de sonorité et d’esprit.

…aux tempêtes majeures

Cette transformation sera d’abord due à l’entrée des synthétiseurs dans l’ère du digital.

Jusque là, tous les synthétiseurs, du modeste Teisco 100-F au fabuleux ARP 2500 en passant par l’incontournable Minimoog et l’imposant Korg 3300, étaient analogiques. On ne parle que de la fameuse trinité VCO/VCF/VCA, d’enveloppes ADSR et de LFO. La synthèse soustractive règne en maîtresse quasi-absolue.

À partir de la fin des années 1970, des synthétiseurs d’un nouveau genre apparaissent. Ils ont pour noms PPG Wave 2, Synclavier II ou Fairlight. Des monstres extrêmement chers mais qui étaient alors le top du top. Un peu plus tard viendra même le très célèbre Yamaha DX-7, bien moins onéreux mais néanmoins capable de performances sonores tout à fait stupéfiantes.

C’est une révolution. Non seulement de nouvelles formes de synthèses (modulation de fréquence, modulation de phase…) font leur apparition, permettant des palettes de sons encore jamais entendus, mais il devient même possible de jouer avec n’importe forme d’onde créée de toutes pièces (synthèse additive, synthèse graphique…).

Encore plus fort, avec les premiers samplers (échantillonneurs en bon français), toute source sonore devient enregistrable, mémorisable, modifiable et jouable. Là, il ne s’agit même plus d’une révolution, c’est un véritable big-bang.

Et bien entendu, pour un groupe aussi impliqué que TANGERINE DREAM dans l’univers des synthétiseurs, il aurait été impensable qu’il ne fut pas un des premiers à se plonger dans cette nouvelle technologie et à en tirer toutes les conséquences sonores.

Cette transformation sera due également à l’arrivée dans le groupe de Johannes SCHMOELLING, un musicien de formation classique mais déjà très habitué à jouer sur des synthétiseurs. Son jeu coloré et subtil va grandement changer le son de TANGERINE DREAM et faire évoluer ses mélodies vers de nouveaux horizons.

Toutefois le son de ce TANGERINE DREAM n’aura plus rien à voir avec celui où évoluait BAUMANN, ni même avec celui où avait joué Steve JOLLIFFE et Klaus KRÜGER. Les morceaux deviennent strictement composés de A à Z. Finies les improvisations, les inventions sur le vif, l’expérimentation, l’imprévu et la surprise. Au fur et à mesure des albums, TANGERINE DREAM devient un groupe de plus en plus sage et sa musique, de révolutionnaire et d’avant-garde qu’elle était auparavant, devient au fil du temps de moins en moins innovante même si elle reste jolie et évocatrice.

Tangram, sorti en mai 1980, sera le premier album du trio FROESE/FRANKE/SCHMOELLING. Il sera suivi d’Exit (1981), de White Eagle (1982), d’Hyperborea (1983) et de Le Parc (1985), pour ne parler que des albums réalisés en studio.

Le dernier de ces albums, Le Parc, comporte d’ailleurs au dos ce sa pochette un remerciement qui aurait paru incongru voire inconcevable quelques années plus tôt. On peut y lire en effet : « Special thanks to :… Christian GSTETTNER and Steffan HARTMANN for computer programming ». Eh oui ! Avec l’arrivée des micro-ordinateurs et de l’informatique musicale, le groupe ne prend même plus le soin de programmer ses machines. Aurait-on imaginé aux temps de Phaedra et de Ricochet que les membres de TANGERINE DREAM ne programment pas eux-mêmes leurs synthétiseurs et leurs séquenceurs ? Totalement impensable ! Et pourtant, dès Le Parc, le pli est pris. TANGERINE DREAM ne fait plus que composer ses musiques, laissant à d’autres la programmation de leurs engins.

Durant cette période TANGERINE DREAM va aussi multiplier les musiques de films américains. Thief et Risky Business ne seront que quelques titres parmi la série de bandes originales que signera TANGERINE DREAM pendant ces années-là.

Le rythme du travail en studio devient infernal. Et c’est sans compter les obligatoires tournées qui accompagnent chaque sortie d’un nouvel album.

