Bretagne : folk, néo-trad et métissage – Entretien avec Arnaud CHOUTET

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Bretagne

folk, néo-trad et métissage

Entretien avec Arnaud CHOUTET

 

arnaud-choutet-bretagne-folk-neotrad-et-metissagesEn parallèle à la parution de son ouvrage, Bretagne, folk, néo-trad et métissage, Arnaud CHOUTET proposait des conférences afin de présenter son travail et de s’entretenir avec le public venu l’écouter.

Son passage à la Médiathèque de Lorient a été l’occasion de le rencontrer et de lui poser quelques questions.

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On connaissait les livres de Jacques VASSAL et d’André-Georges HAMON qui parlaient déjà de la musique bretonne. Qu’est-ce qui t’a motivé pour apporter une nouvelle pierre à cet édifice ?

Arnaud CHOUTET : Ce sont des livres qui ont en effet beaucoup compté dans ma jeunesse, mais ils ont quarante ans d’âge ! Je sentais qu’il fallait que je rende hommage à tous ces artistes qui sont venus après et peut-être donner à mon tour une autre perspective aux disques essentiels de la décennie des années 70.

Tu t’es intéressé tôt à la musique bretonne ?

AC : Je suis tombé sous le choc STIVELL, qui m’a complètement enthousiasmé. Il y avait un mélange de revendications et d’idées d’autonomie. Il y avait cette beauté d’une musique celtique enchanteresse. Il y avait des sonorités rock. STIVELL a complètement incarné un idéal musical quand j’avais vingt ans, et qui ne m’a jamais quitté, même si par la suite je suis resté très attaché à ses premières années plus qu’à ses créations récentes. Derrière lui, j’ai découvert les musiques à danser et petit à petit un monde entier, un univers de créations originales qui touchaient à toutes les esthétiques, du rock progressif à l’électro. Dans toutes les esthétiques que je pouvais aimer, il y avait des bretons qui avaient quelque chose à dire.

Le mouvement folk s’est beaucoup construit sur le thème de l’identitaire. A-t-il été selon toi facile de sortir de cet aspect pour ne devenir que de la musique ?

AC : Dès le départ, il y avait des musiciens qui n’avaient rien d’autre à revendiquer que leur musique. Si on prend des harpistes comme le groupe TRISKELL ou Dan AR BRAZ avec sa guitare, la musique était essentiellement onirique. D’autres ont joué simplement de la musique à danser. Cela a toujours existé. Mais il est vrai que la musique dans les années 70 avait toujours une posture aux relents indépendantistes, ou du moins autonomistes. Cela faisait qu’on mélangeait des propos vindicatifs avec des sonorités typiques bretonnes. Aujourd’hui, tout s’est recentré sur la musique et c’est peut-être ce qui manque comme force ou comme fantasme. Les bretons revendiquent moins. Ils savent qu’ils ont leur Bretagne avec des atouts forts en termes touristiques, mais en termes d’indépendance politique, la musique bretonne ne le relaye pas beaucoup.

Ton précédent livre traitait de la country. Celui-ci parle du folk en Bretagne. Peut-on dire qu’il y a des liens, des ramifications entre les deux genres ?

AC : Dans leur musique, les américains se sont toujours inspirés de leurs racines que ce soit le blues, le gospel ou la country. La démarche est la même. Beaucoup de groupes bretons sont dans une esthétique assez similaire à des groupes de country rock dans la mesure où ils reprennent des éléments de la tradition, des instruments qui peuvent être le violon ou le banjo, une forme de récit, puis des sonorités plus modernes pour l’actualiser. On est dans une même démarche et cela on peut le reproduire à l’infini dans toutes les régions du monde où il existe une musique qui est identitaire, qui a des racines anciennes mais qui souhaite la moderniser dans sa présentation.

Tu as choisi de faire un panorama de la musique bretonne à travers une chronique de plus d’une centaine de disques. La sélection a-t-elle été facile ?

