VAN DER GRAAF GENERATOR – Do Not Disturb

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VAN DER GRAAF GENERATOR – Do Not Disturb
(Esoteric Recordings)

Onze ans après s’être douloureusement séparé de l’une des chevilles ouvrières de son armature sonore distinctive et avoir choisi, courageusement ou inconsciemment, de poursuivre son aventure musicale sous forme d’un trio, VAN DER GRAAF GENERATOR décide de sortir encore un nouvel album, annoncé – compte tenu de l’âge avancé de ses protagonistes – comme un possible dépôt de bilan. Du coup, le disque s’est retrouvé dès sa sortie dans le Top 50 des meilleures ventes au Royaume-Uni, un événement totalement inédit – voire surréaliste – pour VAN DER GRAAF GENERATOR. Le coup a été bien monté, bravo. Mais quand on sait que le groupe n’envisage même pas de le promouvoir avec une nouvelle tournée, on se demande finalement à quoi sert Do Not Disturb ? L’album live Merlin Atmos faisait pourtant un correct générique de fin…

« Ne pas déranger ». Voilà un titre bien suspect de la part d’un groupe qui s’est toujours fait un point d’honneur et d’éthique à – justement – vouloir déranger à la fois le confort de ses auditeurs et le sien propre. Si les albums précédents du VDGG Trio (A Grounding in Numbers, Alt) donnaient l’impression d’escapades hors des sentiers déjà battus ou presque, Do Not Disturb affiche une volonté de retour au style « progressif » des années 1970, avec des compositions gentiment alambiquées alternant moments calmes et séquences agitées typiques du genre, mais tout en restant dans des formats de durée moyenne (entre 6 et 9 minutes). L’usuelle grammaire vandergraafienne est exploitée avec un net souci de présenter des compositions plus tortueuses que dans A Grounding in Numbers ou même Trisector, mais sans pour autant chercher à dépasser la complexité des Pawn Hearts, Godbluff et autres Still Life.

C’est dans cet entre-deux que Do Not Disturb pose ses balises, tout en renouvelant un tant soi peu le son du trio. Le jeu de Guy EVANS à la batterie est plein de raffinements, de nuances, de subtilités. L’orgue saturé de Hugh BANTON, pour sa part, a décidé de jouer au chat et à la souris et ne se manifeste qu’avec parcimonie. En lieu et place, le claviériste lui préfère même l’accordéon, ce qui s’avère somme toute un choix judicieux dans ce contexte privilégiant la contrition réflexive. Mais sur certaines pièces, BANTON abandonne littéralement ses claviers au profit d’une guitare basse qui joue surtout en sourdine. En revanche, la guitare de HAMMILL investit davantage l’espace.

Le trio a manifestement cherché à donner une coloration globalement mélancolique et nostalgique à Do Not Disturb. Mais du coup, les moments censés incarner une montée d’adrénaline tombent à plat, et les coups de sang se figent assez vite. C’est notamment le cas de Forever Falling qui, en bon cousin germain de Drop Dead sur Trisector, patine dans la semoule au lieu de secouer la galerie. Si on veut éviter ce morceau, il faut se procurer la version vinyle de l’album, duquel il est (judicieusement) absent.

(Oh No, I Must Have Said) Yes ! s’en tire mieux, avec un riff accrocheur et plus saignant, mais ne trouve rien de mieux, pour remplir son cahier des charges de morceau « progressif », que de s’enliser, à la faveur d’une cassure, dans une élucubration vaguement jazzy où la guitare hammillienne émet de curieux sons sans direction précise, et avec encore moins d’inspiration que dans la séquence « reggae » de Meugly’s III, c’est dire ! Et le retour final au thème est tout aussi impromptu et risible.

Sur d’autres morceaux, les envols sanguins ne constituent que des épisodes dans des histoires qui se voudraient pleines de rebondissements. Sauf que, dans bon nombre de cas, les instants introspectifs souffrent de neurasthénie, les emballements sont mollassons et poussifs, les enchaînements font patchwork et la sauce peine à prendre. Aloft, malgré un bon démarrage, souffre quelque peu de ce problème ; Alfa Berlina, en dépit d’un refrain marquant, voit HAMMILL se complaire dans une vaticination nonchalante ; Brought to Book multiplie les breaks mais a du mal à consolider ses trous d’air…

Plus équilibré, Room 1210 s’en tire mieux, et Almost the Words s’impose comme la stance ultime, prenant l’allure d’un condensé de l’épique Over the Hill (sur Trisector), faisant monter très progressivement la sauce puis autorisant enfin l’orgue bantonien à se lâcher comme au bon vieux temps, sauf qu’il s’interrompt net, sans crier gare, comme si l’ingénieur du son avait appuyé trop tôt sur le bouton « off », achevant le morceau en queue de poisson ! Ce n’est guère qu’une frustration de plus dans cet album qui sent le réchauffé mais qui laisse paradoxalement froid.

Le VDGG Trio donne l’impression d’avoir perdu des éléments majeurs de son univers, à savoir l’exaltation, l’écorchure, la convulsion, le chaos, la fièvre jaune, l’abîme, l’épiphanie, le recueillement, et les images expressionnistes qui vont avec : le phare dans la tempête, les hordes suicidaires, la terre brûlée, la nature morte… Tout cela paraît ici comme gommé, délavé, ou enfoui sous des couches de bromure.

Il y a certes dans ce trio de la bonne volonté, de la complicité, du professionnalisme, de la sincérité, mais le son VDGG a indéniablement perdu de son épaisseur et de sa substance, et semble étique, voire étriqué. Et la voix de HAMMILL affiche de plus en plus ses carences. Certes, le maestro maîtrise modulations et inflexions, mais on le sent de fait moins possédé, plus distant, voire carrément… fatigué. On aurait mauvais jeu de lui en vouloir, mais on sent que cette voix n’est plus vraiment faite pour cette musique, ou que cette musique ne donne plus autant de voix (et pas qu’au niveau vocal).

Il y a pourtant des moments d’illumination, qui sont singulièrement ceux où le son VDGG sort de ses clichés, comme sur l’instrumental (hélas non inclus sur le LP) Shikata Ga Nai, où l’accordéon diffuse une ambiance teintée de mystère cafardeux tout juste soutenue par des cymbales en apesanteur… Enfin, il y a Go, la pièce de clôture en forme de requiem vers laquelle tout Do Not Disturb ne pouvait que converger, où la voix éplorée de Peter HAMMILL, sur de délicates nappes d’orgue, avoue qu’il est temps de baisser le rideau. À l’époque de Over, le « thin man » se demandait déjà « Do I Have to Let Go ? ». Aujourd’hui, il en est sûr : « It’s Time to Let… Go. » Famous Last Words ? L’avenir le dira.

Do Not Disturb est un titre à différents niveaux de lecture…. Le trio nous demande-t-il de le laisser enfin tranquille, ou veut-il nous signifier que son disque ne nous dérangera pas plus que cela ? Ou que l’on n’aurait pas dû se déranger pour si peu ? (Sachant que, « si peu », ce sera déjà beaucoup pour certains fans…) Et si ces considérations certes un peu maussades n’étaient que le reflet contaminé de l’amertume refluant le long de cet album ? La vieillesse serait-elle un poison lent ? En tout cas l’hiver est venu pour VDGG, c’est certain.

Site : www.vandergraafgenerator.co.uk

Label : www.esotericrecordings.com

Stéphane Fougère

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