Johannes SCHMOELLING finit par craquer. D’autant plus qu’il se met assez rapidement à rêver d’une carrière solo. En janvier 1986, Johannes SCHMOELLING annonce son départ du groupe. Une nouvelle page se tourne pour TANGERINE DREAM.

Toutefois la place laissée vacante par Johannes SCHMOELLING ne le restera pas longtemps. Dès le 29 mars 1986, Edgar FROESE peut se réjouir au micro d’une radio allemande qu’il vient de recruter au sein du groupe Paul HASLINGER, un jeune musicien autrichien, 23 ans à l’époque (alors qu’Edgar FROESE va déjà sur ses 40 ans), formé au conservatoire de Vienne, très à son aise sur les instruments électroniques et féru de musique jazz, funk et soul.

Le nouveau trio FROESE/FRANKE/HASLINGER va enregistrer un premier album studio, Underwater Sunlight, en 1986, puis un second, Tyger, en 1987. Ils vont aussi continuer la tradition déjà bien établie d’un TANGERINE DREAM bâtisseur de bandes originales pour films américains. Shy People et Near Dark, entres autres, vont ainsi venir grossir le tableau de chasse musico-filmographique déjà impressionnant du groupe. Et bien sûr TANGERINE DREAM ne se lasse pas de donner concert sur concert à chaque fois que l’occasion se présente.

Alors, tout va bien, enfin, pour TANGERINE DREAM ? Non.

Un énorme coup de tonnerre va assommer les fans du groupe au début de l’année 1988 : Christopher FRANKE s’en va.

Il en a assez et même plus qu’assez de livrer des musiques de films composées dans la hâte et enregistrées à la va-vite.

Il ne ressent plus rien quand le public l’applaudit lui et le reste du groupe pour des musiques dont il sait très bien qu’elles ne sont que très médiocres par rapport à ce qu’elles auraient pu être si lui et ses compagnons avaient eu plus de temps à leur consacrer.

Bref, il se dit que le temps est venu pour lui de quitter un groupe qui le consume à force d’être toujours, toujours, encore et encore sous pression.

Trop, c’est trop. Il part donc pour débuter une carrière solo et s’installe deux ans plus tard à Los Angeles où il a monté son propre studio d’enregistrement.

Alors, tout est fini, donc, pour TANGERINE DREAM ? Non.

Changement d’ère et changement d’airs

Le coup encaissé et les poings serrés, Edgar FROESE et Paul HASLINGER vont continuer à mener TANGERINE DREAM sur sa route et vers l’avenir.

En août 1988, le couple FROESE/HASLINGER sort un premier album, Optical Race. Ce couple ne devient un trio que pour un seul des titres de cet album, un des morceaux ayant été co-composé par Ralf WADEPHUL, un musicien berlinois qui ne restera que peu de temps en contact avec les membres de TANGERINE DREAM. À noter aussi qu’Optical Race a été le premier des album du groupe à avoir été produit par le label Private Music, dirigé par… Peter BAUMANN ! Comme quoi, l’histoire d’un groupe, de ses membres et de ses ex-membres est bien souvent une source intarissable de rebondissements inattendus…

En octobre 1989, le couple FROESE/HASLINGER sort un second album, Lily on the Beach, produit de nouveau par le label Private Music. Une des grandes particularités de cet album est qu’il est le premier où apparaît Jerome FROESE, le propre fils d’Edgar FROESE, qui a alors tout juste 19 ans. Il tient la guitare sur Radio City. Autre nouveauté qui pointe le bout de son nez sur cet album, le saxophone, dont les sonorités planent sur Long Island Sunset. Il est joué par Hubert WALDNER.

Sur l’album suivant, Melrose, sorti en octobre 1990 et encore produit par le label Private Music, le couple FROESE/HASLINGER devient le trio FROESE/ FROESE/HASLINGER.

En effet, Jerome FROESE a été invité à faire désormais partie de TANGERINE DREAM. Hubert WALDNER joue de nouveau du saxophone sur Melrose, le morceau qui a donné son nom à l’album.

