VAN DER GRAAF GENERATOR : A Band From The Past… …And One For Present

243 vues

VAN DER GRAAF GENERATOR

A Band From The Past…
…And One For Present

Réunion d’anciens membres, concert événementiel d’abord, mini-tournée en Europe ensuite, nouveau disque, rééditions CD remastérisées et augmentées, tel est le planning obligé de tous les groupes mythiques qui se reforment, aujourd’hui de plus en plus nombreux. Sauf que là, on parle de VAN DER GRAAF GENERATOR, soit d’une entité dont la légende « maudite » n’a cessé d’être entretenue inconsciemment par les silences oublieux d’une majeure partie de la presse musicale généraliste et dont le mentor, le non moins légendaire Peter HAMMILL, a constamment répété à travers les années (28, déjà !) qu’elle ne réapparaîtrait jamais… sans une bonne raison !

L’impensable est désormais acquis, ou commis : VAN DER GRAAF GENERATOR est de retour, dans sa formule dite « classique », soit Peter HAMMILL, David JACKSON, Hugh BANTON et Guy EVANS (manque tout de même Nic POTTER), autrement dit le quartet qui a enfanté des opus majeurs de l’histoire du rock, tels Pawn Hearts, Godbluff, Still Life, ou World Record.

TRAVERSES / RYTHMES CROISÉS ne va pas vous résumer les épisodes précédents, cela prendrait trop de place et de temps. Le seul temps qui nous reste, c’est celui que VDGG conjugue désormais au Present, titre lourd de sens de son nouvel album. Il y a tant à dire sur cette reform.. pardon !, sur cette « réunion » qui rebondit d’épisodes en épisodes. En voici dans le détail les moments-phare : le nouveau disque, le premier concert à Londres, le concert à Paris ; et, tant qu’à faire, rencontre au sommet avec les intéressés ! Avec tout ça, on finira bien par la trouver, la bonne raison !

VAN DER GRAAF GENERATOR en 2005 : est-ce une anomalie chronologique ? Un dysfonctionnement spatio-temporel ? Non, il est bel et bien là, ici et maintenant. Contre toute attente ? Honnêtement, oui. Et pourtant, il y a eu ces dernières années des prodromes de ce retour, peut-être trop évidents pour qu’on se risque à les reconnaître comme tels.

Il y a d’abord eu ce concert à l’Union Chapel en 1997 de Guy EVANS et de Peter HAMMILL… « and friends ». Parmi ceux-ci, David JACKSON et Hugh BANTON, qui rejoignent les deux sus-nommés en fin de concert pour jouer… Lemmings ! Une trace discographique en témoigne. Et le temps passe… En février 2003, Peter HAMMILL se produit en concert solo au Queen Elizabeth Hall, à Londres. En rappel, JACKSON, BANTON et EVANS (au tambourin !) le rejoignent pour jouer Still Life. Officiellement, il n’y aura pas de suite à ces retrouvailles. Mais en coulisses, les quatre sont tentés par l’impossible. Et s’ils remettaient ça ? On les pousse, on les presse…

Dans le livret de ce nouvel album, Guy EVANS évoque d’autres moments de retrouvailles non musicales mais tout aussi déterminantes dans l’accélération de la matérialisation d’une idée contre laquelle les quatre ont toujours lutté. Appelons cela une prise de conscience de la nature éphémère de l’être, de la nécessité d’achever ce qui ne l’avait pas encore été dans le cheminement artistique. « It’s so easy to slip away… » On croyait s’être tout dit, mais on n’en est plus si sûr…

Alors on planifie des répétitions. Une condition toutefois : ne pas redire, mais le dire de nouveau. Ça s’appelle un challenge. On verra bien… Et patatra ! Fin 2003, Peter HAMMILL est frappé par une crise cardiaque. Ouf, sauvé ! Mais tout de même… Ce type d’expérience aurait pu être interprétée comme l’expression d’un déni du destin à vouloir encourager ce désir de « ré-génération ». Elle a au contraire renforcé la conviction qu’il fallait la tenter avant qu’il ne soit trop tard.

« Await the Unexpected »

VAN DER GRAAF GENERATOR – Present
(Charisma/Virgin/EMI )

C’est à peine croyable. On a beau le tenir dans ses mains, on a encore du mal à croire que ce CD existe et qu’il contient du neuf. Ce n’est pas une énième compilation introductive, ni un recueil d’archives, c’est un nouvel album… double, qui plus est, et enregistré dans le plus grand secret.

Février 2004 : alors que, du côté des fans, on s’inquiète de savoir si Peter HAMMILL recouvrera toutes ses facultés vocales, s’il sera de taille à remonter sur scène, s’il aura la même foi, la même force, les quatre VAN DER GRAAF se donnent rendez-vous dans le Devon, dans le Sud-Ouest de l’Angleterre, dans le presbytère de Pyworthy… Non pour prier, mais pour jouer ensemble. Tout au moins savoir s’ils seront encore capables de se supporter pendant une semaine entière dans un lieu clos paumé en pleine villégiature, mal indiqué, et aménagé tant bien que mal en studio d’enregistrement certes étroit.

Plus d’un an après les faits, les résultats de cette session sont publiés, tel un compte-rendu de réunion, dans un album nommé, non sans malice, Present, et qui a la particularité d’être bicéphale. Pour son grand retour, VAN DER GRAAF GENERATOR a donc choisi le suicide commercial. Pas de doute, ça veut au moins dire qu’il est bien revenu !… et qu’il n’a pas changé. Oui, enfin… Faut voir… et écouter !

Le morceau d’introduction du premier CD se veut rassurant : Every Bloody Emperor démarre sur la pointe des pieds, comme Undercover man à l’époque de la première reformation de VDGG en 1975. Coïncidence ? Hum… Émergent d’entrée des sons de claviers étranges, un poil plus modernes que ceux auxquels le Générateur nous avait habitués, évoquant les récentes productions hammilliennes…

Le doute nous assaille l’espace d’un instant : et si cet album labellisé VDGG n’était autre qu’un album solo de HAMMIILL habillé de-ci de-là par ses anciens comparses ? Et puis la batterie s’émoustille, ses cymbales sont mises en relief, le saxophone profère sa première plainte… Et la voix de HAMMILL se pose. Le « thin man » débite une harangue péremptoire contre les mensonges et le mépris des puissants qui gouvernent, pour le moins meilleur et pour le pire, sur le monde. La voix est un peu voilée, peut-être une séquelle de l’accident cardiaque ? Mais le texte en impose, et l’orgue de BANTON ne tarde pas à planter le décor solennel de rigueur, la voix s’élève, « s’emphatise », avant que les claviers s’envolent, édifiant de grisantes volutes tandis que les saxophone et flûtes jacksoniens étalent leurs complaintes en spirales et que la batterie prodigue une assise infaillible… Ça y est, le son emblématique de VDGG est là, quasi intact après 28 ans de retraite trappiste. On se plaît même à penser que ce Every Bloody Emperor jaillit tout droit de l’époque Still Life. C’est en tout cas une somptueuse et édifiante entrée en matière, (god)bluffante à souhait !