AC : Non ! Et d’ailleurs, j’écrirais ce livre aujourd’hui, mon choix serait encore nuancé sur quelques chroniques. J’ai souhaité que ce ne soit pas simplement une vision très subjective et personnelle mais m’appuyer sur ce qui était reconnu dans la profession comme les disques incontournables parce qu’ils représentaient une rupture, une créativité majeure et un aboutissement artistique reconnu. J’ai eu très peu d’échos mettant en doute la qualité de tel ou tel enregistrement parce que ce choix était fait justement en reprenant toutes les critiques de l’époque et en discutant avec beaucoup de passionnés et de musiciens pour distinguer quand même les disques les plus marquants. Il y a des artistes nouveaux qui émergent et on n’a jamais fini de découvrir ce patrimoine. Il y a eu plusieurs milliers de disques enregistrés en quarante ans et on peut s’apercevoir que des groupes auxquels j’aurais pu consacrer une chronique n’ont pas été présentés. C’est le cas de GWENFOL, qui est un groupe qui a beaucoup marqué le renouveau du fest-noz dans les années 90 et qui a influencé beaucoup de groupes par la suite ou IMG qui est un groupe de rap-reggae gallo, qui n’existe plus aujourd’hui, mais qui a apporté une pierre originale dans ce métissage actuel.

Après, certains artistes sont un peu à la marge. Je prends par exemple François BUDET, qui a exprimé de très belles choses, notamment Loguivy de la mer qui est devenu un tube. Néanmoins, je ne l’ai pas retenu parce que beaucoup de ses chansons sont de facture poétique mais elles n’expriment pas d’identité particulière au terroir et pourraient aussi bien être d’une autre région.

Est-ce juste de l’écarter pour cette raison là ou pas ? C’était un choix difficile, mais que je revendique pour privilégier ceux qui ont choisi la langue, le gallo ou le breton, des instruments traditionnels ou une rythmique, un phrasé, des impulsions propres à la Bretagne.

Il y a aussi beaucoup de chanteurs qui ont choisi de dire la Bretagne sans pour autant emprunter les formes traditionnelles. Je prends Gilles SERVAT qui, dès ses débuts, chante la Bretagne comme un chanteur folk anglais ou américain, mais avec une revendication extrêmement forte qui en fait encore aujourd’hui une des figures les plus marquantes.

Certains groupes ou musiciens que tu chroniques n’ont pas eu à l’époque le succès qu’ils méritaient.

AC : Il est certain que les artistes dans les années 70 ont eu un succès porté par la vague de STIVELL qu’ils ne méritaient pas forcément. Je prends malheureusement pour exemple les premiers disques de TRI YANN ou de TRISKELL qui étaient assez amateurs par rapport à la technologie d’aujourd’hui et par rapport à la compréhension du patrimoine breton. A l’inverse, depuis les années 80 durant laquelle la vague bretonne s’est un peu repliée, beaucoup d’artistes n’ont pas pu faire la carrière qu’ils méritaient. Là, il y a quantité d’artistes que j’ai pu remettre en valeur. C’est aussi parce que les groupes se font et se défont rapidement. Je prends par exemple Kristen NIKOLAS, qui est un artiste que j’aime beaucoup, qui a joué dans ANJEL IK ou dans KERN, sans compter ses disques solos. On a du mal à le repérer, pour autant sa voix, son timbre si particulier et son phrasé le rendent absolument unique et indispensable. J’aurais aimé qu’il puisse être davantage reconnu plutôt que de sombrer dans l’anonymat d’aujourd’hui.

En Bretagne, il y a divers styles musicaux. Est-ce qu’on peut rattacher des artistes comme MIOSSEC, Etienne DAHO ou MARQUIS DE SADE aux mouvements bretons ?

AC : Je dirais non dans la mesure où eux-mêmes ne le revendiquent pas. Ni MIOSSEC, ni MARQUIS DE SADE, ni Etienne DAHO n’expriment un attachement explicite à la Bretagne. C’est plutôt dans la scène francophone qu’ils s’expriment. Cela n’empêche qu’un jour peut-être, ils auront envie de se positionner différemment et alors rejoindre un petit peu cette musique identitaire et ceux qui veulent exprimer en rêve, à travers des rythmes de danses ou à travers la langue, quelque chose de bien spécifique dans lequel se rattachent d’autres artistes qui ont fait un choix plus fort dès le départ.

Tu donnes des conférences pour présenter le livre. Qui est le public qui vient t’écouter ? Est-il connaisseur ou néophyte ?

