The Gamelan of the Walking Warriors – Gamelan Beleganjur and the Music of the Ngaben Funerary Ritual in Bali

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The Gamelan of the Walking Warriors – Gamelan Beleganjur and the Music of the Ngaben Funerary Ritual in Bali
(Akuphone)

Vous vous promenez dans un village sur l’île de Bali et tombez sur une procession funéraire. Une famille locale enterre un proche, dont le cercueil – une tour élaborée – est transporté à travers le village au pas de charge, afin d’éviter que l’âme du défunt ait le temps de retrouver son chemin et revienne hanter ses parents. La procession est synchronisée par une musique jouée à grand renfort de tambours, de cymbales, de petits gongs à mamelon horizontaux, d’autres gongs horizontaux, cette fois de taille moyenne, de gongs plus grands tenus à la main ou suspendus, et et de gongs encore plus grands, eux aussi suspendus. Tous ces instruments s’enchevêtrent, créant des couches rythmiques compactes, les cymbales et les tambours électrisant l’atmosphère quand les petits gongs jouent une mélodie en boucle et que les grands gongs marquent des pulsations inquiétantes et grisantes tout à la fois. Vous êtes certainement face à un gamelan Beleganjur.

En Indonésie, Bali est, avec Java, l’île où se trouve la plus grande variété de gamelans. Tous ont peu ou prou fait l’objet d’enregistrements commercialisés sur LP et sur CD sur plusieurs labels locaux et internationaux, au point qu’il est loisible à tout un chacun de faire plus ample connaissance avec chaque type de gamelan. Mais curieusement, le gamelan Beleganjur a moins fait l’objet de documents sonores que ses pairs, les gamelans Kebyar, Jegog, Semar Pegulingan, etc. Et quand c’est le cas, il y a fort à parier que la musique du Beleganjur nous est présenté sous sa forme spectaculaire (« kreasi Beleganjur »), toute en virtuosité et technicité, développée depuis un quart de siècle dans les concours de gamelans.

On comprend que cette évolution est certes plus à même de fasciner locaux et touristes, mais on en finirait par oublier que le gamelan Beleganjur prodiguait à la base une musique martiale et processionnelle. Son nom signifie du reste « gamelan des guerriers en marche », et il était joué lors des fêtes religieuses et des cérémonies militaires, voire lors des périodes de conflits armés (pour effrayer l’ennemi !). C’était donc un gamelan « transportable ». Mais même si son homologue occidental est la musique de fanfare militaire, la musique du gamelan Beleganjur distille toutefois un climat différent, au moins de par son instrumentation.

Le label français Akuphone nous donne avec cet album, disponible en CD et en LP, la possibilité d’écouter la musique du Beleganjur sous un angle différent de celui habituellement présenté. Collectés par le docteur en ethnomusicologie italien Vincenzo Della RATTA (déjà auteur d’un disque sur les musiques de Bornéo sur le label Sublime Frequencies), les enregistrements présentés ici proviennent de deux sources. Ceux qui correspondent à la première face du LP (pistes 1 à 4 sur le CD) proviennent du village de Wanagiri (district de Sukasada) et font écouter le gamelan de l’association Dharma Shanti, dont le style se démarque du plus répandu style de Denpasar par une mise en valeur des qualités mélodiques de l’ensemble sans jamais sacrifier l’intensité rythmique, mais sans non plus céder à la vélocité athlétique.

Les enregistrements inclus sur la face B du vinyle (pistes 5 à 9 du CD) donnent l’opportunité d’écouter un gamelan Beleganjur dans un contexte cérémoniel. Dans le village de Peliatan (district d’Ubud), Vincenzo Della RATTA a pu capter au plus près une musique déambulatoire jouée lors d’un rituel funéraire (Ngaben) qui s’est étalé sur deux jours. Il en livre des extraits qui font montre d’une belle énergie à la fois vive et canalisée, et qui restituent les principales phases de la procession, depuis la demeure du défunt jusqu’au lieu de crémation, puis en bord de mer (où les cendres sont dispersées).

Deux extraits nous offrent de plus l’occasion d’écouter un autre type de gamelan, le gamelan Angklung, qui partage sa fonction cérémonielle avec celle du Beleganjur. Bien que son nom renvoie à un orchestre formé d’instruments à base de tubes en bambou montés sur cadre (angklung), le gamelan Angklung n’utilise plus ceux-ci et n’est désormais constitué que de métallophones, de carillons, de gongs suspendus, de cymbales et de tambours (parfois aussi des flûtes). Le plus grand nombre de métallophones présents dans le gamelan Angklung lui procure une sonorité plus cristalline que le gamelan Beleganjur. Enfin, un extrait fait également entendre des voix féminines entonnant des lamentations plaintives sur le lieu de crémation.

Le caractère « live » des captations et le contexte particulier de celles-ci garantissent un statut d’ « authenticité » aux musiques exposées ici, puisque non soumises à des exigences de compétition ou de démonstration outrée. Voilà donc un document précieux que tout amateur de musiques traditionnelles de gamelan se doit d’ajouter à sa discothèque. Et si d’aventure la pochette quelque peu gothique de ce disque attire la curiosité d’un novice, celui-ci en sera quitte pour éprouver un frisson musical sans doute d’une autre nature que celui qu’il attendait. Oui, ces musiques-là existent encore de nos jours, et c’est tant mieux !

Stéphane Fougère

Label : https://akuphone.com

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