Ce qui suit n’est pas une chanson, mais une pièce instrumentale signée du seul David JACKSON. Si c’est pas une nouveauté, ça ! Faussement nonchalant, bien vite prenant, nimbé de mystère, classisant mais un peu acide par endroits, Boleas Panic décale un peu l’usuel propos vandergraafien, sans pour autant afficher de nouvelle ligne d’arrivée précise. On reste dans l’expectative, séduits et interrogateurs…

Est-ce une transition vers autre chose ? Quoi au juste ? Mais bien vite la réflexion est stoppée net par une déflagration paranoïaque : c’est la Nutter Alert ! Déchirures de saxophone, giclées baveuses d’orgue, batterie appuyée, chant halluciné, voix à la sonorité « claustrophobisée », la charge est cinglante. Petit frère thématique d’Energy Vampires, Nutter Alert ravive le feu intérieur brut du Générateur. Nul doute qu’il sera un pivot du répertoire live.

YouTube player

Après une telle claque, le basculement est inévitable. BANTON se met à la guitare basse, HAMMILL troque le clavier contre la guitare électrique. Poursuivant dans la veine nerveuse et compulsive avec force contre-temps, Abandon Ship ! évoque la vieillesse sous des traits cocasses. Ça s’agite mais au fond ça piétine, ça fait du surplace. L’adrénaline est là, mais sa montée se fait laborieuse. Est-ce le syndrome parkinsonien ? En tout cas, on a définitivement quitté le rivage des compositions aux structures progressives complexes et grandiloquentes au profit de pièces plus directes, bien que dissonantes, rappelant paradoxalement la formation VAN DER GRAAF, sans son GENERATOR, et notamment le live Vital.

YouTube player

In Babelsberg confirme la tendance, avec cependant plus de conviction, crachant un venin épileptique et rugueux qui n’est pas sans rappeler des pièces urgentes et exorbitées comme Ship of Fools. L’invitation de HAMMILL est sans ambiguité : « Come on, let’s get lost in the dark. »

Il subsiste néanmoins dans ces deux derniers morceaux une sensation d’inachevé qui reflète l’urgence dans laquelle s’est fait l’enregistrement de ce disque. Quand bien même Present a été retouché, remixé subséquemment à son enregistrement, les « Vandergraafeux » ont tenu à préserver un son « brut de fonte », quoique aiguisé et clair, et un aspect embryonnaire à leurs compositions, principalement dans cette deuxième partie du premier CD, nous laissant à penser que ces compositions, d’apparence mi-écrites, mi-improvisées, seraient susceptibles d’évoluer dans un contexte live. Ce faisant, tout se passe comme si Present reprenait finalement les choses là où le groupe les avait laissées avec World Record, c’est-à-dire en aérant son propos à coup d’anfractuosités improvisatrices, tout en lui ajoutant l’aigreur rebelle de Vital.

Le premier CD arrive à son terme : on entend les musiciens causer entre eux avant de commencer le morceau, renforçant la sensation d’un « direct live ». Aux commandes d’un piano électrique distillant des gouttes vivifiantes, HAMMILL embraye avec des propos sur le temps qui passe (son grand dada), fait allusion à l’urgence de la réunion du groupe et nous invite à marcher avec lui au bord de la mer, On the Beach… puis sa voix s’efface sur un rythme soft, fluide, presque calypso, avec dodelinements de saxophone et de claviers. Au loin dans la brise, un chœur commence à évoquer le « surfeur d’argent », avant que le flux et le reflux des vagues ne se fassent entendre en guise de générique de fin. On ne sait si c’est un gag, du lard ou du cochon, mais ce « happy end » laisse dubitatif et s’avère moins émouvant qu’un Wondering. La sensation d’inachevé ressentie précédemment laisse sournoisement la place à une impression de remplissage complaisant après une première moitié pourtant exemplaire. Sur la plage… c’est bien là que vient s’échouer VDGG au bout de seulement 38 minutes, durée totale de ce premier CD !

Mais Present ne s’achève pas ici. On n’est en fait même pas à mi-parcours. Le second CD s’ouvre sur le bruit des vagues, manière de signifier qu’il constitue vraiment la suite du premier disque. Sauf que, sur la plage où viennent s’abattre ces vagues, il n’y a plus de sable, mais des galets, des rochers ! Là encore, c’est une façon de dire que la flânerie touristique se transforme en randonnée sur terrain accidenté. Il convient d’être aguerri à ce genre de sport et donc d’être mieux chaussé (pas en espadrilles, quoi !).

La balade ne plaira pas à tout le monde, à commencer par ceux pour qui il ne doit exister de musique que mélodique, sophistiquée, ultra-produite et scrupuleusement construite. Ce CD dure 65 minutes et ne comprend que des improvisations instrumentales. Nous pénétrons au cœur même de l’acte de création sonore du Générateur, dans son jaillissement spontané, véritablement dans le « présent » de l’élan musical, sans retouches ultérieures d’aucune sorte. Rien qu’un son tranchant et net. Pour Guy EVANS, l’effet recherché avec ce second CD est de nous donner l’impression d’être « enfermé dans une pièce avec VAN DER GRAAF GENERATOR », d’être comme un invité privilégié de leurs sessions d’enregistrement.

L’effet est saisissant, et le contenu musical assez croustillant. C’est en pleine « jam » que nous sommes accueillis avec Vulcan Meld, de ces jams typées 70’s au son jazz-rock angulaire et rustique juste ce qu’il faut. On y croit, mais on espère quand même que tout le reste ne sera pas du même acabit, car il y a comme un arrière-goût de déjà-entendu ailleurs. Soutenu par un « beat » quasi disco, Double Bass mêle sons de synthé clinquants et sons de basse gluants sur lesquels le saxophone déblatère avec entrain, avant que le rythme ne se désagrège et reprenne en vitesse modérée. Un halo de contemplation amère entoure Slo Moves, avec d’amples aplats paysagers de saxophone et manifestations percussives disloquées. La guitare électrique de HAMMILL sert de fil conducteur dans un Architectural Hair habité par d’étranges créatures. L’apport de BANTON avec ses gammes nuancées à l’orgue se dévoile plus ici que sur le premier CD, tandis que JACKSON batifole avec délectation, sur une rythmique palpitante et fourmillante d’idées, animée de main de maître par Guy EVANS. On sait désormais que c’est l’enthousiasme qui a dominé leurs retrouvailles !