AC : Je ne connais pas chacun pour le dire (rires) ! Je suis surpris de voir qu’il y a plutôt des personnes de plus de quarante ans qui viennent, c’est à dire ceux qui ont traversé ces décennies, qui ont connu l’âge d’or des années 70 et du coup qui se rappellent ces années-là. Beaucoup moins la jeunesse d’aujourd’hui peut-être parce que le paysage est plus brouillé. Les artistes bretons sont moins mis en avant. Pour les disques, le support est en crise si bien qu’on pourrait de nouveau reléguer facilement la musique bretonne à du folklore malgré tout ce qui a été accompli depuis quarante ans et ça c’est dommage. Donc, à moi aussi de rejoindre ces amateurs de musique, ces nouveaux passionnés qui ont peut-être besoin de comprendre d’autres liens avec lesquelles ils peuvent s’identifier et se dire que ce patrimoine breton, même si leur langage est la techno, l’électro ou le rap, ça leur parle aussi parce qu’il y a derrière ça des choses singulières qui les intéressent.

Un exemple est Brieg GUERVENO qui est la dernière chronique du livre, qui est un musicien plutôt métal, et qui a choisi de s’exprimer en breton uniquement. Il le fait avec une vigueur et une ardeur assez séduisante qui mérite vraiment une grande attention.

Selon toi, que manque-t-il aujourd’hui pour une meilleure reconnaissance du folk en Bretagne ?

AC : Il manque beaucoup de choses (rires) !

Il manque d’une part des figures très charismatiques auxquelles on peut s’identifier, pas simplement des bons musiciens car ça ne suffit plus aujourd’hui, et qui soient porteurs d’un message qui fasse écho à la jeunesse. Beaucoup de musiciens de la nouvelle génération sont des musiciens de fest noz mais ils n’ont pas de propos très revendicatifs, or c’est souvent la musique qui est le support à ces causes.

D’autre part, il manque le support disque ! Tant que le disque n’est pas vendu, ce sont les ressources des artistes qui s’amenuisent et cela peut les décourager de poursuivre dans cette voie.

Il manque encore les médias ! Il ne suffit pas d’avoir un disque prêt, encore faut-il pouvoir le diffuser. Faut-il encore avoir des émissions sur la radio, sur la télévision ou des journaux qui puissent relayer l’information pour donner envie d’aller voir de plus près, de se déplacer parce que ces artistes sont prêts à donner des concerts. Mais combien de concerts se jouent en tout petit comité, bien loin des capacités réelles de ces artistes qui ont un niveau bien supérieur à celui qu’avait leurs pères ou même leurs grands-pères à une époque ou la musique bretonne en était encore au début de son renouveau.

Sans vouloir être négatif, penses-tu que la musique bretonne a un avenir ?

AC : Elle a un avenir, mais il sera différent de ce que l’on connait aujourd’hui. A nous de la reconnaitre comme différente ou spécifique. Il est certain que le brassage des générations et le brassage des populations tendent à faire perdre une certaine spécificité identitaire. Par exemple, est-ce que les nouvelles générations d’immigrés en Bretagne vont vouloir cultiver cette tradition ou vont-ils plutôt chercher à reproduire leurs propres cultures, leurs propres traditions dans un melting-pot qui peut diluer un peu cette originalité. La question est donc très ouverte, mais si la qualité est au rendez-vous, on peut malgré tout de même espérer qu’elle puisse encore traverser plusieurs décennies.

Quels sont tes projets ? Il se prépare un livre sur le groupe MALICORNE.

AC : Oui effectivement. Les choses sont un peu liées. On est toujours dans ce renouveau des années 70 avec un musicien, Gabriel YACOUB, qui a joué avec Alan STIVELL, et qui a créé le folk français. On ne parlait à l’époque que du folk breton. On pensait que le folk ne pouvait être que breton en France. Il a fallu l’arrivée de MALICORNE et d’autres groupes pour qu’on se dise brusquement que tous les terroirs ont leur propre patrimoine et que celui-ci est intéressant. L’intérêt de MALICORNE était qu’il s’agissait d’un groupe parisien qui a embrassé toutes les provinces pour en tirer le meilleur et dans une configuration assez originale en mélangeant des sonorités très modernes avec des chants très anciens.

Le sort du folk français n’est pas très enviable aujourd’hui.

Disons qu’il est pratiqué par des amoureux, des nostalgiques d’une époque, des personnes qui sont très attachés à la culture locale. Mais il est vrai qu’il n’a plus du tout l’intérêt qu’il a eu à une autre époque. On peut s’interroger, mais en même temps, aucun mouvement de musique ne l’emporte complètement sur les autres si bien que les jeux sont encore ouverts, je dirais.

Entretien réalisé par Didier Le Goff

Un grand merci au personnel de la Médiathèque de Lorient pour son accueil.

Lire la chronique du livre d’Arnaud CHOUTET paru chez Le Mot et le Reste :
BRETAGNE : folk, néotrad et métissages.

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