Bien sûr, pendant cette période-là, TANGERINE DREAM continue d’être le grand pourvoyeur de musiques de films qu’il était déjà auparavant. Miracle Mile et The Man Inside ne seront que deux parmi les nombreuses bandes originales que le groupe composera durant ces quelques années.

Alors, tout va bien, vraiment enfin, pour TANGERINE DREAM ? Non.

Un nouveau coup de tonnerre va étourdir les fans du groupe à la fin de l’année 1990 : Paul HASLINGER s’en va.

Il s’installe à Los Angeles en 1991 et participe en 1992 à la formation du groupe BLUE ROOM où il rejoint Peter BAUMANN et John BAXTER. Malheureusement, les membres de BLUE ROOM se sépareront deux ans plus tard sans avoir produit d’album.

Cependant, et dès 1991, il avait également débuté de fructueuses relations avec le groupe français LIGHTWAVE. Les résultats de ces relations s’entendront dans deux des albums de ce groupe, Tycho Brahe (1994) et Mundus Subterraneus (1996).

Par ailleurs, Paul HASLINGER entamera aussi une foisonnante carrière solo.

Alors, tout est fini, vraiment fini, donc, pour TANGERINE DREAM ? Non.

FROESE, FROESE et Compagnie

Le coup encaissé et en se serrant les coudes, Edgar et Jerome FROESE vont continuer à mener TANGERINE DREAM sur sa route et vers l’avenir.

Le nouveau tandem FROESE Père et fils sort en 1992 Rockoon, où le guitariste très hard Zlatko PERICA fait ses premières apparitions.

Toujours en 1992, le duo FROESE/FROESE du nouveau TANGERINE DREAM produit également Quinoa, un album à édition limitée uniquement destiné aux membres de leur fan-club.

Puis c’est la sortie, en 1993, du très live et du très rock 220 Volt où la saxophoniste Linda SPA joue aux côtés des deux FROESE et de Zlatko PERICA.

Vint ensuite, en 1994, l’album Turn of the Tides, où Linda SPA et Zlatko PERICA continuèrent à assister de leur saxophone et de leur guitare le désormais inséparable duo FROESE/FROESE.

Petit changement pour Tyranny Of Beauty, sorti en février 1995. Zlatko PERICA est parti faire vibrer les cordes de sa guitare ailleurs. En revanche, Linda SPA maintient une active collaboration avec les FROESE Père et fils. À noter sur cet album une reprise du Stratosfear de 1976.

Grand changement pour The Dream Mixes, sorti en octobre 1995. Car ici, ce n’est pas moins de 10 morceaux tirés des albums récents de TANGERINE DREAM qui sont revus et corrigés. Pour faire bonne mesure, le tandem FROESE et FROESE offrent également à l’écoute 4 autres morceaux inédits.

Linda SPA fera son retour sur Goblins Club, sorti en septembre 1996, co-composant même Elf June and the Midnight Patrol avec Edgar FROESE.

Retour aussi de Zlatko PERICA sur le live Tournado, sorti en septembre 1997, mais cette fois sans la présence de Linda SPA qui a été jouer ailleurs de son saxophone.

Puis c’est la sortie en novembre 1997 et par le seul duo FROESE/FROESE de Time Square, sous-titré « Dream Mixes 2 », mais avec seulement 2 morceaux remixés, le reste de l’album étant fait d’inédits.

Depuis, TANGERINE DREAM, devenu au fil du temps et en quelque sorte une affaire de famille, a continué à sortir album sur album, albums studio, albums live, albums de reprises, tout en composant de nombreuses nouvelles bandes originales de films.

Certains verseront quelques larmes sur le TANGERINE DREAM de la « grande époque », celui du trio FROESE/FRANKE/BAUMANN. D’autres se diront que TANGERINE DREAM a simplement suivi le parcours obligatoire d’un groupe tel que le leur, mêlant le rock à la musique électronique, et voulant résister aussi honorablement que possible à l’usure des années. À chacun de se faire son opinion. Quoi qu’il en soit, TANGERINE DREAM restera dans l’Histoire.

Site : www.tangerinedream.org

Biographie réalisée par Frédéric Gerchambeau
(Article original publié dans
TRAVERSES n°17 – avril 2005)

 

 

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