YouTube player

La course s’accélère dangereusement avec Spanner, criblé de borborygmes « orguan »-iques, de coups de semonces saxophonistiques et de hurlement guitaristiques. Un retour au calme aussi inattendu (chez VDGG s’entend) que bienvenu est de mise avec l’immaculé Crux. Suit Manuelle sur un rythme aux allures de reggae alourdi, comme un Meurgly’s III qui aurait tourné vinaigre et à la gueule de bois. Un nouveau tour de chauffe poivré est entamé avec ‘Eavy Mate, mais éclate rapidement. Homage to Teo poursuit dans le free-rock, nourri de sonorités science-fictionesques prodiguées par BANTON, qui finit par peindre une ambiance de sous-sol de cathédrale… C’est sur une inhabituelle rythmique tribale que se joue The Price of Admission, sur lequel tout le monde vient partager ses humeurs acrimonieuses et vindicatives, avant d’aller tranquillement se coucher tandis que la marée haute reprend possession des lieux…

La randonnée est terminée, elle nous a fait visiter des pans de l’univers vandergraafien qui étaient trop longtemps restés en friche. Certes, le périple n’est pas à conseiller à tout le monde, mais il est indéniablement de haute volée. Ces improvisations n’ont rien à voir avec des bouts d’essai et des démos mal plâtrées. Elles constituent d’authentiques pièces musicales tout aussi épiques et inventives que les classiques du groupe. Jamais ce dernier ne s’était autant aventuré dans les contrées de la musique spontanée, si ce n’est peut-être avec Time Vaults (à la qualité sonore toutefois inférieure). Le spectre du KING CRIMSON live de 1972-74 doit évidemment rôder dans le secteur, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Sans ces improvisations, il n’y aurait pas eu de Present, sans doute même pas de retour de VDGG. Indéniablement, le contenu de ce second CD, d’un accès certes plus ardu, vient tempérer la frustration due à l’aspect un peu lâche et hétérogène du matériel composé du premier CD.

Manifestement, le temps a manqué à la bande des quatre pour concevoir un véritable nouvel opus avec des compositions abouties. Mais telle n’était pas la prétention de Present. Il faut plutôt l’appréhender comme le témoignage de la réactivation d’une étincelle vitale que l’on avait abandonné l’espoir de revoir un jour. Le Générateur est relancé. À charge pour lui dorénavant de savoir quelle route prendre. Après tout le défrichage opéré sur le second CD de Present, ce ne sont pas les pistes qui manquent…

Stéphane Fougère

« All the Habitual Farce »

VDGG Live in London, Royal Festival Hall, 6 mai 2005

Ce 6 mai 2005, la prestigieuse salle du Royal Festival Hall est remplie d’un public cosmopolite. On est venu de presque une trentaine de pays différents pour assister à ce qui est sans peine un imparable événement. Ce soir, les esprits éprouvent une rigidité ; les corps, un dérangement, l’anxiété et l’enthousiasme se confondent : la formation en quartet de VAN DER GRAAF GENERATOR donne son premier concert après 28 ans de silence. On se perd en conjectures sur ce qui va être joué, et comment. Certains, à la traîne, s’imaginent qu’ils vont écouter des morceaux de la carrière solo de Peter HAMMILL joués par VDGG. Peter avait pourtant lui-même confirmé que le répertoire serait bel et bien celui de VDGG, un mélange de nouveaux et de vieux morceaux..

Plus sérieusement, on pouvait davantage s’attendre à ce que ce concert inscrive sa logique interne dans le prolongement de celle tracée par l’album Present, paru quelques jours auparavant, soit avec un répertoire pensé ici et maintenant, reprenant la majorité des compositions du premier CD de Present, et incluant des improvisations du genre de celles enregistrées sur le second CD du même album, le tout enrobé de quelques anciens opus, de préférence ceux qui, à l’époque, affichaient déjà une disposition structurelle à l’improvisation, comme Lemmings, Meurgly’s III, Arrow, Scorched Earth, et bien sûr, quelques inévitables classiques (au hasard : Man-Erg, Darkness, Still Life, La Rossa…), mais réarrangés pour s’inscrire dans une esthétique allant de l’avant, et pourquoi pas quelques surprises, des opus oubliés ressuscités, des imprévus, et naturellement cette éternelle propension au chaos maîtrisé qui est le principal signe de reconnaissance du groupe.

Il n’en a pas été vraiment ainsi. C’est un VDGG on ne peut plus classique et consensuel qui s’est affiché ce soir-là, ce « VDGG mythique et éternel » qui a même poussé la perversité jusqu’à reconstituer peu ou prou un concert de l’époque 1975-76. On en veut pour preuve que le concert a débuté par Undercover Man, fatalement suivi de Scorched Earth, soit les deux premiers morceaux enchaînés de l’album Godbluff, qui officialisait le retour du groupe en 1975. Le reste fut à l’avenant : Lemmings, Darkness, Sleepwalkers, Man-Erg, et un non moins prévisible Killer en rappel. Sans doute l’inclusion de Masks et des poids lourds grandiloquents Childlike Faith in Chilhood’s End et (In the) Black Room étaient-ils moins attendus, plus étonnants, mais finalement aussi prévisibles, puisque dûment joués en 1975-76. En tous points, le choix de morceaux fut particulièrement conforme à celui des tournées de cette période, augmenté, pour faire bonne figure, de seulement deux morceaux du dernier album, Every Bloody Emperor et Nutter Alert, soit les plus aboutis, et qui cependant passaient comme une lettre à la poste.

Les seules surprises furent peut-être l’inclusion, (trop ?) tôt dans le concert, de Refugees, rarement joué dans les années 1970 mais devenu culte auprès d’une large audience (c’est probablement le morceau le plus accessible pour les auditeurs les moins « vandergraafophiles ») et, en second rappel, de Wondering, dernier morceau du dernier album (World Record) enregistré par cette formation en quartet, sûrement pas le plus attendu, mais choisir de l’interpréter était assez judicieux dans ce contexte, et son final, avec ses légères touches de flûtes évanescentes, bouclait la boucle en renvoyant aux premières notes d‘Undercover Man.

À défaut d’être centré sur l’album Present, ce concert au R.F.H. semblait plutôt faire la promotion des « remastered editions » des anciens albums du groupe. La set-list brossait donc amplement dans le sens du poil nostalgique du fan moyen, et l’interprétation des morceaux n’offrait guère de surprises puisque assez proche de celle que les vétérans du public ont pu goûter lors des meilleurs concerts de l’époque, avec néanmoins plus de maîtrise, de contrôle, signe que cette performance au R.F.H. a dû être sacrément répétée… peut-être même un peu trop, car n’offrant guère d’épanchements à l’improvisation ni ne s’essayant à la moindre prise de risques. Tout semblait très cadré, chiadé… convenable, pour ne pas dire sage.

Pouvait-il en être autrement après tant de temps ? Il n’empêche : ce soir-là, c’est l’émotion qui a primé, tant du côté du public, prêt à saluer n’importe quelle interprétation par une chaleureuse « standing-ovation », que du côté du groupe, visiblement très tendu au début par cet insensé pari du retour, mais qu’il a, d’un point de vue technique et sur le plan de l’interprétation, parfaitement négocié.

Dans un jeu de lumières parfois admirablement psychédélique, la configuration scénique était aussi semblable à celle des 70’s. Guy EVANS, légèrement surélevé, a montré qu’il pouvait frapper binaire tout en faisant preuve de subtilité et d’audace, David JACKSON, sur la droite, baignant littéralement dans son arsenal de saxophones et de flûtes, n’a eu aucun mal à activer la fibre jubilatoire ; et Hugh BANTON, placé sur la gauche, dispensait sans compter ses rasades de sons d’orgue, mais non sur un orgue véritable, trop lourd et peu fonctionnel, mais sur un clavier numérique auquel était adjoint un jeu de pédales de manière qu’il puisse assurer les parties de basse, opérant de ce fait une vigoureuse gymnastique des mains et des pieds.

Debout face au micro central, ou assis derrière un clavier sur la droite ou encore debout avec une guitare dont il jouait quelques accords, Peter HAMMILL a paru heureux et ému de retrouver cet univers qu’il avait boudé depuis si longtemps, chantant magnifiquement en dépit de ses problèmes de santé éprouvés un an et demi auparavant, et nous faisant même le coup de la possession épileptique et de la marche frénétique du devant à l’arrière de la scène sur Killer, de quoi effectivement affoler son médecin s’il avait été présent dans la salle ! On ne lui en voudra pas d’avoir par instants cafouillé dans les paroles, sous le coup d’un stress ou d’une fatigue compréhensibles au regard de l’énergie déployée…

En fait, c’est peut-être parce qu’il a évité toute prise de risques, tant dans l’interprétation que dans le choix des morceaux, que VDGG a réussi l’examen de passage que représentait ce concert, qui à l’origine devait être unique. Le son « vandergraafien » était toujours là, c’était bien ce qui importait aux quelques 3 000 têtes (et 6 000 oreilles !) venues l’entendre. Il convient cependant de remarquer qu’en 2005, après 28 ans d’absence, VDGG a nettement moins renouvelé son répertoire scénique qu’il ne l’a fait en 1975, après seulement 3 ans d’absence.

Mais ce 6 mai, le public fut tellement absorbé par ces retrouvailles inespérées qu’il n’avait guère l’envie de se poser des questions quant au sens à donner à pareille démarche « muséale » de la part de Peter HAMMILL, lequel s’est en d’autres temps complu à déclarer qu’il devait « tuer le fantôme de VDGG » et aller de l’avant et que si reformation il devait y avoir, ce serait avec du matériau neuf. C’est précisément ce qu’offre Present, aussi pourquoi ne s’en est-il pas davantage servi sur scène ? Ni l’ heure ni l’humeur n’étaient manifestement à bousculer les repères du public. Le groupe avait besoin de retrouver ses marques pour réussir ce qui a été présenté comme une « réunion » plutôt que comme une reformation. Pure rhétorique ? L’avenir le dira, puisque le « présent » a été plutôt… absent de ce concert.

« Alive and Believing »

VDGG live in Paris, Bataclan, 12 juillet 2005

Le concert du Royal Festival Hall devait être sans lendemain, mais le succès aidant il a entraîné la programmation de dix autres dates européennes en juin et en juillet 2005. D’un concert à l’autre, le groupe a donné l’impression de prendre de plus en plus ses aises, et la set-list a été sujette à de menues transformations, incluant d’autres anciens morceaux, tandis que le dernier album est toujours représenté par les deux mêmes Nutter Alert et Every Bloody Emperor, qui s’imposent comme de nouveaux classiques à part entière.

Septième date sur l’agenda du Générateur, la salle Le Bataclan, de taille moyenne, s’est révélée plus adéquate que le R.F.H. londonien à créer une sensation de proximité avec le son du groupe et donc une imprégnation plus immédiate de son énergie intrinsèque. À Londres, VDGG s’était efforcé à s’appliquer ; à Paris, il a ouvert les vannes et s’est lâché avec une décontraction et une force revigorantes, faisant preuve d’une hargne poétique au pouvoir émotionnel contagieux.

Ces musiciens dont la moyenne d’âge atteint soixante ans ont ce soir joué rock comme s’ils avaient encore quasiment vingt ans et certainement mieux que certains jeunots de vingt ans, comme quoi l’énergie n’est pas l’apanage de la jeunesse, c’est juste une question d’attitude ! Le choix du répertoire a lui aussi favorisé cette attitude puisque, après des Darkness, Undercover Man/Scorched Earth et Every Bloody Emperor somptueux et rigoureux, la bride a été savamment lâchée sur un Lemmings qui, par rapport à la version du RFH, était plus étoffé et sauvage. Le milieu du concert étant la partie la plus souple en termes de choix des morceaux d’un concert à l’autre, nous eûmes droit au Bataclan, en lieu et place des pièces montées labyrinthiques telles que Childlike Faith… et (In The) Black Room, à des morceaux de durée moyenne et rythmiquement plus enlevés, soit un When She Comes particulièrement abrasif et jouissif, suivi d’un Masks fumeux, puis de ce qui a constitué sans conteste la plus grosse surprise de cette soirée, à savoir un Pilgrims magistral et radieux, et d’autant plus inattendu que c’était la première version live jouée sur cette tournée (cette chanson n’avait pas été interprétée sur scène depuis 1975).

La place était suffisamment imbibée d’ondes positives pour entamer la dernière partie du set, avec un Sleepwalkers et un Nutter Alert rageurs et rugueux comme jamais. Les âpretés de l’orgue de Hugh BANTON, la puissance inventive de la batterie de Guy EVANS et les fulgurances du saxophone et de la flûte de « JAXON » ne sont pas étrangères à l’émergence de ce flux d’adrénaline qui a secoué le Bataclan de long en large. L’improvisation a gagné de-ci de-là du terrain, le chaos fut de la partie, attestant que nous avons eu affaire à un concert grandement et typiquement vandergraafien ! Selon les dires de Peter HAMMILL, ce soir était « un grand soir », et l’a confirmé avec une éblouissante version de Man-Erg en clôture. Ajoutez à cela un son vibrant, épais mais fort correct, même si la voix de Peter paraissait par endroits être submergée par les assauts instrumentaux de ses camarades…

Qu’importe, l’enthousiasme était palpable sur scène comme dans la salle. Peter HAMMILL s’est à nouveau donné sans compter au chant, quitte à écorcher un brin le délicat Refugees en rappel. Cela ne l’a pas dissuadé de terminer par un Killer qui s’annonçait périlleux mais qui a finalement explosé de toutes parts, le public intervenant aux chœurs, ce qui a facilité quelque peu la tâche à Peter, visiblement étonné d’un tel renfort vocal, mais assurément ravi.

On n’oubliera pas cette image des musiciens qui, sous les derniers applaudissements et les cris nourris du public parisien, se sont tranquillement assis sur le rebord de la scène ou était juchée la batterie, épuisés mais heureux… Selon certains aficionados qui ont suivi le Générateur sur plusieurs dates, ce concert miraculeux à Paris fut l’un des tout meilleurs de la tournée (avec Rome), impression semble-t-il partagée par le groupe. On a bien fait d’en être !

Certes, le répertoire qui a dominé sur ces concerts était celui de l’ancien VDGG, non celui du VDGG « actuel » dont l’existence reste somme toute à définir. Si l’on veut bien se rendre à l’idée que VAN DER GRAAF GENERATOR est revenu soigner sa légende plutôt que d’afficher de nouvelles ambitions artistiques, force est d’admettre qu’il a en définitive plutôt réussi son coup. Et ce n’est pas le concert parisien qui a démenti cet état de choses, bien au contraire ! Le mystère reste toutefois entier quant à savoir pourquoi un groupe capable de jouer des pièces entièrement improvisées en studio soit aussi frileux à l’idée de le faire sur scène.

Quant à étoffer un nouveau matériel de compositions, la réponse n’appartient plus à Present, mais à l’avenir…

Réalisé par Stéphane Fougère

Entretien avec VAN DER GRAAF GENERATOR

Alors, dites-nous, quand et comment cette histoire de réunion a-t-elle pris forme ?

Guy EVANS : Nous avons résisté aussi longtemps que possible à cette idée ! Beaucoup de gens souhaitaient que l’on se reforme. Nous avions cependant d’autres choses plus intéressantes à faire et de toute façon nous ne voulions pas faire ça n’importe comment. En fait, nous nous sommes retrouvés à jouer ensemble de temps à autre à plusieurs occasions, notamment pour les anniversaires de la femme de David…

David JACKSON : Toujours pour ma femme ! Ces gars-là feraient n’importe quoi pour ma femme ! (rires)

GE : Il y a eu aussi le concert à l’Union Chapel. À l’origine, c’était présenté comme un concert de Peter et de moi-même avec plusieurs invités, et durant lequel on s’est retrouvés tous les quatre à jouer un morceau de VAN DER GRAAF GENERATOR. Ça a été plutôt agréable. C’était il y a déjà neuf ans… On s’est hélas aussi retrouvés à l’occasion des funérailles de nos anciens « roadies ». Cela nous a rappelés que nous n’étions pas éternels…

Enfin, il y a eu aussi des propositions assez convaincantes de la part de personnes qui voulaient vraiment nous voir nous reformer, notamment de la South Bank de Londres. Nous pouvions difficilement refuser, et nous avons en fin de compte essayé de voir ce que ça donnerait. Nous nous sommes donc retrouvés à jouer dans le Devon pendant une semaine, et le résultat nous a suffisamment enthousiasmés pour qu’on nous propose de jouer au Royal Festival Hall. D’autres opportunités de jouer sont depuis venues s’ajouter, et nous avons maintenant un planning jusqu’au mois d’août. Je pense qu’on va s’autoriser à respirer un peu avant de voir quelle suite donner à tout cela.

Hugh BANTON : Nous avons déjà deux nouvelles dates prévues en novembre. Donc, peut-être qu’on ne pourra jamais s’arrêter ! On ne sait pas encore…

Votre réunion se poursuit donc au jour le jour, en fonction de ce qui se présente ?

HB : Oui, nous n’en sommes qu’au début après tout. Mais si un jour quelqu’un d’entre nous dit « on arrête », on arrêtera. Mais pas maintenant…

GE : Chacun de nous a d’autres engagements, une carrière musicale qui nous intéresse grandement… Il y a eu le sentiment dans le groupe qu’il était agréable de se reformer ponctuellement de temps en temps, dans un autre contexte, et on ne voulait pas tout bousiller. C’était l’occasion de voir ce que ça ferait, et tout va bien pour l’instant.

HB : On ne tenait pas à se reformer pour jouer comme des brutes et finalement se brouiller juste après !

DJ : Il y a aussi une autre chose, c’est qu’on ne voulait pas à reformer le groupe pour faire de l’argent. On n’y tenait vraiment pas.

GE : De ce côté-là, on a réussi ! (rires)

De toute façon, chaque fois que vous avez eu l’occasion de rejouer tous ensemble, vous n’aviez pas dans l’idée de faire du neuf ?

GE : Non, en effet, on s’est contentés de jouer soit un ou deux de nos anciens morceaux, soit de la musique improvisée, ou encore des versions certes bizarroïdes de tout ce qui nous passait par la tête, genre Strawberry Fields, des pièces des SHADOWS… (rires)

DJ : Du Jane BIRKIN aussi ; Je t’aime, moi non plus, c’est très populaire ! Mais cela dit, ce que vous disiez concernant l’idée de faire du neuf est important, car cette idée a été déterminante dans notre décision de nous reformer. Il est plus important quand on se reforme de jouer du nouveau, que de ressasser le passé.

GE : C’est ainsi qu’on a fait de la musique improvisée pendant trois jours avant de songer à écrire une chanson et à lui ajouter des paroles. On ne s’est pas mis à jouer pour, au bout de deux minutes, s’exclamer « ouais, ça, c’est bon, c’est dans la boîte ! » (rires)

Avant, « Present », et après…

Vous n’aviez donc pas d’idées préconçues, ou de structures définies, avant de commencer à improviser ?

GE : Un peu, mais presque consciemment on en avait bien plus. Peter avait amené deux chansons complètes prévues pour être traitées « à la VAN DER GRAAF », ainsi qu’un squelette de chanson. J’avais apporté un riff, David avait quelques thèmes, et Hugh avait une sacrée « boîte à outils » ! (rires)

HB : Je savais que j’avais apporté quelque chose…

GE : Donc il y avait quand même un socle relativement solide, mais nous souhaitions surtout tirer parti de ce qui nous allions faire dans l’instant, et cela a donné le CD d’improvisations.

DJ : Il y a eu une nouvelle approche dans notre façon d’écrire la musique. Je peux me tromper, mais tout a été fait de façon collective, comme dans une réunion, plutôt que dans un contexte où des gens sont tenus à l’écart et se contentent de jouer ce qu’on leur demande. Je me souviens de la première fois où j’avais écrit des choses que je devais soumettre à Peter, lui demandant « est-ce que tu aimes cette idée-ci, et celle-là ? », et que les idées se transformaient en passant dans le groupe. C’était un peu effrayant de soumettre ses idées pour VAN DER GRAAF GENERATOR. Elles peuvent être détruites sous vos yeux ou se transformer en quelque chose d’inattendu. C’est comme la chanson qui termine le CD 1 de Present, On the Beach…

GE : Oui, on ne savait même pas que c’était une chanson ! On est partis avec Peter sur l’idée non pas d’une impro, mais d’un thème que l’on a exploré un peu et qui est devenu une chanson, le texte ayant été ajouté par Peter plusieurs mois après.

HB : On l’avait abandonnée, celle-là…

Tous les textes des autres chansons ont été écrits bien plus tard ?

GE : Non, je crois que celui d’Abandon Ship ! a été écrit juste après que la musique a été faite.

HB : C’est assez inhabituel en fait. Pour tous nos albums précédents, il n’aurait pas procédé de cette façon, je pense. Le processus a été différent.

Quand vous êtes partis répéter pendant une semaine, vous attendiez-vous à enregistrer ce double CD ?

HB : Non, on ne s’attendait pas à enregistrer le moindre CD, en fait ! On a juste enregistré parce qu’on le pouvait.

Improvisation Vaults

C’est donc la première fois que vous enregistrez un CD avec des improvisations, si l’on excepte éventuellement Time Vaults.

GE : Oui. Il y a eu des improvisations jouées au concert de l’Union Chapel, pour des » side-projects » comme Spur of the Moment. Mais dans le cadre de VAN DER GRAAF, c’est la première fois.

HB : Time Vaults a été constitué à partir des enregistrements que faisait Peter lors des répétitions, parce qu’il amenait souvent un enregistreur à cassettes partout où on allait répéter. Évidemment, ça sonne horrible par rapport à ce qu’on est capable d’avoir de nos jours. On peut enregistrer dans n’importe quel endroit et faire croire qu’il s’agit d’un vrai studio.

C’est vrai que le son de Present n’est pas si mal si l’on tient compte du fait qu’il n’a pas été enregistré dans un vrai studio.

HB : Non, en effet, il a été fait dans une pièce nettement plus petite ! Tellement petite que pendant l’enregistrement on avait de la voix dans la piste du saxophone, quatre pistes de batterie, ce genre de choses… le chaos, quoi !

Les improvisations du second CD de Present ont-elles été jouées en vue de devenir des compositions ?

GE : Non, elles ont vraiment été conçues comme des études de possibilités, pour nous sentir chacun jouer, sachant que tout le monde dans le groupe a une vaste expérience musicale.

HB : Nous avons toujours fait cela à l’occasion des « soundchecks », où il peut se passer de drôles de choses, mais nous n’avions jamais enregistré et accouché cela sur disque. Ça a toujours fait partie de notre manière de travailler.

DJ : Il avait été convenu que du moment où on décidait d’enregistrer quelque chose, il fallait le faire bien ; et ces trois gars, là, ont tout le temps chercher plein de combines pour enregistrer. Ils enregistraient tout !

GE : On a aussi eu recours à un amalgame assez étrange de moyens pour enregistrer, et on a été influencés par les choix que l’on faisait sur ce qui avait été joué et en fonction des contraintes techniques, des capacités des mémoires d’ordinateur. Je dois avoir environ 4 Gigabytes de mémoire…

HB : Et moi, j’ai enregistré sur DAT ; je dois avoir trente heures d’enregistrements. Je pourrais sortir une vingtaine d’albums ! (rires)

De quoi faire un « More Time Vaults » !

HB, GE & DJ : Exactement ! (rires)

Dans les années 1970, sur scène, il vous arrivait d’improviser à l’intérieur de certains morceaux, ou éventuellement entre deux morceaux, mais il ne vous est jamais arrivé de faire de longues improvisations indépendantes comme celles qu’on trouve sur Present…

GE : Non, pas vraiment. J’ai été pour ma part assez impliqué dans la musique improvisée ; mais au sein de VAN DER GRAAF, l’improvisation a toujours été très contenue dans les structures des morceaux. Ce qu’on a fait pour Present est somme toute inhabituel ; on est vraiment dans la musique improvisée. Ça a quelque chose à voir avec une attitude.

HB : Oui. Dans les premiers temps de VDGG, tous les soirs, je partais de zéro ! (rires) Vraiment ! Je savais où je devais aller, mais je n’ai jamais dû jouer deux fois la même chose dans Meurgly’s III…

DJ : Ah bon ? (rires) En fait, c’est comme pour tout le monde, tout est dans la façon de démarrer…

HB : Évidemment, ça doit prendre le chemin qui est prévu, mais bon, je me débrouille, je brode, je n’ai pas de fixations…

GE : Peter a toujours plein de notes, et il les connaît pour la plupart…

Envisagez-vous lors de vos prochains concerts d’intégrer à votre répertoire des pièces improvisées comme celles qui figurent sur Present ?

GE : Notre « face » improvisée est plus visible maintenant qu’elle ne l’a été avant. Jusqu’où elle le sera, je ne saurais le dire…

HB : Nous n’envisageons pas de jouer de telles improvisations ; mais parfois, les soli peuvent prendre des directions inattendues. Il y a plein de moments où nous pouvons partir comme ça à l’aventure : dans Lemmings, par exemple, mais aussi dans l’intro et le final d’Every Bloody Emperor… Il y a comme ça plein de passages que l’on sait qu’on peut traiter comme bon nous semble. Parfois, on le fait, parfois on ne le fait pas…

DJ : Ça dépend du moment, et puis du public également. La façon de jouer en concert est affaire de feeling, au moins en ce qui me concerne. Les improvisations doivent être… rigoureusement étudiées ! (rires) Il ne faut pas les stimuler plus que de raison, il faut les contenir. (rires)

Concert Alert !

Quels ont été vos sentiments à l’approche du concert au Royal Festival Hall ?

HB : Ça fait quelque chose, vraiment ! Ça faisait si longtemps… On a énormément travaillé. Pour ma part, je ne suis pratiquement pas sorti entre novembre 2004 et mai 2005. J’étais invisible. Je jouais une heure ou deux tous les soirs, rien que pour réapprendre le répertoire. Parce que cette musique n’est quand même pas facile à se rappeler… On a répété ensemble toute une semaine, puis le week-end précédant le concert au Royal Festival Hall. Donc on a beaucoup répété, mais cela n’a pas empêché qu’on se demande malgré tout si on pouvait faire correctement ce concert. (rires) À la fin, je me souviens qu’on était stupéfaits : « On l’a fait ! On l’a fait ! »

Vous attendiez-vous à un tel succès pour ce concert ?

GE : On le savait, d’autant qu’à l’époque où il a été annoncé on ne savait pas encore si on allait en faire d’autres. C’est ce qui en a fait un événement si important. C’était le premier depuis si longtemps, et on savait que des gens allaient venir de tous les coins du monde.

DJ : Je dois dire que nous étions assez nerveux à l’idée de faire ce concert, mais l’accueil que l’on a eu a été absolument formidable. C’était tellement sincère. On est à peine rentrés sur scène que les gens s’étaient tous mis debout. On n’a pas ça en général à un concert…

Et ce qui ne devait être qu’un concert ponctuel s’est transformé en tournée !

GE : Il faut signaler que chacun de nous a une activité en dehors, et que tout cela doit coïncider avec nos emplois du temps. C’est du reste difficile. J’enseigne, ce qui signifie que je ne peux être constamment disponible pour des dates de concert. Il y a aussi comme je l’ai dit le principe sur lequel on s’est tous bien mis d’accord, à savoir qu’on ne fait pas ça pour l’argent. Donc, on est vraiment sur la corde raide.

Est-ce plus difficile pour vous d’avoir des dates aujourd’hui que par le passé ?

HB : C’est surtout devenu beaucoup plus cher ! Ce n’est pas qu’une question d’inflation… Il faut planifier des mois à l’avance. On ne fait pas autant de dates qu’on l’aurait pensé. Il nous faut décider par exemple de se garder tel mois pour se consacrer à VAN DER GRAAF GENERATOR et mettre de côté nos métiers respectifs. Rien que pour planifier quelque chose l’année prochaine, il faudrait s’y prendre dès maintenant.

Même si vous ne faites pas cela pour l’argent, vous ne tenez pas non plus à en perdre…

HB : Non, ce serait terrible ! On est déjà obligés de suspendre nos activités professionnelles, on a des maisons et des familles à entretenir, comme tout le monde…

Échos, faisceaux et variations

Et vous avez chacun une carrière musicale en dehors de VAN DER GRAAF GENERATOR…

HB : Non, pas moi. En revanche, je construit des orgues d’église. Pour faire les concerts avec VDGG, j’ai dû repousser plusieurs commandes jusqu’au mois de septembre. C’est un peu dur…

Guy, je sais que vous vous commettez également avec ECHO CITY. Qu’en est-il de ce groupe aujourd’hui ?

GE : ECHO CITY est devenu un groupe expérimenté en matière de musique improvisée. Ça fait maintenant vingt ans qu’on improvise tous ensemble. On joue généralement dans des petits clubs. Bientôt, on va jouer dans un village mongol entièrement reconstitué en Allemagne… Nous avons réalisé quelques disques, mais la plupart sont épuisés.

David ?

DJ : Depuis quatorze ans, je me suis investi dans un projet musical impliquant des enfants handicapés, ainsi que des adultes, et j’utilise pour cela les nouvelles technologies. Ce projet m’occupe bien, puisque ça me permet de jouer à différents endroits en Angleterre, en Écosse et en Irlande, ainsi qu’en Italie et en Norvège. J’ai réalisé quelque cinq disques ces dernières années, enregistrés en concert avec ces personnes handicapées et contenant des musiques que j’ai spécialement composées pour elles.

Ces musiques sont basées sur la fameuse technologie du « soundbeam » ?

DJ : C’est du soundbeam, oui. J’ai même pu glisser quelques soundbeams dans les improvisations de VAN DER GRAAF GENERATOR, et j’en suis assez fier. Ça consiste à jouer des samples rien qu’avec les mouvements des mains et des bras.

J’ai eu l’occasion de voir cela sur votre DVD enregistré à Guastalla. Comment a-t-il été réalisé ?

DJ : On m’a demandé d’aller à Guastalla animer des « workshops » afin de présenter cette nouvelle technologie. Étant donné ma réputation dans ce domaine, j’y ai aussi donné un concert qui a affiché complet. Des gens sont venus filmer avec des caméras. L’organisateur de ce concert a décidé de faire un film en combinant ces enregistrements.

Le reste est de l’histoire, mais il s’est produit un événement particulier qui a tout changé. C’était à la fin du tout dernier workshop, une jeune danseuse d’environ seize ans, qui ne tenait pas du tout à participer aux workshops, se contentant de regarder, a demandé si elle pouvait faire quelque chose. Et elle a joué et dansé merveilleusement ! Il s’est trouvé que c’était la fille du maire de Guastalla. Ce dernier a été tellement enthousiaste qu’il a proposé de l’argent afin que je puisse construire un studio soundbeam l’année suivante pour eux. Tout cela a été combiné conjointement avec une organisation écologiste, qui, en Angleterre, enseigne aux enfants la conservation et la protection des rivières. Enfin bon, la sortie de ce DVD n’a été ni plus ni moins due qu’à un heureux concours de circonstances.

Ce fut même une bénédiction que de pouvoir enfin voir comment fonctionne ce soundbeam. Le livret de votre premier CD à base de soundbeam, Fractal Bridge, incluait de très intéressantes notes d’information, mais très techniques ; et sans l’image, c’était un peu frustrant…

DJ : J’avais espéré filmer Fractal Bridge, ce qui aurait été intéressant d’autant que je l’ai réalisé avec Peter. Mais j’ai eu depuis d’autres « beams », c’est devenu très architectural. C’était comme un ballet, je me mouvais dans l’espace en jouant du saxophone…

GE : Je me souviens que tu as fait une excellente pièce de soundbeam au concert de l’Union Chapel… C’est finalement très physique…

DJ : C’est complètement physique, et j’adore faire ça !

Hugh, sans avoir de carrière musicale, vous avez tout de même réalisé un CD, qui est en fait votre propre interprétation à l’orgue digital des Goldberg Variations.

HB : C’est cela. Que puis-je ajouter ?

DJ : Allez, raconte comment tu as enregistré sur l’eau…

HB : Oui, j’ai un bateau en Angleterre, amarré sur un canal, et j’ai enregistré une partie des Variations à flot ! (rires) Je ne pouvais pas déplacer mon bateau parce qu’on était en plein mois de janvier et que le canal avait gelé, mais malgré le froid j’ai persisté à enregistrer, me disant « allez, aujourd’hui, je fais les Variations 13 à 26 ! ».

J’ai aussi enregistré ma version à l’orgue des Planètes de Gustav HOLTZ. Je pense que ça devrait sortir dans le courant de cette année.

DJ : C’est une œuvre fantastique…

Abandon (Air)Ship ?

Vous avez également collaboré, ainsi que David, à l’album Curly’s Airships de Judge SMITH (co-fondateur de VDGG en 1967) ?

HB : Oui, oui. Du reste, la dernière fois que je suis venu en France, c’était à Beauvais avec Judge, à l’endroit où s’est écrasé le fameux dirigeable dont il est question dans le disque. Tous deux étions venus enregistrer l’orgue de la cathédrale pour Curly’s Airships et pour visiter le site du crash, que nous voulions voir, ainsi que le musée. Il est vraiment dommage que Judge n’ait pas obtenu davantage de considération pour ce disque, qui pourtant en mérite. C’est une œuvre phénoménale, et une histoire vraie en plus. J’ai donc assuré les orgues sur cet album, j’ai dû passer trois/quatre ans dessus…

DJ : C’est un vrai chef-d’œuvre !

Si d’aventure Judge SMITH avait la possibilité de monter une version scénique de Curly’s Airships, seriez-vous impliqué dedans ?

HB : À l’époque où on a fait le disque, j’ai dit à Judge que je serais d’accord. Mais maintenant ce serait plus difficile. Là encore, il me faudrait réviser tout un tas de morceaux… Je ne pense pas que ça puisse se faire. J’espère que ça se fera quand même à l’avenir. Si quelqu’un pouvait monter cela.. Il y a bien eu quelqu’un qui a décidé, non sans opportunisme évident, de ressortir en SACD la version musicale de La Guerre des mondes de Jeff WAYNE. Il suffirait que quelqu’un décide de prendre sur lui de distribuer Curly’s Airships ! C’est quand même mieux que La Guerre des mondes ! (rires) Donc, j’espère vraiment que quelque chose se montera… Il était question de créer une animation sur des pièces de Curly’s Airships. Ce serait pas mal…

Undercover Tracks

Les anciens albums de VAN DER GRAAF GENERATOR ont maintenant fait l’objet de rééditions CD remastérisées et augmentées. Avez-vous réutilisé les remasters qui ont servi pour The Box ?

GE : Non, ils sont différents.

HB : Sauf pour A Plague of Lighthouse Keepers. Je crois que c’est le même.

Est-ce vous qui avez choisi les morceaux bonus qui figurent sur ces nouvelles rééditions CD ?

HB : Certains étaient évidents : ceux de Pawn Hearts, par exemple, dont nous pensions avoir perdu les bandes ou dont nous ignorions l’existence. Il y a aussi un long morceau live qui devaient figurer sur Pawn Hearts et qui a finalement atterri en bonus de H to He… parce qu’il datait de cette époque.

GE : Tout le travail de recherche a été effectué par un archiviste réquisitionné par EMI. Après quoi nous avons été consultés.

HB : Le son est fantastique. C’est vraiment celui qu’on avait quand on a enregistré sur bande la première fois.

Avez-vous assuré vous-mêmes le travail de remastérisation ?

GE : Peter l’a fait. Il nous a également consultés pour savoir ce qu’on en pensait.

HB : Guy a arrangé son Angle of Incidents, et j’ai réarrangé mes Diminutions.

GE : Ce sont des pièces composées par chacun de nous qui figurent en bonus de Pawn Hearts.

Ce sont ces fameux morceaux qui devaient figurer sur la mythique troisième face de Pawn Hearts, lui-même prévu pour être un double album ?

GE : C’est cela. Mais ils n’y sont pas tous. Il y a toute une pièce composée par David qui n’y figure pas.

DJ : J’ai perdu tout le (gros) travail que j’avais fait. C’est d’autant plus dommage que je ne me souviens pas de ce à quoi ça ressemblait !

GE : Moi, je m’en souviens ! Je voulais même te convaincre d’engager l’excellent chœur féminin de Pyworthy pour le faire. (rires)

DJ : Tout ce dont je me souviens à propos de cette pièce, c’est que Peter avait écrit de belles paroles en latin… ou en grec, je ne me souviens plus. « Agamemnon’s Agnostic », je crois que ça s’appelait. (rires)

GE : Archimedes Agnostic !

DJ : C’est ça ! Allez savoir si c’est du latin ou du grec… Peut-être du français ! (rires)

GE : Une chose étonnante à propos de ces inédits est qu’on les croyait complètement perdus, peut-être même vendus aux enchères en tant qu’effets personnels du Trident Studios, du temps où ils avaient des piles entières de bandes. J’ai cherché dans les boîtes : il y avait des bandes de David BOWIE, mais rien de VAN DER GRAAF. Et je ne me souviens même pas avoir réalisé le mix de base de ces morceaux, puisqu’ils n’étaient pas terminés.

Je suppose que l’album Time Vaults ne sera pas remastérisé ?

GE : C’est une idée… Mais il y a des choses sur Time Vaults qu’on n’a pas pu sortir…

HB : On doit en parler avec le maître des remastérisations.

DJ : Certaines de ces choses nous ont été volées… La musique n’est pas toujours là où elle devrait être, parfois. Il y a des gens qui la prennent et qui la publie sans notre avis… Ça s’appelle du vol. On ne mentionnera pas de noms…

Projections et Résistances

Votre tournée d’été s’achève à Amsterdam. Après cela, y a-t-il un avenir pour VAN DER GRAAF GENERATOR ?

GE : Nous avons une date au festival de jazz de Leverkusen, en Allemagne, en novembre prochain, peut-être même une en Hollande, au Crossing Border Festival. Nous n’avons pas encore décidé pour la suite. Nous aurons à en parler entre nous, je suppose.

HB : Pour l’automne, il y aura quelque chose, j’en suis quasi sûr. Pour l’année prochaine, par contre, nous n’avons encore rien décidé.

DJ : Quand on a discuté de cette réunion il y a quelque temps, on avait espéré aussi s’impliquer dans d’autres projets intéressants. Guy a eu une idée fantastique qui consisterait à incorporer nos travaux respectifs dans un projet d’ensemble. C’est juste une question d’organisation. S’il y a quelqu’un ici qui a une idée fantastique de commande à passer au groupe, qu’il le fasse. Ce serait formidable que nous puissions tous répondre à une commande avec nos groupes respectifs. Il y a Guy avec ECHO CITY, il y a moi avec une armée de brillants musiciens handicapés, il y a Hugh et une armée d’organistes dans le monde entier qui pourraient se synchroniser pour jouer quelque chose au même moment dans un millier d’églises. (rires) Quant à Peter, je ne sais pas ce qu’il fait… (rires)

GE : Du rugby ! (rires)

DJ : Oui, c’est vrai qu’il s’intéresse au rugby ! (rires) Bref, il y aurait plein de choses intéressantes à faire. C’est tellement stimulant de recevoir des commandes. Le groupe pourrait être impliqué dans un gros projet, mais qui sait quand ça se fera…

GE : Je crois qu’on cherche aussi à éviter de faire de VDGG une grosse machine avec tout l’attirail commercial, avec DVD et T-Shirts… Enfin, oui, bon… (rires)

Si on vous proposait de travailler pour un film, une chorégraphie, un projet multimédia ou que sais-je encore, ça vous intéresserait ?

HB, GE & DJ : Ce serait possible, oui.

GE : Peter est très bon pour sauter sur ce genre d’occasions. Je l’ai vu jouer avec le KRONOS QUARTET, et c’était ahurissant.

HB : Un de mes regrets dans ma vue artistique est de ne pas avoir pu faire de musique de film…

GE : On l’a fait, une fois !

HB : C’est vrai… mais je pensais à une plus grosse production, genre Gladiator. (rires)

Sinon, pour couronner la tournée actuelle de VDGG, comptez-vous sortir un album live ? Ou un DVD ?

GE : On tâche de résister à cette idée de DVD, surtout d’un « DVD du concert », ce genre de choses. Je ne sais pas… Au fond, ce n’est pas très « vandergraafien ». On a discuté des possibilités de faire autre chose de plus intéressant en DVD. Il y a aussi une question de coût : quand on engage de l’argent pour faire un concert et le filmer, on court le risque de se retrouver avec un enregistrement qui n’est peut-être pas celui qu’on aurait souhaité faire… Cela dit, il y a de plus fortes chances de voir paraître un CD du concert du Royal Festival Hall.

HB : Le concert a été enregistré, et plutôt bien, donc on va essayer de sortir cela à la fin de l’année, certainement pour Noël.

Propos recueillis par Stéphane « Pilgrim » Fougère,
avec la participation de Cédrick « Undercover Man » Pesqué

Sites :

* VDGG : www.vandergraafgenerator.co.uk

* Peter HAMMILL : www.sofasound.com

* Hugh BANTON : Home (organworkshop.co.uk)

* David JACKSON : JaxonTonewall.com – David Jackson’s WebHome (archive.org)

* ECHO CITY, groupe de Guy EVANS : www.echocity.co.uk

Photos Concerts : Sylvie Hamon (Paris),
Brett Allen (Londres) –
Photos interview : Cédrick Pesqué –
Photos extérieur des salles :
Stéphane Fougère (R.F.H.),
Jean-Marie Saunier (Bataclan)

(Article original publié dans TRAVERSES n° 18 – Juillet 2005)

Lire notre chronique de l’album Real Time, qui contient l’enregistrement du concert de « réunion » de VDGG au Royal Festival Hall le 6 mai 2005. 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.